L’AGENCE
Le temple maudit
-3-
Route du Temple.
Nubur bravait la neige d'un pas décidé, suivi de près par Nila et Arthur. Le temps semblait au beau fixe, facilitant la montée du trio vers le temple. Ils avaient entamé leur voyage depuis un bon moment déjà lorsque Nubur les stoppa net.
- Nous sommes bientôt arrivés, mais c'est étrange...
- En quoi ? grogna Arthur, l'air intrigué.
- Eh bien, je jurerais avoir entendu du bruit en provenance du temple.
Les trois compères tendirent l'oreille, à l’affût du moindre son. Avec étonnement, Nila distingua un faible bruissement. En se concentrant, elle cru entendre des caquètements lointains, couverts par le souffle du vent. Arthur dégaina ses tomahawks.
- Le temple n'est pas si désert finalement.
- Un comité d'accueil ? On devrait avancer avec prudence. Nubur, reste derrière nous, cela pourrait devenir dangereux.
Nila pris en main ses armes. Ils n'étaient plus qu'à quelques dizaines de mètres de l'entrée du temple lorsque Arthur lui fit signe : il allait ouvrir le chemin. Elle serra fermement ses automatiques, prête à couvrir son ami en cas d'attaque surprise. Le brouhaha en provenance du temple était à présent clairement audible. Principalement des cris d'animaux. Nila jura entendre des ânes au milieu de ce tintamarre constant.
- J'y vais, protège bien mes fesses Nila.
- J'y compte bien, elles sont trop précieuses pour qu'on les abîme.
- My man !
Arthur s’avança discrètement, franchissant les derniers tumultes de neige qui cachaient l'entrée du temple. Il n'était plus qu'à quelques mètres. Dix mètres... Cinq mètres...
- Ça alors !
- Qu'est ce que tu vois ?
- Rien de très inquiétant, la voie semble libre ! Il y a des poules, et des ânes aussi !
Nubur afficha un air désemparé.
- Je connais le petit N'Guyen, ce n'est pas un menteur. Il avait précisé que le temple était vide à son arrivée. Est-ce que les animaux seraient revenus ?
- Bonne remarque, songea Nila. Nous allons rester sur nos gardes, et tenter de trouver quelqu'un capable de répondre à nos questions.
Ils rejoignirent Arthur qui scrutait une poule, le regard méfiant.
- Ce sont peut-être les poules qui ont fait le coup. Croyez-moi, ce sont de véritables êtres maléfiques. Lors d'une de mes missions, j'ai rencontré-
- On a été poursuivi par les djihadistes à travers tout le Sahara, mais toi, c'est les poules que tu crains ? S'esclaffa Nila, amusée.
- Crois-moi Nila, tu ne soupçonnes pas la perfidie des gallinacés.
Nubur scruta le géant d'un regard étonné, puis lui fit savoir que l'entrée du temple était ouverte. Le trio jeta un rapide coup d’œil aux cases en chaux, toutes vides, avant de se décider à rentrer dans l'enceinte du temple. Nila lança un regard inquiet au guide, qui remarqua son inquiétude et lui adressa un sourire chaleureux.
- Je serais prudent, ne vous en faites pas.
- Très bien. Dans ce cas cette fois-ci, c'est moi qui ouvre la marche. Arthur, couvre nos arrières.
- C'est comme si c'était fait.
Ils s'enfoncèrent dans l'obscurité du temple. A mesure qu'ils avançaient, les couloirs s'éclairaient à la lueur des bougies, tandis que les bruits d’animaux laissaient place à un silence implacable. Nila était sur ses gardes, s'attendant à voir surgir à tout instant l'effroyable créature que lui avait décrit N'Guyen. Il avait cependant donné un détail important : le monstre n'avait pas d'yeux. Alors, pourquoi toutes ces bougies étaient-elles allumées ? Cela constituait un autre mystère, bien plus épais que le retour mystérieux des animaux. Déterminée, elle continua de s'aventurer dans les couloirs, suivie de près par ses deux compères. Elle espérait trouver où la mènerait cet interminable défilé de bougies. Sa réponse apparut quelques minutes plus tard, lorsque le trio franchit le porche d'une immense salle à ciel ouvert. Une gigantesque statue de Bouddha régnait sur les lieux, mais ne constituait pas l'élément le plus frappant de la pièce. En effet, Nila sentit son sang se glacer lorsque son regard balaya le sol. Des moines, une centaine, peut-être plus, étaient en train de prier en direction de la statue, le visage dirigé vers le sol. Emmitouflés dans leurs toges, ils ne semblaient pas avoir remarqué la présence des intrus.
- Arthur, il y en a une centaine ! Tous en train de prier!
