Exposition

Personne ne réagit. Tous les trois ont l’air aussi tendus qu’un groupe de musiciens avant l’entrée sur scène. Tous pressentent que leur vie peut basculer au premier mot. Ils n’osent même plus respirer, comme si le moindre bruit, le moindre souffle, pouvait les précipiter dans le néant. Un peu comme un funambule oscillant sur son fil au-dessus d’un ravin, tanguant entre équilibre et chute mortelle, redoutant le mouvement qui mènerait à sa perte.

Les trois échangent un regard inexpressif. Gaspard Fée répète ces quelques mots, si dérisoires par rapport au silence de mort qu’ils ont déclenché.

- Vous êtes sous ma loi. La Loi de Gaspard Fée. C’est moi, précise l’homme avec un petit sourire fier, comme si cela n’allait pas de soi.

Les trois adolescents en face de lui ne comprennent pas vraiment ce qu’il veut dire, mais ils sont tous intimement convaincus que cela ne présage rien de bon. Ils n’ont pas besoin de communiquer, mais par cet unique regard qu’ils ont échangé, Elvis, Myriam et Julian savent que ce qu’ils ont tenté de cacher pendant des semaines ressurgira sous la pression de l’homme qui les scrute depuis le début de leur échange. Il guette la moindre expression faciale de leur part. Ses grands yeux bleus sont comme deux phares braqués sur les trois adolescents. C’est l’impression que cela leur fait, du moins. L’homme reprend :

- Sous ma loi, vous êtes tous coupables. Personne n’est blanc comme neige. Si vous êtes ici, aujourd’hui, c’est que vous avez joué un rôle dans cette affaire. Et vous allez me faire vos aveux.

Il les observe un à un puis conclut :

- Et vous me les ferez de votre plein gré, croyez moi.

Le détective a bien caché son jeu, depuis le début. Il est venu à eux, un jour froid de février, l’air de rien, et leur a annoncé qu’il était détective et qu’il devait les interroger. C’est tout. Il a gentiment souri, s’est pris les pieds dans la moquette, s’est lamentablement écrasé sur le sol, puis s’est relevé et a pouffé d’un air embarrassé. Il avait bien pensé son entrée en scène. Tout était calculé, mais les trois amis s’en étaient aperçus bien trop tard. Ils avaient pris le détective pour un moins que rien et s’étaient persuadés qu’ils passeraient aisément au-travers des mailles de son filet. C’était mal le connaître.

Maintenant, dans ce salon cossu, ils ont conscience de quoi Gaspard Fée est capable. Il les poussera dans leurs retranchements, les bousculera sans vergogne, les attaquera de toutes parts, sans relâche, les montera les uns contre les autres jusqu’à ce qu’ils craquent et avouent. Les yeux anxieux de Myriam, Julian et Elvis se croisent à nouveau, et ce qu’ils décèlent cette fois-ci dans les prunelles de chacun, c’est le désarroi. Leur conscience affolée s’agite et cherche par tous les moyens un mensonge, un moyen de redevenir innocent et d’échapper au jugement de Gaspard Fée.

Sauver sa peau, à tout prix.

Mais au fond d’eux, ils savent. Ils savent depuis le début que cette affaire ébranlera leur vie.

Ils savent.

Il n’y a pas d’échappatoire.