ex[A]eCuTRICE

Je me plie en deux, vomis.

Qu’est-ce que je viens de faire ? J’ai encore… Je l’ai laissé sortir. L’autre. Le monstre. Holy ‘fug! J’espère qu’ils ne sont pas morts... j’espère qu’ils n’auront pas de dommages cérébraux trop importants… 

Je gerbe presque sur mes pompes. J’ai la tête qui tourne, le sol tremble… Je fouille dans ma besace, mais c’est toujours quand on a vraiment besoin de quelque chose qu’on galère à le trouver. Je vide toute sa contenue sur le trottoir, jette le sac loin de moi. Mes doigts s’agitent, mon estomac se serre. Je cherche quoi déjà ? Mes calmants. Je cherche mes calmants. Je mets une main tremblante sur mon auto injecteur que j’enfonce dans ma jambe. 

Focus. Les formes bougent, se précisent, comme si elles retrouvaient leur vraie place. Quelque chose en moi tombe… C’est quelque chose d’important, je crois. Je sais pas, c’était juste que c’était super lourd. Où suis-je déjà ? Je sais plus, on s’en fiche. Je dois… je dois… je dois.

Un écran publicitaire s’arrête devant moi. Il a l’air confus le pauvre. Il essaye de me dire quelque chose, bégaye, se décide :

 

“ Né-bou-ché ? Snif ! Gorge-en-gor-gé ! Rub! Le SnifRub l’al-li-é contre le Rhub' ”

 

Mauvaise pioche I guess. Je ne suis pas malade. Par où je dois aller ? Le panneau publicitaire me suit. Peut-être qu’il veut faire une deuxième tentative ? Mais il n’a pas le temps. Une voiture d’exécuteur s’arrête à côté de moi et deux femmes descendent. Je crois que sans tous les narcotiques que j’ai dans le sang je serais partie en courant. 

 

En silence, ils me braquent leurs tablettes et leurs lampes torches. Elles m’aveuglent, mais s’en foutent. Leurs yeux s’affolent alors qu’elles doivent décrypter les données que leur envoient leurs lunettes connectées.  

 

— Reynia… XV-568 ? Demande l’une d’elles.

 

— Nous avons perdu votre géolocalisation depuis plus d’une heure, nous vous cherchions. 

 

Ah ? Plus d’une heure ? Déjà ? On me cherche depuis plus d’une heure ? Les deux exécutrices se regardent, l’une ouvre la portière de son véhicule tandis que l’autre m’installe sur les sièges arrière. Je me laisse tomber sur la fenêtre de la voiture. Je baille à m’en décrocher la mâchoire. Pourquoi je suis assise sur un fauteuil en cuir ? 

 

— Hum ?

 

Je crois qu’on me parle…

 

— Oh ? Euh, dans un trou. Sir Potipoter est dans mon sac tho…

 

Il fait vachement sombre, il y a juste quelques points lumineux ici et là. Doit-être tard… 

Je commence à avoir un peu de nausée lorsqu’on arrive à l’orphelinat. J’ai toujours un peu envie de vomir avec le combo transport et calmant. Je ne sais pas pourquoi, c’est pas dans la liste des effets secondaires.

On m’ouvre la porte. À peine je descends du véhicule que je me retrouve avec la lumière de projos qui n’était pas là avant dans la gueule. Puis c’est des flashs bleus et rouges qui prennent le relais. Quand je récupère la vue, je comprends qu’il y a au moins quatre voitures d’Exécuteurs garées à côté de nous. Dans l’une d’entre elles, le dirlo Tafani se tape la tête contre une vitre, le visage en larme. Je crois qu’il saigne un peu aussi, ça doit être ça la tache rouge. 

On me demande d’attendre, quelqu’un veut me parler. J’ai pas à patienter longtemps pour qu’un manchot clopine vers moi. Un big ass manchot. Il porte une paire d’escarpins d’une marque de luxe. Non, c’est pas un oiseau, mais une femme en tailleurs noir et blanc à la démarche de canard. Elle tient entre ses doigts le talon d’une de ses pompes. Ça explique la dégaine. Heureusement que ses chaussures ne sont pas très hautes, sinon, elle galérait un peu plus pour marcher. 

