Etoiles bleues indigo (5)

Par Pouiny

Puis, un jour, je m’éveillai tout en étant incapable de bouger. De ce jour là, rien de précis ne m’est resté en mémoire. Que s’était-il passé ? De quoi souffrais-je ? Alors que j’étais la principale intéressée, il m’était impossible de réaliser, puis de me souvenir de quoi que ce soit. Tout était simplement flou, lointain. Je ne voyais presque plus rien. Les phrases que l’on pouvait me dire était floues, en écho. Je ressentais de l’urgence, une panique dans certains signes lointains ; mais j’étais incapable de la partager.

« Béryl ! Béryl, est-ce que tu m’entends ?! Béryl, réponds moi, s’il te plaît !

– Jeune homme, je vous demande de partir ! C’est une situation d’urgence, ne restez pas au milieu !

– Comment voulez-vous que je parte dans un moment pareil ?! »

Je sentis des larmes, quelque part. Mais je n’arrivais plus à associer de qui elles venaient. Je m’en souviens, comme des petites gouttes d’eau, comme ce qui pouvait sortir du vaporisateur que l’on m’avait prêté pour les fleurs lunaires, et qui brillaient dans l’obscurité. Je sentis des pressions, comme si l’on s’agrippait à ma main, comme si quelqu’un pouvait tomber. Mais malgré tout, j’étais si loin de tout ceci, et si proche d’une lumière douce, lunaire, que je ne pouvais partager cette panique. S’inscrivit en moi de ce moment pourtant dramatique, une paix tranquille et doucereuse, qui volait avec indifférence au-dessus de toute la panique générale. Et sans savoir pourquoi je ressentis une pareille émotion dans un moment si critique, je ne pus jamais m’en débarrasser, tant cette tranquillité improbable ne m’avait encore jusque là jamais traversée.

« Aïden, tu devais être au collège !

– Comment tu veux que j’y sois ?!

– Nous avions un accord ! Tu passais ton brevet, et je te tenais au courant du moindre détail !

– Ma sœur va peut-être mourir, et toi tu voulais que j’aille étudier, à rester assis sans rien faire ?!

– Je ne sais pas, Aïden ! La situation est compliquée pour tout le monde, ne vient pas l’aggraver !

– Quoi, l’aggraver ?! Comment ça, l’aggraver ! Parce que je suis responsable, peut-être ?! Parce que c’est moi qui l’ait abandonnée ici ?! Tu étais où, durant tout ce temps, papa ? Et maman, hein? Qu’est-ce que vous faisiez alors qu’elle était en train de mourir toute seule ?! Votre devoir, j’imagine ?! »

Au loin, dans l’espace sombre où je flottais, j’entendis un bruit sourd, et je ne pus m’empêcher de sentir une chaleur passée sur l’une de mes joues. Et de cette chaleur culpabilisante, je ressentis un élan de tristesse et de colère, qui ne me semblait pourtant pas être la mienne. Je voyais, comme en rêve, les yeux bleus clairs et brillant d’Aïden, couvert de leurs ecchymoses.

« Et c’est moi qui aggrave la situation, en frappant les gens, peut-être, également ?!

– Arrête tout de suite ton insolence, Aïden !

– Et pourquoi j’arrêterai ? Qu’est-ce que je risque, après tout ?! Qu’est-ce qui pourrait être pire que ce que vous lui avez fait subir, toutes ces années ! Toutes ces années où vous avez détourné le regard sur ses souffrances, où vous ne l’avez pas écoutée ! Et puisqu’elle n’est pas en état de crier, alors moi je le ferai ! Je m’en fous de travailler, je m’en fous d’être un adulte, je m’en fous de tout, si ça signifie la mettre à part et la laisser souffrir comme vous avez pu le faire ! Alors oui, je rate mon brevet des collège, et sache-le, j’en ai absolument rien à faire ! Et essayez ne serait-ce que de me faire sortir d’ici et vous verrez que moi aussi je peux porter des coups, sur qui que ce soit ! Vous ne méritez même pas d’être appelés parents, je ne vois pas pourquoi je me retiendrais ! »

