EPISODE 8 : Le secret du Vieux Barbu
La conversation se poursuit sans que les garçons puissent entendre les réponses d’Hélène :
« Je vais très bien, je vous remercie, reprend Monsieur Skaros.
Je vous appelle, Hélène, pour vous demander la permission de retenir Julien à déjeuner.
- …
- Oui, il est chez moi avec son ami Benoît. Ils sont venus m’apporter une livraison de Caroline.
- …
- Nous avons commencé à discuter et nous nous sommes dit qu’il serait sympathique de poursuivre autour d’un repas.
- …
- Non, ça me fait plaisir : je profite d’un peu de jeunesse autour de moi. Nous allons improviser un repas tout simple.
- …
- Je vous remercie ma chère ! Ne vous inquiétez pas je prendrais soin d’eux.
- …
- Je vais lui transmettre. Bonne journée à vous aussi, Hélène. »
Après avoir raccroché, il se tourne vers Juju :
« Ta maman t’embrasse et te demande de rentrer avant 18h ce soir. Elle a gentiment accepté que tu déjeunes ici, Julien. Voyons maintenant si nous pouvons joindre Marie-Anne. »
Les deux garçons ne répondent pas, toujours à leur surprise.
La conversation téléphonique avec Marie-Anne se conclue également par la permission pour Benoît de rester.
« Voilà, vous êtes officiellement mes invités ! annonce Monsieur Skaros de sa grosse voix. Si vous voulez bien me suivre, jeunes gens, nous allons voir ce que nous pouvons préparer. »
Les deux copains le suivent vers l’une des portes au fond du hall, la bouche toujours ouverte et les yeux écarquillés. Juju est perché sur l’épaule de Benoît.
Ils entrent dans une très grande salle à manger. Une longue table, entourée d’une vingtaine de chaises tapissées, en occupe la plus grande partie. La grande fenêtre est ornée de rideaux en velours d’un bleu passé. Sur l’un des murs, il y a une gigantesque cheminée.
« On pourrait faire rôtir un mammouth, là-dedans ! s’exclame Benoît, qui semble revenir à la réalité.
- On dirait une salle à manger de château-fort. » ajoute Juju.
Le vieil homme a l’air de beaucoup s’amuser de les voir regarder partout.
« Je ne mange pas très souvent de mammouth, dit-il, à la grande joie des garçons qui ne s’attendent pas à ce que l’homme fasse des blagues.
D’ailleurs la cheminée ne sert plus. Quand je fais du feu, c’est plutôt dans le salon. Je vous le montrerai tout à l’heure. Mais d’abord, je suis sûre que vous avez faim.
- Moi j’ai très faim, dit Benoît. Mon ventre gargouille !
- Le mien aussi, approuve Juju. On dirait que j’ai avalé une grenouille.
- Cela tombe très bien, leur répond le vieil homme, nous arrivons à la cuisine. »
Ils pénètrent en effet dans une vieille cuisine, où, comme dans le reste de la maison, tout est immense : l’évier, les meubles, le four, le réfrigérateur, et même les casseroles suspendues aux murs.
« Bonjour Elodie, dit Monsieur Skaros d’une voix douce. Comment vas-tu, jeune fille ? »
Juju et Benoît remarque alors dans un coin de la pièce une jeune fille qu’ils n’avaient pas vu en entrant. Elle est vêtue tout en noir. Son jean est très déchiré, et elle porte des rangers, des chaussures de soldat. Ses cheveux sont rasés sur les côtés du crâne et plus longs sur le dessus. Elle porte des bijoux dans le nez, les sourcils et les lèvres (Juju se rappelle que ça s’appelle des piercings), et une araignée effrayante est tatouée dans son cou. Sur son t-shirt, des petits brillants forment un motif que les garçons n’arrivent pas à distinguer.
Relie les points dans l’ordre croissant pour voir le motif dessiné sur le t-shirt d’Elodie. Il y a quatre séries de points à relier : la série rouge de 1 à 6, la série verte de 1 à 8, la série bleue de 1 à 38, et la série noire de 1 à 83.
« Bonjour » répond la jeune fille dans un souffle. Et elle sort de la cuisine à toute vitesse, en baissant les yeux.
« Est-ce qu’elle est partie à cause de nous ? demande Benoît. Elle a peut-être eu peur de Juju ? »
En effet, Juju réalise qu’il n’a pas pensé à se cacher au fond de la poche de Benoît.
« Non, répond Monsieur Skaros, elle est arrivée ici il y a peu de temps et elle est très timide. Je ne lui ai entendu dire que quelques mots.
- Il y a d’autres personnes qui habitent dans la maison avec vous ? s’étonne Juju.
- Cette maison est immense, beaucoup trop grande pour un vieux barbu comme moi. Quand je rencontre quelqu’un qui a besoin d’un endroit où habiter, je lui propose de venir ici. Parfois les gens acceptent, et parfois non. Certains partent au bout de quelques jours, d’autres restent plusieurs années.
- Vous leur donnez à manger aussi ?
- Oui s’ils le veulent. Mais la plupart du temps, ceux qui viennent vivre ici me demandent ce qu’ils peuvent faire pour m’aider. Alors ils aident à entretenir la maison : ils cuisinent, ils nettoient, ils réparent, ils repeignent,… selon ce qu’ils savent faire. Parfois, quand ils trouvent un travail, ils achètent de la nourriture pour tous les occupants de la maison.