 

— Bonjour ! s’exclame-t-elle d’une voix assez haut perchée. Vous êtes bien Reynia XV-568 ?

 

Elle a la lettre “Psi” tatouée d’or sur le front. Putain, c’est une mentaliste. Je devrais me tirer et me plaquer dans ma chambre avant d’avoir des problèmes. Ha ben, non. Je peux pas. 

 

— Je suis l’agent Violaine, se présente-t-elle. 

 

Pas son vrai nom. Les exec’ ont tous un nom de code. Parait que ça les rend plus sympathiques. Elle a l’air jeune, tout juste sortie de l’école. Elle a du mal à tenir debout à cause de son talon défoncé. Je comprends, la seule fois où j’ai porté des escarpins, ça m’est arrivé, j’étais au lycée, j’avais pas de chaussure de rechange, c’était la merde. 

 

— Vous allez bien ? me demande Violaine. Vous êtes… euh… bizarre. 

 

— Mes calmants.

 

Ses yeux agitent, je crois qu’elle fait une recherche avec la paire de lunettes connectée scotchée à son nez. 

 

— Hypotrankilis ? À votre âge ? 

 

— Stress chronique, j’explique. 

 

— Quand même !

 

C’est vrai, l’Hypotrankilis c’est pas fun. Je suis obligée de faire une bonne épuration sanguine tous les huit mois, juste pour pas perdre mon foie. Mais au moins, je déclenche pas un code Akira à chaque fois que je sors des toilettes avec du PQ collé à mes pompes. Avant, je prenais des trucs plus soft, mais ça ne me fait plus rien maintenant. Je crois que Violaine attend une réponse, j’hausse les épaules. Je sais pas quoi lui dire d’autre. 

D’un geste de la main, elle me demande de la suivre. 

Dans notre hall, des techniciens ont posé leurs fils et leur bordel mécanique. Quand je vois une boule de la taille d’un ballon de foot, poignardé par tout un tas de câbles colorés, je comprends qu’ils sont allés jusqu’à désinstaller le core de notre IA pour l’analyser.

La femme me conduit jusqu’à notre cour intérieure, où plusieurs bâtiments mobiles sont posés, leurs pals immobiles et leurs moteurs froids. Doivent être là depuis pas mal d’heures. Je cherche des yeux les autres gamins, mais pas moyen de les choper. Ils sont sûrement en train de manger… Je jette un coup d’œil à mon poignet, pour regarder l’heure, mais ça sert juste à me rappeler que j’ai perdu ma montre. 


Elle ouvre l’un des bâtiments avant de me laisser passer.

 

— Nous allons procéder à un interrogatoire de routine, m’annonce-t-elle, vous pouvez refuser, bien sûr ! 

 

Oui, je peux refuser, mais ça fera tache sur mon profil. Elle m’invite à m’asseoir devant une console, une simple table laminée de noir.  


 

— Vous savez pourquoi nous sommes là ? demande-t-elle avec une voix qui descend étrangement dans les graves.

 

Je frissonne. Une goutte de sueur froide me coule le long du dos. Hum, c’est pas normal ça, mes médocs devraient encore faire effet. La preuve, je suis en plein interrogatoire et j’ai toujours pas gerbé. Je…

 

Wôw, attends. Le père de Fumée, subtile ? C’est qu’un petit joueur comparé à celle-là. Je ne crois pas qu’elle puisse lire dans les pensées, pas aussi profondément que moi. Elle doit être que empathique, mais ces gars-là sont pires, je les déteste. Bien sûr, son analyse reste superficielle, plus, aurait été illégale, en tout ça l’était y a huit ans. »Fin, les mentalistes, on les laisse pas faire ce qu’ils veulent, même s’ils travaillent pour l’exécution. Surtout s’ils travaillent pour l’exécution en fait. Mais c’est suffisant pour voir si je mens ou pas. Et si je donne des infos, même seulement approximative, j’peux être l’objet d’une enquête approfondie et euh… rien que pour ce que j’ai dans le soutif, j’pourrais me retrouver en zonzon.

