Cela faisait bien une semaine et demie que Charlotte avait été purement et simplement radiée du Crimson Klub. Au départ, cela ne l’a dérangé aucunement. Se disant juste qu’elle ne verrait plus Absynthe et que ça lui allait parfaitement. Après tout, elle avait le numéro de tout le monde sur son portable. Si elle voulait voir quelqu’un, elle pouvait toujours appeler. Ou plus simple, pour faire littéralement chier dans ses bottines la brune, elle pouvait organiser une petite soirée avec la bande, sans la patronne, bien entendu, dans son luxueux appartement avec vue sur le Jardin Public.
Sauf que malgré tout, pendant cette semaine et demie de déconnexion avec ses amis. Car elle n’avait réellement téléphoné à personne. Si tant est que Hiacynthe faisait partie de la bande, ce qui n’était aucunement le cas. Les seules personnes avec qui elle avait été en contact était celles de son cabinet, dont Nathaniel. Tiens, d’ailleurs, elle devrait l’inviter à dîner un soir. Ça faisait bien longtemps qu’ils n’avaient pas passé une soirée ensemble. La dernière datant sans doute de l’époque de la fin de leurs études de droit. Et Hiacynthe. C’était tout. Il était vrai que ne pas aller aux soirées du vendredi, ne pas envoyer de message à Elliot ou Léo lui faisait comme une sorte de vide à l’intérieur. Même ses collègues l’avaient remarqués. Elle avait une petite mine et était bien moins combative dans ses dires. Que ce soit pendant un procès ou au bureau envers son patron.
Comme quoi, ce qui venait de se passer l’avait quelque peu affecté, même si, vu son caractère, elle ne l’avouerait pas. Pour que le sourire suffisant d'Absynthe n’apparaisse jamais sur son visage. Qu’elle ne le voit jamais plus. Hiacynthe, voyant tout de même cette baisse de morale elle aussi, car les deux demoiselles se voyaient de plus en plus… Lui avait dit qu’elle pouvait venir au Club les dimanches ou la barmaid était certaine que sa patronne ne serait pas présente. Pour boire un coup, possiblement voir les autres… Et discuter avec elle et Billy. Mais la rouquine avait préféré refuser. Elle était inconsciente à certains moments. Mais pas quand ça concernait le travail. Ne voulant pas que son amie ait des problèmes à cause d’elle. Absynthe était si virulente qu’elle pouvait vraiment virer le vigile qui l’avait autorisé à entrer dimanche dernier… Elle ne voulait pas que la même épée de Damoclès se balance au dessus de la tête de la mâte de peau dès à présent.
De ce fait, elle avait fini par demander un jour de repos hier. Oui, vous avez bien lu. Charlotte, une bourreau de travail, venait de demander pour la première fois un jour de vacances. Si on peut dire ça comme ça. C’était le vrai bordel dans sa caboche rousse, elle avait donc besoin de se retrouver seule avec elle-même pour arriver à mettre en ordre ses pensées. Elle aurait très bien pu le faire aujourd’hui et demain, pendant le week-end, mais non, elle en avait eu besoin avant. Du coup, elle avait été à la Cathédrale de Pey Berland pour profiter de la fraîcheur et de son calme pour réussir sa mission du jour.
Voilà ou cette réflexion de presque une journée, assise sur les chaises tressées du lieu l’avait conduite. Venir s’excuser auprès d’Absynthe. C’était ce qu’elle était partie faire aujourd’hui. Vous devez vous demander ce qu’il prenait à notre rouquine favorite ? Car celle-ci n’est pas du genre à s’excuser… Pourtant… Elle avait fini par se rendre compte que sa vie ne tournait qu’autour du BDSM. Que sans ce gros détail dans sa vie, celle-ci était complètement vide. C’était super de tout donner pour son travail, de s’immerger dedans. Mais ce n’était pas ce qui la faisait s’épanouir le plus. Le travail d’avocate y contribuait, mais pas à la majorité. C’était un peu comme avec Equinoxe, qui avait besoin de se faire soumettre, Charlotte, elle, avait ce besoin de dominer.
Bien sûr qu’elle pouvait trouver une soumise sans le Club. Néanmoins, c’était plus compliqué, car les soumises sur les sites tels que Fetlife, un site de rencontre BDSM, la plupart des soumises sans Maîtres étaient trop jeunes, trop inexpérimentées et ça, Charlotte s’y refusait. Les minettes fantasmant sur Christian Grey après la lecture du roman ou le visionnage des films, c’était le type de soumise qui lui donnait envie de vomir ou même de taper dans un sac de frappe. Si elle pouvait brûler chaque exemplaire de cinquante nuances et de Twilight, elle ne s’en priverait pas et la Terre s’en porterait bien mieux.