Je voulus porter mes mains à mes oreilles ; mais j’étais incapable de bouger. J’ouvris les yeux, après ce qui me semblait être une éternité. Je vis Aïden, assis sur une chaise près de mon lit, la tête posée sur mon lit. Il semblait dormir profondément. Je n’avais aucune idée depuis combien de temps il était là ; mais mon père semblait absent. Pensant, espérant avoir rêvé, je l’observais. Il avait des blessures sur le visage, mais moins pire ce que qu’il avait pu avoir par le passé. Il avait pourtant l’air aussi épuisé que s’il s’était battu. Doucement, je bougeai ma main. Tout me semblait lent, douloureux. Le mouvement d’un doigt me donnait comme des nausées. Mais je lui caressai la tête, lentement. Presque immédiatement, ses yeux s’ouvrirent.

« Béryl ? Béryl ! Comment tu te sens ! Est-ce que tout va bien ? Tu n’as pas besoin que j’appelle un infirmière ? »

Quand je voulus répondre, je me rendis compte avec gêne que j’étais affublée d’un appareil respiratoire.

« Tu te demandes peut-être ce qu’il s’est passé… A vrai dire, je ne sais pas trop non plus… L’hôpital nous a appelé en urgence pour nous dire que tu avais perdu conscience. Je crois qu’ils ont parlé d’arythmie… Je suis venu aussi vite que j’ai pu ! Et je ne t’ai pas laissée seule une seconde ! Je…

– Aïden…

– Oui ? Désolé, je, j’ai rarement été comme ça. Je parle trop ? Dis-le moi, si je te fatigue !

– Où est papa ? »

Mon frère se stoppa net.

« Il est parti. Attends, il faut que j’appelle les infirmières, il faut qu’elles sachent que tu es réveillée, il y a sûrement des vérifications à faire.

– Il est parti où ? »

Alors qu’Aïden allait appuyer sur le bouton, il sembla hésiter.

« Il est parti…

– Vous vous êtes disputés ?

– Que… Tu nous as entendu ?

– Je crois… Peut-être. »

Aïden appuya sur le bouton. Il se rassit rapidement, mais je le vis trembler.

« Ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est que tu ailles mieux.

– Mais…

– Il va revenir. Tout à l’heure. Et on en rediscutera. Ce n’est pas grave, et ce n’est surtout pas de ta faute ! Ça va aller. Tu me le promet ? Ça va aller ! »

Il semblait si nerveux qu’il sautillait sur sa chaise. J’acquiesçai lentement, alors que je vis arriver une doctoresse dans la chambre sombre.

« Ça va mieux, Béryl ?

– Je crois…

– Nous allons vérifier ça. »

Aïden recula au fond de la pièce, alors que la doctoresse commença à m’ausculter avec attention. Mais alors qu’elle vérifiait le rythme cardiaque, une vision me fit pousser un cri d’horreur.

« Mes fleurs ! »

Je repoussais en panique la docteur et arrachais l’appareil respiratoire sous le regard choqué de mon frère. Posées encore sur une chaise, au pied de mon lit, les myosotis avaient fané durant mon sommeil par je ne sais quel sortilèges.

« Les fleurs lunaires ! Ce n’est pas possible ! Elles ne peuvent pas mourir, pas comme ça !

– Béryl ! Recouche-toi, s’il te plaît ! »

Aïden essaya avec la doctoresse de me remettre dans le lit, mais je les repoussais avec violence.

« Pourquoi ?! Pourquoi elles sont mortes ! Je m’en occupais tout le temps ! J’ai tout fait comme il fallait ! Pourquoi !

– Béryl, tu as été inconsciente pendant une semaine ! »

Surprise, je lâchais la jardinière. Mon frère était à terre. Il pleurait. La médecin me prit par l’épaule :

« Il faut absolument vous reposer, pour le bien de votre santé, Béryl. »

Je la repoussai avec colère.

« Qu’est-ce que ça peut vous faire, à vous ! Personne n’a pris soin de ces fleurs ! A quoi ça sert d’être dans un hôpital si on n’y respecte même pas la vie !

