Le temple maudit
4
A l’intérieur du Temple, dans l’aile des chambres.
Nubur avait le sommeil solide. Il fallait vraiment que les cris soient forts pour qu’ils le réveillent.
Il sauta de son lit. Il était affolé. D’où venaient tous ces hurlements ? Il voyait des ombres passer dessous sa porte. Il entendait des moines donner des ordres. Son cœur battait la chamade.
Il s’approcha lentement de la porte et l’entrouvrit. Des moines courraient dans tous les sens en hurlant.
- Bordel…
Il empoigna son bâton de marche et sortit prudemment. Il arrêta un moine qui courait dans sa direction.
- Dis moi qce qu’il se passe !
- Les démons ! Les démons !
Le moine se libéra de la poigne de Nubur et s’enfuit le long d’un couloir. Le guide le regarda s’en aller, se demandant s’il était fou.
Il alla ensuite voir si Nila ou Arthur étaient dans leurs chambres. Ils ne se trouvaient nulle part. Aucune de leurs affaires n’étaient présentes.
Nubur était paniqué. Il se força à se calmer et à réfléchir à la meilleure des solutions. Mieux valait sortir du temple et regagner le village. Soudain, le vieux moine qui les avait accueillis bondit sur lui.
Nubur hurla de peur. Il manquait une jambe au vieux moine et le sang s’écoulait du membre absent. Il se retenait aux bras du guide.
- Putain, mais c’est quoi ce bordel ?! hurla Nubur.
- Les démons… Ils se sont réveillés…
- Les démons ?! C’est quoi ces conneries ?! Dis moi moine, est-ce que tu as vu mes collègues ? La femme noire et le géant qui sont venus avec moi ?
Le vieux le regarda, confus.
- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu es venu tout seul… Aide moi à sortir du temple au lieu de raconter des conneries. On doit se sauver d’ici.
En tenant le moine avec un bras, ils arrivaient à marcher rapidement. Nubur était endurant. Il avait aidé bien des touristes obèses à gravir des montagnes. Mais là, c’était autre chose. Dans les montagnes, il n’y avait pas de monstre.
En effet, en tournant dans un couloir faiblement éclairé par les bougies, il vit une ombre étrange sur le mur et entendit des sons non moins étranges. Il crut d’abord qu’un lion mangeait quelque chose. La main du petit vieux se serra de peur autour de son bras au point de lui faire mal. Nubur jeta un coup d’œil. Un moine en mangeait un autre. Mais celui qui mangeait avait un visage différent. Nubur se souvint d’un coup de la description du petit N’guyen : sans yeux et une bouche remplie de dents. La réalité était encore plus terrible. On aurait dit qu’un homme s’était croisé avec un Alien. Les yeux avaient disparu, remplacés par une peau tirée sur le côté. La bouche s’était agrandie et elle était remplie de dents, à la manière d’un requin.
Nubur était bloqué devant cette vision d’horreur. C’est le petit vieux qui le réveilla en tirant sur son bras. Il lui fit signe discrètement de s’éloigner. Ensemble, ils mirent de la distance entre eux et le monstre.
- Je connais un autre passage par là. On va le tenter, chuchota le vieux.
Ils tournèrent à un embranchement et tombèrent nez à nez avec un des monstres. De dos, il avait l’air d’un moine tout à fait normal. Mais la jambe qu’il tenait à moitié arrachée dans sa main indiquait tout le contraire. Nubur et le vieux moine se figèrent. La chose se retourna lentement et leur offrit un grand sourire cruel et sanglant.
Nubur lâcha le moine pour brandir son bâton. Il donna un coup puissant mais le monstre évita en se baissant. Il attrapa le bâton et le lança contre le mur. Il explosa en milles morceaux. Nubur hurla. L’instant d’après, la créature lui sautait dessus, la bouche d’horreur grande ouverte.
A l’intérieur du temple, dans la bibliothèque.
Tout était calme, comme on pouvait s’y attendre à minuit dans un temple bouddhiste népalais. Pas de grosse fête dans le coin, pensa Arthur avec un sourire.
Mais à l’intérieur, de la bibliothèque, il y avait de l’animation. Arthur entendait une voix monocorde et voyait dans un coin de la salle des jeux de lumière. Au fur et à mesure qu’il approchait, il entendait la voix de mieux en mieux. On aurait dit un moine récitant un mantra.
Arthur s’approcha discrètement. Il pencha la tête.