Il était quinze heures quand elle descendit de sa voiture, qu’elle avait justement garé devant le Club. Il faisait encore assez soleil et chaud, mais pas trop. La température que la rouquine aimait le plus. Ne supportant pas le froid. Remontant doucement la rue, elle pu voir que malgré l’horaire, en pleine après-midi, la file d’attente pour entrer dans le Club ce soir, à partir de dix-huit heures était déjà bien entamée. Comme quoi… Celui-ci était le plus connu de la ville. Arrivant juste devant, il n’y avait personne. Pas de vigile. Normal, tout le monde respectait l’horaire d’ouverture. Allant ouvrir la porte pour s’y engouffrer, l’homme qui était le premier dans la queue l’apostropha.
- Hey, ma jolie, tu fais la queue comme tout le monde ! En plus c’est pas encore ouvert.
- Je t’emmerde. Je connais la patronne, j’ai un truc à lui dire., lui sortit-elle, sans délicatesse aucune, avec un ton des plus sombres.
Ce n’était pas le moment de l’arrêter dans son élan, surtout pas un petit con qui se croyait supérieur. Une fois à l’intérieur, il faisait bien plus sombre qu’à l’habitude. Les employés n’allumant apparemment que les lumières des endroits ou ils étaient en train de s’activer. Sûrement pour économiser l’énergie ou pour vraiment faire une différence entre l’ouverture et la fermeture. Elle salua quelques-uns des employés, Hiacynthe étant en repos ce soir, c’était aussi pour ça qu’elle avait choisi le samedi. Montant les marches menant au bureau de son ancienne amie, comme si elle faisait l’ascension impossible vers l’Olympe.
Une fois devant la porte, elle frappa, le cœur battant à tout rompre dans sa gorge, lui donnant alors l’envie de vomir. Charlotte stressait. Autant de part son geste d’excuse qui ne lui ressemblait guère que par le possible refus d’Absynthe. La dominante brune n’était pas des plus tendre. Charlotte non plus. Mais contrairement à elle, l’avocate donnait de nouvelles chance quand cela le méritait. Ce qui n’était pas toujours le cas pour la patronne.
- Entrez…, entendit-elle prononcer Absynthe de l’autre côté de la porte.
Prenant une grande inspiration après avoir avalé sa salive goulûment à cause de l’angoisse, elle tourna la poignée pour pénétrer dans le bureau de son ancienne amie. Posant ses yeux vers sur Absynthe, elle pu détecter de la surprise sur son visage malgré sa non-expression apparente. Ce n’était pas très habituel chez elle. Mais la rouquine se dit que c’était sûrement parce qu’elle travaillait.
- Comment es-tu entrée ?, fut la seule phrase qu’elle prononça, sur un ton froid, presque agacé.
- J’ai juste… Bah je suis entrée. Vous ne fermez pas à clé pendant la mise en place et tes vigiles n’arrivent que vers dix-sept heures.
- Je vois. Je renforcerais les contrôles à l’entrée…, rembrailla-t-elle, pensive, comme si elle s’efforçait de faire comme si Charlotte n’était qu’un fantôme. Ce qui exaspéra l’intéressée, mais il ne fallait pas qu’elle perde son calme.
Prenant à nouveau une inspiration, elle s’avança pour venir s’asseoir en face d’elle.
- Je ne crois pas t’avoir invité à t’asseoir.
- Arrête Absynthe… S’il te plaît… Je voudrais te parler…
La passivité de son interlocutrice sembla réveiller la curiosité de la brune qui releva le regard de ses feuilles étalées sur son bureau pour fixer Charlotte, un sourcil levé. Se demandant sûrement pourquoi elle n’avait pas déjà perdu son calme.
- Je t’écoute.
Merde. C’était ce qu’elle redoutait. Qu’Absynthe adopte le ton de la dominatrice qu’elle était. C’est ce qu’elle venait de faire. Ce qui mit mal l’autre dominatrice. Ayant l’impression de se retrouver à l’école primaire, devant la maîtresse, une maîtresse sexy, en train de lui demander des explications par rapport à une bêtise. Ne pouvant s’en empêcher, la rouquine détourna le regard. C’était impossible pour elle de soutenir celui d’Absynthe dans un moment de faiblesse pareille. Car elle savait… Elle savait qu’intérieurement, la patronne allait jubiler.
- Je voudrais te parler… De notre dispute…
- Ah oui ? Vraiment ? Je croyais que tu allais rester campé sur tes positions.
Tout ça commençait très mal. Mais il fallait qu’elle se lance, sinon… Sinon, elle n’allait jamais réussir.
- Écoute… Je viens pour… Pour m’excuser…
Ce fut le blanc. Un blanc de longues minutes. Absynthe s’étant pour le coup, arrêté dans son mouvement, pour regarder Charlotte. Venant de lui clouer le bec. Car elle savait que l’avocate ne s’excusait jamais pour quoi que ce soit. Sans attendre de réaction, elle s’empressa de continuer.