- Leurs yeux ! Tu vois leurs yeux ?
- Non, ils sont de dos !
Arthur fronça les sourcils, examinant la situation d'un air grave. Les moines priaient dans le plus grand des calme, mais il était impossible de vérifier leur visage. Dans l'éventualité d'un piège, il était impossible aux deux membres de l'Agence de gérer un si grand nombre de monstres. Arthur le savait très bien.
- Nila, il serait plus judicieux de reculer.
- Je partage ton avis, bougeons avant qu'il soit trop tard.
Dans son empressement, elle bouscula Nubur qui, perdant l'équilibre, vint se cogner contre un des meubles du corridor. Dans son malheur, il fit tomber le lourd encensoir qui trônait sur l'édifice, qui dans sa chute vint s'écraser au sol dans un boucan assourdissant. Nila et Arthur s'échangèrent un regard effrayé. Les moines, ou autres abominations ayant emprunté leurs apparences, avaient indéniablement entendu le bruit. Arthur releva Nubur d'un geste, tandis que Nila pointait ses armes vers la porte de la salle, prête à décharger ses munitions sur le premier monstre qui la traverserait.
- Nila on trace !
- Un instant, je veux voir leur visage !
- Bon sang !
Le colosse dégaina ses armes à son tour, se préparant au massacre à venir. Mais, à sa grande surprise, ce fut un vieux moine maigrichon, le visage ridé mais les yeux toujours présents, qui vint les accueillir. Il sembla tressaillir en voyant l'armada pointée sur lui, puis se ressaisit, adressant la parole à ses invités d'une voix lente et monocorde. Nubur, décontenancé, s'empressa de faire l’interprète.
- Jeunes visiteurs, quelles que soient vos intentions, vous dérangez la prière. Je vous prie de me suivre dans un endroit plus éloigné où nous pourrons discuter en toute tranquillité.
Arthur hocha la tête.
- Très bien vieil homme, mais attention, au moindre coup fourré, je vous assomme ! Il se passe dans ce temple des choses bien trop étranges pour qu'on se permettre d'être imprudent.
Le vieil homme acquiesça, puis ils le suivirent à travers le dédale de couloirs jusqu'à une pièce éloignée où il leur servit le thé.
- C'est très gentil mais je n'ai pas soif, affirma Nila, toujours suspicieuse.
- Dans ce cas, racontez moi ce que vous venez faire dans notre temple armés jusqu'aux dents.
- Eh bien, tout porte à croire que votre temple a récemment subi une attaque à l'origine... mystérieuse, si je peux me permettre. Du moins, tout portait à le croire jusqu'à ce que nous vous rencontrions.
- Une attaque ? La vie ici suit tranquillement son cours. Je n'ai pas eu vent d'une attaque.
Le vieil homme semblait tout ce qu'il y a de plus honnête. Arthur jeta à Nila un regard abasourdi, puis lui fit signe de s'éloigner un instant pour qu'ils puissent échanger sur la suite des événements.
- Nila, c'est quoi ce bordel ? Les informations que reçoit l'Agence ne sont jamais erronées...
- Et l'histoire du gamin coïncidait avec notre version. Pourtant, le moine à l'air sincère.
- Sincère, et surtout humain. La créature, tu crois qu'elle aurait pu hypnotiser les moines ?
- Ils avaient tous disparu quand N'Guyen est arrivé, j'ai du mal à voir où elle aurait pu les planquer entre temps.
Alors qu'ils se regardaient sans un mot, perplexes, Nubur s'approcha pour prendre part à la conversation.
- Le moine nous propose l'hospitalité pour la nuit. Il a du mal à comprendre la raison de notre présence ici, mais il espère que cela suffira répondre à nos questions.
- Et puis quoi encore ? grogna Arthur. Comme ça, les monstres viendront nous assassiner dans notre sommeil ?
- C'est peut-être la meilleure chose à faire pour l'instant, suggéra Nila. On les observe jusqu'à ce soir, et si il ne s'est rien passé d'étrange d'ici là, on continue nos investigations pendant la nuit.
- Je le sens mal, mais soit. Cela dit, on devrait éviter de manger ou de boire ce qu'ils nous proposent, au cas où.
- Dans ce cas, le plan est en route. Nubur, tu peux dire au moine que nous acceptons son offre, et que nous repartirons au matin si il ne s'est rien passé d'étrange durant notre séjour.
- Très bien, je vous fait confiance à tous les deux.