Un moine semblait prier devant une statue de Bouddha éclairée par une dizaine de bougies. La scène aurait mérité une belle photo pour son côté vénérable si ce n’était pour deux raisons : le moine en question ne priait pas, il se scarifiait. Du sang était étalé tout autour de lui. Il se scarifiait à l’aide d’un couteau. La deuxième raison était sa tête. De là où se tenait Arthur, elle avait plus l’air d’un poing fermé que d’une tête. Ou alors le moine avait mis un turban en peau humaine sur sa tête.
Soudain, la vue de l’agent se brouilla. Comme un écran qui déconne, sa vision eut des hoquets. Pendant quelques instants, la statue de Bouddha était remplacée par une étrange statue d’homme à tête de lion dégoulinante de sang. Sa vision revient à la normale. Il fut pris de vertige et se retint sur une rangée de livre pour ne pas tomber.
Cela eut pour effet de faire retourner le moine. Arthur ouvrit de grands yeux. Le moine avait une tête tout à fait étrange : il n’avait ni yeux, ni bouche, ni nez. Rien du tout, à part des amas de peau entrelacées entre elles. Le moine susurra quelque chose qu’Arthur ne comprit pas.
Il leva son automatique vers la personne en face de lui :
- Je ne sais pas ce que t’es mon gars, mais t’as pas intérêt à faire quoi que ce soit de bizarre.
Le moine leva alors lentement les bras zébrés de coups de couteau.
La vision d’Arthur se brouilla encore. La statue alterna entre celle du Bouddha et de l’homme lion. Un son strident sortit de la tête du moine et son visage éclata. Ou plutôt, il se déploya. Trois énormes tentacules se déplièrent et se déployèrent dans l’espace, comme un cobra agressif. A leurs conjonctures, une énorme bouche béante remplie de dent d’où émanait le son strident.
- Ouah putain ! fit Arthur en bondissant en arrière.
Il tira plusieurs coups. Les balles s’arrêtèrent à quelques centimètres du moine. Les tentacules en peau humaine serpentèrent dans l’air, caressèrent les balles. Et ces dernières repartirent à toute allure vers Arthur. L’une d’elle vint se planter dans son épaule. Le colosse poussa un rugissement de douleur.
- Bordel de merde… Un télékinésiste… Je suis pas du tout équipé pour ça…
Il rebroussa chemin et s’enfuit vers les grandes portes de la bibliothèque. Un grand vacarme se fit entendre derrière lui et il vit les rangées de livres venir s’écraser sur les portes. Il se retourna, piégé.
Les tentacules glissaient lentement dans l’air. Le trou béant semblait l’observer. Le moine tendit une main vers lui.
Une force invisible poussa Arthur vers la bête.
- Merde, merde…
L’agent jeta le flingue et sortit un tomahawk.
- Ce tomahawk a appartenu à Crazy Horse. Que sa force m’accompagne ! rugit Arthur.
Il lança le tomahawk vers le moine. Comme des serpents, les tentacules s’agitèrent. Le moine leva les deux bras vers l’arme qui fonçait vers lui mais celle-ci ne ralentit pas. Elle s’enfonça dans son buste et il fut projeté en arrière. Il frappa la statue avec force et tomba par terre, inerte.
Libéré de la force télékinésiste, Arthur bondit vers le moine en attrapant son autre tomahawk. Il voulait asséner le coup fatal le plus vite possible. Lorsqu’il arriva au niveau de son ennemi, il brandit l’arme. Mais les tentacules furent plus rapides. Elles bondirent vers lui, serrèrent son bras et l’arme. Il sentit la pression spectaculaire atteindre ses os. Dopé par l’adrénaline, il fut en mesure de bouger son bras blessé et de tirer un autre automatique de sa ceinture. Il vida le chargeur sur l’une des tentacules et celles-ci le lâchèrent. Arthur fit une roulade arrière, sain et sauf. L’autre tomahawk tomba par terre.
Le moine se redressa alors et s’éleva dans les airs. Il prit le manche du tomahawk enfoncé en lui par les deux mains et tira. Du sang gicla. L’espace tremblait autour de lui. Il jeta l’arme au loin d’une main et balaya l’air de l’autre.
Ce fut comme si Arthur se prenait une voiture de plein fouet. Il fut propulsé en arrière et atterrit par terre avec fracas. Il se releva tant bien que mal, gémissant de douleur. Le moine approchait lentement, lévitant dans les airs, ses tentacules serpentant dans l’air de manière concentrique.
Soudain, son attention fut attirée autre part. Une puissante lumière apparut dans un coin de la bibliothèque.