EPISODE 9 : Le récit
Monsieur Skaros poursuit :
« Ma famille et moi, pour notre religion, nous faisions partie des gens qu’Hitler n’aimait pas. Nous étions Juifs. Alors comme beaucoup d’autres personnes, nous avons été arrêtés.
- Même les enfants ? s’étonne Juju.
- Oui, toute la famille. Et nous n’étions pas les seuls.
On nous a fait monter dans un train qui a roulé pendant des heures. Nous étions debout, serrés, et nous ne savions pas où on nous emmenait. Nous étions dans des wagons fermés, sans fenêtre. Il y avait des adultes, des enfants, des personnes âgées.
- Vous deviez avoir peur, murmure Benoît. Moi j'aurais eu peur...
- Oui, tout le monde avait peur. Moi je voyais que mes parents et mes grands-parents étaient effrayés eux aussi et je ne les avais jamais vus comme ça, alors j'étais très inquiet. »
« A côté de moi, il y avait un vieil homme. C'était le seul qui paraissait calme. Il a commencé à me parler. Il m'a posé des questions sur mon nom, mon âge, ce que j'aimais faire, ma famille... Pendant des heures il m'a raconté des histoires, des contes qui faisaient rire et rêver. Il m'a parlé de sa vie aussi. Il a tenu ma main dans la sienne très longtemps. Petit à petit, je me suis senti plus tranquille. J'avais des récits et des images plein la tête et je pensais moins à la situation dans laquelle nous nous trouvions.
- Mais c'était qui ? demande Juju. Vous le connaissiez ?
- Non, je ne l'avais jamais rencontré avant ce voyage. Il s’appelait Simon. »
Pour en savoir plus sur le compagnon de voyage de Monsieur Skaros, trouve la réponse à ces deux charades :
1) Mon premier est un outil pour couper du bois.
Si tu ajoutes « Blanc » à mon second, c’est la plus haute montagne de France.
Mon tout est un prénom masculin
2) Mon premier est une barrière d’arbustes qui entoure souvent les jardins.
Mon second est ce qu’on fait quand on parle très fort.
Mon troisième est 13+7
Mon tout est un métier.
Les yeux du vieil homme se ferment un instant, comme pour mieux revoir son compagnon de voyage.
« Après de longues heures, je ne sais pas exactement combien, le train a ralenti. Quand les portes se sont ouvertes, avant que j’aie pu voir ce qu'il y avait à l'extérieur du train, le vieil homme a attrapé mon bras. Il s'est penché et a murmuré à mon oreille : "Dès que tu seras descendu du wagon, avale ça et va-t’en loin d'ici." Et il a mis quelque chose dans ma main.
Ensuite il y a eu une bousculade et nous avons été séparés.
- Vous l'avez revu ensuite ? interroge Benoît.
- Non jamais.
La bousculade m'avait aussi séparé du reste de ma famille. Dehors, j'entendais des voix qui criaient des ordres, en français et en allemand. La peur est revenue, très forte.
J'ai ouvert ma main pour regarder ce que l'homme m'avait donné. Et j'ai découvert...
- un bonbon orange ! s'écrie Juju qui a déjà deviné.
- Le mien était rouge, précise Monsieur Skaros. Du moment où je l'ai regardé, je n'ai pas pu en détacher mes yeux ni penser à autre chose. J'avais l'impression que le bonbon me criait : "Mange-moi, mange-moi !"
- Ça m'a fait la même chose, dit Juju. Impossible de résister !
- J'ai pu résister jusqu'au moment où je suis descendu du train, comme me l'avait recommandé le vieil homme. Mais dès que j'ai posé les pieds au sol, j'ai mis le bonbon dans ma bouche.
- Et vous êtes devenu tout petit, déclare Benoît.
- Et je suis devenu tout petit. »
Les trois amis se sourient. Ils sentent qu’un lien spécial existe entre eux.
« Le temps de comprendre ce qui m'arrivait, reprend le vieil homme, et je me suis vite mis à l'abri pour ne pas être piétiné. Ensuite, j'ai essayé de trouver mes parents, mais avec ma taille et le nombre de personnes qui débarquaient du train, je n'ai pas pu les voir.
- Qu'est-ce que vous avez fait, alors ?
- Je suis resté là où j'étais pendant plusieurs heures. Les gens qui avaient débarqué du train avaient été emmenés je ne sais où. Je me suis aperçu que je ne pouvais pas les suivre parce qu'il y avait des soldats avec des chiens qui passaient souvent autour de moi, et j'avais peur qu'ils me sentent. Et je repensais aussi à ce que m'avait ordonné l'homme du train : de partir loin de cet endroit.