– Le travail du personnel de l’hôpital est de s’occuper des humains, pas des fleurs…

– Et alors ?! Une vie, c’est une vie, non ? Pourquoi tout le monde est passé devant cette jardinière sans même s’y intéresser ? En quoi ma vie vaut plus que ces fleurs là ? Si je vous dit que ce sont des fleurs lunaires, qui m’ont permis de retrouver foi en la vie et l’utilité de mon existence, et qui sont unique au monde, car elles viennent de l’espace, est-ce que vous allez regrettez d’être passé à coté de leur sort ?

– Béryl… S’il te plaît… Arrête… »

Voir mon frère aussi vulnérable me fit sortir de mes gonds que davantage.

« Ah oui, et pourquoi ?! Parce que tu m’en rachèteras, peut-être ? Parce que tout le monde le sait, au fond, que ce ne sont que des fleurs banales, oubliables, récupérées à la va-vite entre deux jours d’école ! Des fleurs communes, remplaçables, que l’on achète à pas grand-chose sur la place du marché, sans doute ! Mais comme c’est moi, et que je ne sais rien de la vie, c’est facile de me raconter des histoires fantastiques et de me faire croire que tout ceci a de la valeur ! Elles sont où, les histoires de lune, d’astéroïdes et d’étoiles, hein, maintenant qu’elles sont mortes ! Et tu m’as menti aussi, quand tu m’as dit que j’étais belle ? Quand tu m’as dit que j’ai de la valeur ? Est-ce que je ne suis pas plutôt aussi remplaçable et oubliable que ces fleurs de trottoir ? »

Il blêmit sans même être capable de me répondre. Je vis du coin de l’œil des infirmières arriver. A l’idée d’être sanglée, je rajoutais rapidement :

« Et après tu te crois capable de juger le reste du monde ! Tu penses pouvoir émettre un jugement sur comment papa et maman gèrent la situation ! Mais laisse moi te dire une chose, Aïden : Tu es le pire ! Papa et maman, au moins, ils ne m’ont jamais menti ! Lâchez-moi ! »

Je continuai de hurler et me débattre alors que les infirmières tentaient de m’immobiliser pour m’attacher dans le lit. Je n’étais plus capable que d’autre chose que de la colère, même quand je vis Aïden qui, livide, sous le choc, tomba inconscient devant moi et fut récupéré par quelques infirmiers qui le sortirent en hâte de la chambre sombre.

 

Je le savais parfaitement, que j’avais été injuste. Mais même après avoir arrêté de crier, même après avoir été calmée par des médicaments, même dans le noir le plus total, accompagnée par un appareil surveillant mon rythme cardiaque, je restai en colère. Mes fleurs étaient mortes, mon ciel était devenu noir, et il n’y avait que moi pour les pleurer.

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dodoreve
Posté le 06/06/2021
Quelles colères. Elles sont parfois injustes, comme Béryl le reconnaît à la fin, mais aussi justifiées. Je trouve que tu les décris très bien.
On se rend compte du temps qui passe grâce à certains détails, aussi (le fait qu'Aïden doive passer le brevet par exemple), si bien qu'on ne se sent pas trop perdu à la lecture au milieu de cette chambre noire.
[SPOILER]
Au début des Fleurs du soleil, de ce que je m'en souviens, c'est assez paisible entre Béryl et Aïden, mais je me demande si cette colère ne pas va s'éteindre qu'en apparence chez elle... c'est aussi son désir de vivre, au fond, donc ça ne m'étonnerait pas qu'on s'aperçoive d'une immensité d'émotions gardées cachées sous la surface (j'ai réalisé que je parlais parfois de ton autre histoire comme si tout le monde avait pu la lire donc au cas où j'écrirai ça maintenant xD enfin tu me redis ce qui te convient, bien sûr !)
Pouiny
Posté le 06/06/2021
J'ai passé beaucoup de temps sur la chronologie des 4 histoires notamment pour être sûr de ne pas me tromper dans le temps qui passe, pour les fleurs de l'oubli notamment c'était essentiel parce que c'était facile de se tromper X) et je suis content du coup que ça paraisse clair !

Et je pense que tu as parfaitement compris ou j'avais envie d'aller X) donc merci !
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