- Vous êtes très gentils alors ! s’exclame Benoît comme s’il venait de résoudre un mystère.
- Je crois que je ne suis pas méchant, c’est sûr, sourit Monsieur Skaros. Mais ce n’est pas seulement de la gentillesse. Pour moi aussi c’est une bonne chose : je suis moins seul. Et j’ai de l’aide pour certaines choses que je ne peux plus faire.
J’ai une grande maison, de l’argent, et j’ai appris beaucoup de choses dans ma longue vie. Mais tout ça ne sert à rien si on ne le partage pas.
- Vous partagez aussi ce que vous avez appris ? demande Juju qui a du mal à comprendre ce que le vieil homme veut dire.
- Oui, ça arrive. Pour ceux qui ont envie d’apprendre. Comme Caroline, par exemple.
- Caroline a habité ici ?! S’écrient les deux garçons en chœur.
- Pendant plusieurs années. Je l’ai aidée à apprendre ce qu’il fallait savoir pour gérer sa boutique, quand elle s’est rendue compte qu’elle était très douée pour faire du pain et des pâtisseries.
- En tout cas, conclut Benoît, Elodie est très jolie. Et elle a l’air gentille même si elle a peur de tout. »
Monsieur Skaros sourit toujours. Un déjeuner est rapidement organisé dans la cuisine. Ils s’installent à table tous les trois. Juju est assis à côté de son assiette.
Il se dit qu’ils se sont bien trompés en croyant que le vieux barbu était méchant.
Une fois le dessert terminé, Benoît, qui est resté calme plus longtemps qu’à son habitude, pose enfin la question qui brûle les lèvres aux deux garçons depuis longtemps :
« Comment savez-vous que Juju a mangé un bonbon magique ? »
Le vieil homme pose ses couverts, joint ses mains, et répond :
« Parce que j’en ai moi aussi mangé un quand j’avais votre âge. »
A cette déclaration, les deux garçons restent plusieurs secondes bouche ouverte. Ils ne s’attendaient pas à ça, et ils ont tellement de questions qu’ils ne savent pas par laquelle commencer.
Juju finit par demander simplement :
« Pouvez-vous nous raconter ?
- Venez avec moi, nous allons nous installer sous les tilleuls. » répond le vieil homme.
Jeu des feuilles d’arbres : Il y a 6 sortes d’arbres dans le parc de la grande maison. Aide Juju et Benoît à les reconnaitre d’après leurs feuilles, afin qu’ils puissent trouver les tilleuls. Tu peux chercher sur internet, dans un livre sur les arbres, ou mieux : en te promenant en ville, dans les parcs ou à la campagne. Tu peux même commencer une collection de feuilles dans un cahier.
Après avoir rapidement débarrassé la table, les trois amis s’installent dans le parc. En marchant à côté de lui, Juju s’aperçoit qu’il arrive au-dessus du genou de Benoît.
De vieux fauteuils sont installés à l’ombre fraiche des très grands tilleuls.
Monsieur Skaros commence son récit :
« J’ai eu sept ans en 1943. J’habitais déjà ici. La maison est dans ma famille depuis très longtemps. Je vivais avec mes parents, mes grands-parents paternels, mes deux frères et mes deux sœurs. J’étais le petit dernier, le plus jeune. Savez-vous ce qui se passait en 1943 ?
- C’était la deuxième guerre mondiale, répond Juju. La maitresse nous en a parlé.
- De 1939 à 1945, ajoute Benoît.
- Vous avez raison, dit le vieil homme. L’Allemagne avait déclaré la guerre à la France en 1939 et avait rapidement envahi une grande partie du pays. Les combats ont cessé moins d’un an après le début de la guerre. Et la période qu’on a appelé « l’Occupation » a commencé. La France devait obéir aux allemands, et à leur chef.
Avez-vous entendu parler de lui ?
- Oh oui ! s’écrie Benoît. Je sais : c’était un fou qui voulait tuer tout le monde et être le chef de la Terre.
- Il n’était pas si fou que ça, malheureusement. Sinon il n’aurait pas réussi à être chef, ni à convaincre autant de monde de ses idées. Et il ne voulait pas tuer tout le monde.
Pour vous expliquer simplement, Adolf Hitler - c’était son nom - pensait que certains hommes étaient supérieurs aux autres. Et il voulait faire un monde où il n’y aurait que ces hommes-là.
- Mais ça veut dire quoi “supérieurs”, demande Benoit.
- Ça veut dire “au-dessus des autres”. Il disait que ceux qui avaient une certaine couleur de peau, de cheveux, une certaine religion, une certaine taille, ceux qui étaient en bonne santé, avaient plus de valeur que les autres.
- Ça doit être ennuyeux que tout le monde soit pareil, dit Juju les sourcils froncés.
- Sans doute, mais lui, il avait décidé que ceux qui ne correspondaient pas à ses préférences ne devaient pas rester libres. Alors des milliers de personnes ont été arrêtées et emprisonnées dans des camps, parfois même tuées. »
Le vieil homme parle d’une voix douce mais les deux garçons sentent la tristesse du vieux monsieur. Ils savent que ce qu’ils vont entendre ne sera pas drôle, mais que c’est très important.
Fin de l’épisode