Alors j'ai décidé de partir en me disant que je ne pouvais rien faire pour ma famille en restant là. J'ai suivi les rails du train. Je suis passé sous plusieurs clôtures de barbelés. Et j'ai continué à marcher pendant très longtemps, en pensant à mes parents, à mes frères et sœurs, à mes grands-parents, et en espérant qu'à eux aussi, quelqu'un donnerait un bonbon magique. »
Les deux garçons ont la gorge serrée et les yeux humides en écoutant le récit de leur nouvel ami.
« Vous deviez être très triste, dit Benoît.
- Et vous ne deviez pas avancer très vite, ajoute Juju après quelques instants, en frottant ses yeux.
- En effet. J'ai marché plusieurs jours sans voir personne.
J'ai fait connaissance avec la nature qui m'entourait. D'abord pour trouver à manger, puis pour éviter les dangers comme les insectes ou les oiseaux. J'ai même aidé quelques animaux : une mouche prise dans une toile d'araignée. Un petit oiseau tombé de son nid, que j'ai caressé et rassuré jusqu'à ce que sa mère vienne le chercher et l'aide à s'envoler... Ça me permettait de me sentir moins seul.
Et puis j'ai remarqué que je grandissais. Chaque jour, j'avançais plus vite. Le cinquième jour, je devais mesurer la même taille que toi maintenant, Julien.
- Oh ! Vous aussi ? Mais savez-vous pourquoi ?
- Ça je l'ai compris un peu plus tard, dit le vieil homme avec un sourire.
Après environ une semaine, je suis arrivé à une ferme. J'y suis rentré parce que je voulais voir des humains. Et essayer de savoir où j'étais. Tout ce que j'ai trouvé, c'est une fillette de six ans, seule depuis plusieurs jours. Elle s'appelait Charlotte. Le lendemain, nous avons pris la route ensemble parce que ses parents ne revenaient pas.
A partir de là, même si c'était toujours très difficile de se débrouiller pour manger, se cacher, trouver des endroits où dormir, marcher... nous étions deux et c'était beaucoup mieux. Nous chantions des chansons le long du chemin. »
Un sourire tendre flotte sur les lèvres du vieil homme et pendant quelques instants, il semble être très loin, sur les routes avec son amie Charlotte.
Trouve le nom de la chanson préférée de Léonard et Charlotte grâce au code :
Connais-tu cette chanson ?
« Un jour nous sommes entrés dans une maison isolée, reprend-il. Nous pensions qu'elle était inhabitée et que nous pourrions y dormir. Mais nous y avons rencontré une vieille dame qui était malade, alitée. Nous sommes restés avec elle pendant trois semaines, pour nous occuper d'elle, jusqu'à ce qu'elle guérisse.
Pendant ce séjour, j'ai beaucoup grandi. Quand nous sommes repartis, j'étais deux fois plus grand qu'en arrivant.
J'ai alors eu la confirmation de ce que je soupçonnais déjà : je grandissais quand j'aidais une créature vivante, humaine ou animale. Je me suis aperçu ensuite que c'était aussi le cas quand je faisais quelque chose de courageux ou de très malin. »
A ces mots, Benoît se frappe le front en s'écriant : « Mais bien sûr ! », tandis que Juju s'exclame : « Je comprends !
- Tu as grandi après avoir trouvé que c'était Salade qui débranchait la vitrine de Caroline ! reprend Benoît à l’adresse de Juju.
- Et après notre conversation dans le parc, à propos de la maman des triplées, ajoute Juju.
- Et encore après qu'on ait récupéré le cadeau de Thomas à travers la grille d’égout !
- D'après ce que vous m'avez raconté pendant le déjeuner, intervient Monsieur Skaros, tu as déjà dû grandir après avoir franchi le fil électrique. Ton idée de tyrolienne était à la fois intelligente et courageuse !
Et peut-être aussi en osant venir ici, faire connaissance avec moi. »
Sur cette phrase, le vieil homme a les yeux qui pétillent de malice, et les joues des garçons prennent une belle couleur de tomate mûre !
« Et je crois aussi que tu grandis depuis que tu écoutes mon histoire. »
Juju regarde ses pieds, qui atteignent maintenant le premier barreau du fauteuil sur lequel il est assis. Ce qui n’était pas le cas tout à l’heure !
« Tu ne tiendras plus dans ma poche maintenant ! s’écrie Benoît en riant
- Mais il me reste encore beaucoup à grandir pour retrouver ma taille » constate Juju.
Un homme traverse le parc et entre dans la maison après avoir adressé un salut de la main aux trois amis. Il porte un seau de peinture.
« C’est Jean-François, dit Monsieur Skaros. Il m’a proposé de repeindre les volets.
- Il habite ici, lui aussi ? demande Juju.
- Oui, depuis deux ans. En fait c’est ta maman, Benoît, qui nous a présentés. C’est un de ses anciens camarades d’école. Jean-François avait besoin d’un toit.
Depuis, il a trouvé un travail. Je crois qu’il se sent bien ici. »
Juju se dit que ça ne l’étonne pas : Monsieur Skaros sait mettre les gens à l’aise.
Fin de l'épisode