Les heures passèrent avec une lenteur rare. Le train de vie des moines était tout ce qu'il y a de plus ennuyeux, et rien ne laissait présager qu'une quelconque attaque avait eu lieu récemment. L'incompréhension grandissait dans l'esprit de Nila, résignée à l'idée que les véritables investigations commenceraient à la nuit tombée. Elle partagea avec Nubu et Arthur les rations militaires qu'elle avait emporté pour le voyage, puis ils décidèrent de la suite des événements. A minuit, une fois les moines dans leurs dortoirs, chacun allait discrètement quitter sa chambre. Le trio aurait alors le champs libre pour chercher des explications aux événements bizarres qui prenaient lieu dans le monastère. Ou plutôt, aux événements bizarres qui semblaient ne pas avoir eu lieu...
- C'est bientôt minuit, je devrais rejoindre les autres.
Nila se leva de son lit. Les moines les avaient logé dans une aile du temple qui semblait rarement utilisée. Les trois chambres étaient côte à côte. Discrètement, Nila quitta ses appartements et regarda sa montre. Il était minuit, ses collègues n'allaient pas tarder à apparaître. Les minutes passèrent.
- Ça va faire cinq minutes que j'attends, qu'est ce qu'ils font ?
Agacée, elle tapa à la porte d'Arthur : pas de réponse. La situation était la même pour Nubur : le guide ne répondait pas à ses appels. Inquiète, elle finit par rentrer dans les deux chambres, pour n'y trouver que des lits vides. Ni Arthur, ni Nubur ne semblaient avoir mis un pied dans ces appartements. Nila se retrouvait seule, sans aucune trace de ses alliés.
- C'est quoi ce bazar ?
Elle dégaina son téléphone portable, tentant de joindre Arthur. Bien que perdue au fin fond de l'Himalaya, elle faisait confiance aux satellites high-tech de l'Agence pour transmettre l'appel. Si Arthur avait son téléphone sur lui, il allait répondre.
- Arthur, c'est Nila ! T'es où bon sang ? Nubur est avec toi ?
- Le numéro que vous tentez de joindre n'est actuellement pas disponible.
- Mais qu'est ce qu'il se passe ici ?!
Nila jeta un nouveau coup d’œil à sa montre : l'heure du rendez-vous était depuis longtemps passée. Elle se fit à l'idée qu'elle allait devoir continuer son exploration seule, à la recherche de réponses sur ce qu'il se passait au temple, mais également sur la disparition soudaine de ses amis. Dans l'espoir qu'ils reviendraient peut-être durant son absence, elle leur laissa des mots expliquant la situation qu'elle posa sur leurs lits, puis se prépara à affronter l'obscurité du temple. Direction la bibliothèque.
- Il est presque minuit, je devrais me bouger !
Arthur s'étira nonchalamment, récupéra son équipement et se prépara à rejoindre ses collègues dans le couloir. L’enquête était au point mort : il espérait profiter de la nuit pour trouver des indices sur les événements étranges qui prenaient place au temple. Rapidement, il gagna le couloir et jeta un coup d’œil à sa montre.
- Minuit pile ! Pour une fois que je suis pas à la bourre !
Étonnement, c'était les autres qui étaient absents. Arthur leur laissa quelques minutes de répit avant de s'impatienter. Il se dirigea vers la porte de sa collègue.
- C'est la meilleure, c'est eux qui sont en retard. Nila, faut s'activer !
Aucune réponse.
- Nila ? Je me permets de rentrer.
La chambre était vide. Rien ne laissait penser que Nila avait passé les dernières heures ici.
- Mais qu'est ce que ?
Arthur inspecta rapidement la chambre, puis se résigna à rejoindre Nubur dans l'espoir d'éclaircir la disparition de son amie.
- Nubur mon gars, on a un problème, j'entre !
Vide.
- C'est pas vrai ! Il se passe quoi ici ?
En désespoir de cause, Arthur alluma son téléphone. Peut-être que Nila et Nubur avaient été contraints de quitter leurs chambres pour une quelconque raison ? Il n'y croyait pas vraiment, mais c'était l'option la plus logique à laquelle il pouvait se raccrocher.
- Nila ? C'est Arthur ! Tu m'entends ?
- Le numéro que vous tentez de joindre n'est actuellement pas disponible.
- Merde !
Le géant raccrocha, furieux. Ses amis avaient disparu. Au moins, il était à présent certain que des événements étranges se déroulaient dans l'ombre. Il jeta un nouveau coup d’œil à sa montre : l'heure du rendez vous était depuis longtemps passée. Décidé à continuer l'exploration seul, Arthur quitta cette partie du temple en direction de la bibliothèque. Les couloirs étaient déserts, hormis quelques moines qui effectuaient leurs rondes nocturnes. Au moins, tout le monde n'avait pas disparu. L'homme fit en sorte de ne pas se faire remarquer, et arriva rapidement devant les grandes portes de la bibliothèque. Discrètement, il les ouvrit puis pénétra dans la pièce.