- Je m’excuse pour tout le mal que j’ai pu te faire avec mes comportements. Tu as raison, ce n’est pas cool de faire du forcing quand on ne connaît pas les gens. Et même si on ne s’entend pas hyper bien toutes les deux… Je t’apprécie et ait beaucoup de rester pour toi… C’est énervant que je vienne toujours pleurer dans vos bras après une rupture, mais je n’ai que vous, tu sais… Personne d’autre. Je n’ai même pas de famille. Je ne sais pas vers qui me tourner quand je suis triste. Je fais juste l’effort de ne pas aller vers toi car je sais que tu détestes ça… Je n’y suis pour rien si la rumeur de ma misérable vie amoureuse remonte jusqu’à tes oreilles… Malgré tout, j’en suis désolé…
Absynthe ne disant toujours rien. Semblant choquée, même si elle s’efforçait, selon Charlotte, de garder une certaine distance.
- Si je viens aujourd’hui, c’est que vous me manquez… Et pas que les autres. Car tu me connais, j’aurais pu les inviter sans toi un soir. Pourtant… Je ne l’ai pas fait… Parce qu’on forme tous une bande. Que sans l’une des personnes composant celle-ci… Il manque quelque chose… On l’a bien vu avec Equinoxe… Alors… J’aimerais que tu me donnes une chance. Je voudrais aussi que tu te dises que je sais à quel point tu tiens à Léo. Mais qu’il est aussi mon ami. Je ne lui forcerais jamais la main pour se voir. Il a était des plus adorables en venant boire un verre avec moi et m’écouter…
Voilà, elle venait de terminer ses excuses. Après tout, que dire d’autres ? Elle n’avait pas à s’excuser sur ce qu’elle avait dit à la brune pendant leur dispute, car celle-ci est aussi fautive qu’elle. C’est alors que la patronne posa ses papiers, sortant une cigarette. Elle fumait très peu, mais quand elle le faisait, c’était qu’il se passait quelque chose de spécial.
- D’accord.
Charlotte ouvrit ses yeux grands comme des soucoupes tellement elle n’en croyait pas ses oreilles. Comment ça « D’accord » ? Qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ?
- Comment ça ?…
- Je reconnais que je suis allé trop loin ce soir-là. Je suis très jalouse de tout ceux qui approchent Léo, même vous. J’ai surréagi, je te l’accorde. Et tu es complètement dans ton droit de te confier sur ta vie amoureuse à tes amis. D’ailleurs, je te remercie de ne pas m’inclure dedans. Vraiment, ce n’est pas quelque chose que je comprends assez bien. Du coup, je vais te retirer de la black-list.
C’était une sorte d’excuse, sans le mot excuse que venait de lui avouer Absynthe. Ce qui était vraiment surprenant. Mais en même temps, si les deux s’excusaient, c’était un bon point. Alors la rouquine se déraidit, souriant, soulagée.
- Je ne suis pas méchante, vraiment, alors essaye de te détendre avec moi, d’accord ?
- D’accord. J’essayerais.
La brune lui sourit à son tour. La pression dans la pièce redescendant drastiquement.
- Tu voulais me parler d’autre chose ? Je suis désolé, j’ai pas mal de taff sur les bras aujourd’hui… Mais passe tout à l’heure si tu veux, on prendra un verre.
- Hummm… Ah oui, si, je voulais te parler d’un truc rapidement.
- Quoi donc ?
Charlotte allait lui en parler maintenant, car pendant une soirée au Club, ce serait moins calme alors que c’était sérieux.
- J’ai rencontré un habitué du Club, tu sais, Mayo. Il a une super idée de salon sur le BDSM qu’il aimerait concrétisait. Je compte le soutenir financièrement et je voulais savoir si ça t’intéressait de devenir un de ses sponsor ? Et aussi… Il n’a plus de travail, tu n’aurais pas un poste d’agent de ménage ou de plonge pour lui par hasard ?
Autant tout lui sortir rapidement, pour voir son ressenti sur le moment. Et entrer dans les détails plus tard. La brune semblait avoir soudainement des étoiles dans ses yeux mauves.
- Un salon BDSM ? Mais quelle super idée ! Je me demande même pourquoi avec la bande on n’y a jamais pensée !
- Ouai tu as vu !
- Oui ! Je veux bien être un de ses sponsors, tu m’étonnes. Tu devrais demander à Elliot aussi. Pour un petit travail… Je dois avoir ce qu’il faut. Mais il faut que je regarde. Tu sais quoi ? Amène-le avec toi à la soirée d'Halloween, comme ça on discutera tranquillement autour d’un verre. Je pourrais lui parler du poste à ce moment-là, s’il peut attendre quelques jours.
- Okay, je fais ça. Tu n’imagines pas à quel point j’ai hâte de voir ce projet concrétisé !