Mitsu Takano – recrue informatique Torii, février 2011
Sa ceinture le serrait désagréablement à l’abdomen et il était persuadé que le régiment s’était trompé dans la taille de sa veste tant elle l’oppressait. Mitsu n’osait pourtant pas décrocher un seul bouton de son nouvel uniforme, il avait bien trop peur d’une action disciplinaire. Cinq minutes après le début de son premier poste dans l’armée, il aurait compris qu’on l’envoie à la guerre. Ses yeux guettaient nerveusement son officier de commande. Il n’osait pas s’asseoir, les meubles ici lui semblaient aussi froids que l’ambiance était glaciale. La climatisation et l’aspect aseptisé de l’endroit, presque robotique, n’avaient fait qu’augmenter son malaise grandissant. Le jeune homme ne trouvait nulle part où se cacher dans cet immense hall d’entrée. C’était sa première fois dans un centre de transfert, il allait enfin voir à quoi ressemblaient les Portes de voyage.
- Recrue Mitsu Takano ?
L’adolescent se crispa en un salut très raide avant de se mettre au repos sur un signe de l’adulte. Le dossier dans les mains de son vis-à-vis l’angoissait par son épaisseur, sûrement qu’il ne s’agissait pas du sien n’est-ce pas ? Il ne s’était permis aucun accroc dans sa formation : les meilleures notes, hormis quelques carences calculées dans son physique. Porte…il ne voulait surtout pas se retrouver à crapahuter sur le terrain. Encore moins à tuer des gens dont il ne connaissait rien.
- Vous êtes ici pour votre troisième stage dans le cadre de votre dernière année d’étude à l’Ecole de géo-informatique. Spécialisé dans la gestion des portes de transport. Correct ?
- Correct, monsieur.
- Derrière moi.
L’adjudant se mit à avancer et Mitsu s’empressa de le suivre. Leurs pas résonnaient sur la blancheur des murs ; il se força à fixer le dos de son supérieur. Tout ici était mutant à ses yeux, décalé, loin de la vie de ses quartiers natals. Le jeune homme avait pourtant déjà pu visiter de nombreux lieux à cause de son exode, mais rien ne l’avait préparé à un environnement aussi différent. Il était né dans un petit village de la zone japonaise de la Plateforme. Un petit coin tranquille jusqu’à ce qu’un groupe mafieux ne décide d’y faire exploser un restaurant pour marquer leur désapprobation face au monopole des Sawada, une autre famille mafieuse collaborant directement avec le gouvernement. Ses parents avaient fui, gamin sous le bras, pour trouver refuge dans une autre ville, puis dans la capitale, Torii. La guerre civile les y avait malheureusement rattrapés. Mitsu avait vu ses parents disparaître dans une descente brutale au marché et s’était acoquiné avec des groupuscules de raveurs. La guerre profitait à toute sorte de monstres, à la réflexion, c’était ses talents de bidouilleur qui l’avaient sauvé d’un sort pire encore. Certains gosses disparaissaient pour toujours. Il s’était employé à se rendre indispensable, maniant électricité et basse magie avec dextérité et chance ; il avait failli perdre un œil une fois.
- La Porte. Vous serez de veille pour la prochaine semaine, ouvrez grands vos mirettes et apprenez, vous en partagerez la responsabilité dès la semaine suivante. Cette Porte doit être fonctionnelle vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Mitsu cligna des yeux, s’extirpant de ses pensées. L’adjudant s’était arrêté devant une porte coulissante en métal, ce n’était tout de même pas…
- La zone d’arrivée est à l’intérieur.
Sa déception avait dû se lire sur son visage. L’adolescent reprit une posture neutre avant de regarder la carte glisser dans une serrure magnétique et le métal s’écarter pour révéler une grande zone vide de tout meuble. Le toit était en coupole et des inscriptions le parcouraient, descendaient le long des murs jusqu’à s’étendre sur tout le sol. Mitsu sentit l’énergie vibrer sous lui dès que ses pieds touchèrent une des gravures. Enfin. Un des artefacts qui avaient été enfoncés dans le sol. Il se retint de se baisser pour le toucher de ses doigts et l’admirer. Une porte était composée de 64 artefacts séparés par de savantes inscriptions et calculs qui maintenaient leur stabilité et cumulaient leurs pouvoirs. Une merveille de technologie combinatoire entre magie et science.
- Soldat ! Suivez !
L’adulte avait été indulgent, le spectacle laissait tout un chacun bouche bée, mais le programme de la journée était chargé et la salle devait rester disponible en cas d’arrivée. Ils attendaient la venue d’un Sculpteur depuis la Terre ! Enfin. Le Quatrième Monde comme ils l’appelaient ici. Le soldat secoua sa tête et entraîna l’adolescent jusqu’à une fente séparant le mur en deux en un étroit corridor qui devait faire le tour du dôme. Sa planète lui manquait. Encore cinq ans et il pourrait demander un changement d’affectation, loin de cette guerre civile qui pourrissait le peu de temps-libre qui lui était accordé. Il s’arrêta devant un des nombreux centres de commande qui parsemaient le dôme.
- Désormais vous passerez par les accès extérieurs, la sécurité prime. Voici votre badge, affichez le bien en vue si vous ne voulez pas finir en cellule. Tes collègues vous donneront votre ordinateur, vos outils de détection et tout ce qui vous sera nécessaire durant votre stage. Je suis votre référent officiel, en cas de question ou de problème, envoyez-moi un message. Voici votre tablette. A me rendre à la fin de ton séjour ici. Toute détérioration du matériel sera retenu sur votre salaire et influencera votre note finale.
L’angoisse revint serrer la gorge de Mitsu et il récupéra ses possessions, toute excitation disparue.
- Je dois vous rappeler le contrat de confidentialité qui vous lie à notre centre. Les transports ici sont hautement secrets et politiques – hormis le riche en vadrouille occasionnel – le secret est donc primordial. En cas de rupture, vous serez enfermé et jugé pour haute trahison envers votre pays et votre empereur. Est-ce clair ?
- Oui, monsieur. Très clair.
- Je vous laisse entrer en ce cas, quelqu’un d’autre se chargera de vous montrer ce soir vos quartiers où vos affaires ont été déposées. Soldat.
Le supérieur se fendit en un salut avant de s’éloigner à grand pas. Mitsu le regarda un instant avant de s’avancer face à l’entrée du centre de commandes. Respirer. Il avait galéré pour en arriver là, il n’allait pas craquer à présent !