 

— Vous comprenez pourquoi nous sommes là ? répète-t-elle, plus douce.



 

— Vous avez arrêté le Dirlo… Je veux dire Mr Tafani. 

 

— Détournement de fonds confirme-t-elle. Vous vous doutiez de quelque chose ?

 

Je fais non de la tête avant de me reprendre. Ne pas mentir, ne pas mentir. 

 

— Enfin, si… avec Hylia, on se disait que c’était pas vraiment normal que les toilettes soient fix avec du scotch et qu’il s’achète un nouveau modèle de voiture tous les ans. 

 

— Pourquoi ne l’avez-vous pas dénoncé ? 

 

Je ne ressens pas de menace chez elle. Je ris. Je ris parce que son expression et sa façon de parler, elle me tue ! 

Loin de mal le prendre, elle se marre avec moi. Elle va pas me faire de mal, mais « faut pas que je lui raconte des bobards. Comment dire ça sans mentir ?

 

— Je… voulais pas m’attirer de problème. Puis le Système ne l’aurait pas laissé faire indéfiniment de toute façon ? Non ?

 

Elle réfléchit quelques secondes, puis acquiesce. 

 

— Vous avez perdu votre montre ? Que s’est-il passé ? 

 

Je lui parle de ma chute. Pas besoin d’entrer dans les détails : je visitais une église pour l’un de mes romans et je suis tombée. Elle me répond d’un sourire. Et je sens mes lèvres qui s’étirent elles aussi. J’ai même presque envie de rire. 

 

— Et votre IA ? 

 

— Oh, Sir est dans ma besace, je réplique avant de tendre la main à la recherche de mon sac… Et je me rendre compte que je ne l’ai pas. 

 

Je… j’ai laissé mon sac sur le trottoir, quand les exect » sont venus me récupérer… Putain… La dernière save du Sir date de quand ?

 

— Bref, fait Violaine, si cela ne vous dérange pas, j’aimerais en savoir plus sur l’orphelinat. Jusqu’à quel point les agissements du Directeur Tafani ont perturbé votre quotidien ?

 

Elle me pose d’autres questions et m’incite à parler de ma vie de tous les jours, comme si elle souhaitait simplement en connaître plus sur moi… 

C’est agréable de discuter avec elle. En dehors d’Hylia, je trouve rarement des gens capables de me supporter. Elle ne cache pas vraiment sa pêche d’informations, mais je m’en fiche, ça ne me concerne pas vraiment.

 

— Je crois que nous avons fait le tour, conclut-elle finalement. 

 

Elle prend quelques secondes pour lire les données qui défilent sur les verres de ses lunettes.

 

— Vous recevrez une notification sur votre montre pour… oh, pardon, vous l’avez perdue c’est ça ? 

 

J’acquiesce. 

 

— Dans le sous-sol d’une église, c’est ça ?

 

J’acquiesce encore et elle met quelques secondes avant de continuer. 

 

— Que vous avez visité pour l’un de vos romans, c’est ça ? 

 

— Oui.

 

Finalement elle se lève. Bien qu’assise, j’ai l’impression d’avoir été jetée à terre. Elle manipule mes émotions et là, elle a fini de jouer. 

 

— Je pense que ce sera tout. Nous allons essayer de récupérer votre tablette. Nous les changerons gratuitement au vu du tort qui vous a été causé.

 

Je refoule tout sentiment de trahison. À quoi j’rêvais ? C’est une éxec' !

 

— Puis-je lancer un dernier scan avant de vous laisser partir ? Ce n’est qu’une formalité. 

 

— Oui bien s… Je commence…

 

... avant de me souvenir de la carte de donnée cachée dans mon soutif. Ce n’est pas illégal, mais très suspect. Ce qui pourrait ouvrir à une enquête plus approfondie et… et quoi ? Dans le meilleur des cas, ils découvriront que je suis une psy, dans le pire, tout le reste. Je fais quoi ? Je lui grille le cerveau ? Je fuis et change d’identité ? Chuis trop défoncée pour faire quoi que ce soit de toute façon. 

 

« Formalité » ? Non, clairement pas. Où est-ce que j’ai foiré ? Je ressasse la conversation…  

 

La femme s’empresse d’activer un scan depuis sa montre. Les données sont directement transmises dans ses lunettes… Visiblement surprise du résultat, elle lance immédiatement un deuxième.

 

Ses yeux se déplacent frénétiquement de gauche à droite. Je suis… foutue… Il me faudra trouver une explication très plausible pour…

 

— Il n’y a rien à signaler. Vous pouvez retourner dans votre chambre. La nouvelle direction arrivera demain. Pour l’instant, vous êtes à notre charge. 

 

Son ton devient froid et sec. Ça doit être comme ça qu’elle est en vrai. 

 

Je me force à sourire avant de partir. Porte la main à ma poitrine. Mon argent a disparu. La carte a dû tomber lors de ma chute… J’fais quoi maintenant ? Holy fugin’ shit. 

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Tac
Posté le 22/11/2022
Yo !
J'ai trouvé archi chouette comment était construite la discussion avec la psy. Quand le chapitre a démarré je me suis dit "wow tout ça parce qu'une orpheline a disparu pendant une heure" et j'ai truové ça sympa le contre pied de "ah bah non le dirlo faisait du détournement de fonds".
L'étau ne se resserre pas directement sur notre protagoniste mais y a quand même une tension qui monte et j'apprécie les leviers sur lesquels tu appuies pour ce faire. Je trouve que ça ne sonne pas du tout artificiel et tu arrives à me surprendre, c'est agréable !
Plein de bisous !
Pandasama
Posté le 11/12/2022
Salut !

Encore merci pour ta lecture ! C'est en effet le chapitres où les choses deviennent sérieuses !

Merci et des bises !
Aramis
Posté le 09/09/2022
Coucou Panda ! Me revoici !
J'ai beaucoup aimé la présentation de l'exécutrice hahaha, cette histoire de talon cassé marque l'esprit, ça lui donne d'office un côté un peu foutraque (oui, j'ai utilisé le mot foutraque.) et ça la rend assez difficile à cerner, avec la conclusion glacée de son comportement, ce qui est chouette, j'espère qu'on va la revoir. Aussi, contente de croiser un personnage exécuteur, étant donné que le mot revient pas mal sans qu'on n'ai pu vraiment comprendre de quoi il retournait ça commence à donner des infos au compte goute, et franchement ça fais bien tenir le récit.
Reynia est hyper cool, je suis vraiment fan de son côté hyper stressée, bête traquée et en même temps assez blasée et détachée dès que ça ne la concerne plus directement, son train de pensé pendant l'interrogatoire était très chouette à suivre. Hâte de voir comment tout ça va évoluer !
Pandasama
Posté le 09/09/2022
Salut !

Alors, déjà, le mot foutraque me semble parfait pour décrire le personnage. Ravie de voir que le personnage de Reynia te plait, moi en tout cas, je m’éclate à l’écrire.

Et comme toujours, merci pour ta lecture !
Feydra
Posté le 19/08/2022
C'est une scène assez révélatrice, intéressante quant à la personnalité de Reynia. Tu as réussi à bien montrer le décalage entre sa personnalité "réelle" et celle qui est apparue dans le chapitre précédent. Le dialogue avec l'exec est bien mené : tu nous fais vivre ses pouvoirs d'empathe en même temps que le personnage. C'est très réussi !
Par contre c'est une scène très rythmée, où on oublie entièrement ce qui s'est passé juste avant, c'est dommage. On n'a pas trop le temps de se poser et de réaliser qu'elle est sortie de la cachette des deux autres : avec un peu plus d'indications de lieu, ce serait plus facile de suivre.
J'adore la référence du code Akira. 😉
Merci pour ce moment de lecture !
Pandasama
Posté le 19/08/2022
Salut,

Effectivement, les évènements qui se déroulent entre les deux chapitres sont un peu occultés, cela t’a donc gêné ? Je note en vue d’une réécriture !

Sinon, je suis ravie que voir que le reste t’ait plu !

Merci pour ta lecture ;)

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