Fatalité

Notes de l’auteur : Bonne lecture

Rien n’allait, pourtant tout resplendissait autour de Florentin. Les arbres avaient cette odeur de chaleur, l’herbe dansaient sous la brise d’un printemps ensoleillé, les oiseaux chantaient une douce mélodie qui en temps normal aurait empli de cœur de Florentin d’un océan de bien-être. Cependant, la difficulté ancrée en lui était si profonde, qu’il n’entendait et ne ressentait plus de la même façon. Les battements martelaient son cœur comme l’aurait fait un marteau-piqueur sur du béton. Il avait de plus en plus de mal à rester droit. Son dos se voûtait, son visage restait rigide, son regard ne voyait plus la beauté du monde. Il se perdait seconde après seconde dans un univers sombre et dans lequel la nuit perdurait. La déprime teintait sa vie, aspirant son énergie vitale.

Bientôt un an qu’il cherchait du travail, sans résultat. Il avait postulé dans tous les commerces de Claire-de-Lune et ceux des villes alentours. Personne ne voulait de lui. Personne n’avait besoin de son énergie et de sa bonne volonté.

Désormais, il ne pouvait compter que sur sa mère pour le garder dans un certain confort qui n’en était plus vraiment un. Pouvait-il parler de confort, quand autour de la table, les regards inquisiteurs de sa nouvelle famille se posait sur lui ? Quand dans la rue, les voisins le jugeaient ?

Une honte odieuse envahit son corps et il supplia l’univers afin de disparaître de la croûte Telvénienne. Se fondre dans l'ombre d'un bâtiment, d'un sous-bois, d'une roche... peu lui importait pourvu que personne ne le voit !

Il baissa la tête, joint les mains et étudia son ombre.

— Comment est-on monde ? Est-ce aussi compliqué de trouver sa voie ?

Il fixa la tache noir relié à ses membres.

— Pourquoi es-tu assis, toi ? Est-ce que ton cœur souffre autant que le mien ?

Sa propre ombre, plantée dans l'herbe, oscilla sous la brise légère. Une voix, pareille à celle de Florentin s'invita à son oreille :

— N'avons-nous pas le même cœur, oh, toi ma couleur ?

— Sans doute.

— Cesse de pleurer sur ton sort. Si personne ne t’attend fait en sorte de devenir ton propre patron.

— Ce serait croire à l’impossible.

— Alors reste dans ta torpeur et ne m’ennuies pas.

L’ombre revêtit son silence habituel.

 

Causer tout seul, n’arrangera rien, songea le jeune homme.

Assis sur un rondin de bois dans la forêt Epicée, Florentin écaillait une pine de pin, tout en regardant sa mère et son futur beau-père se courser comme deux adolescents à travers les boutons d’or. Eva lisait un bouquin sur la mode et crayonnait sur un carnet la robe qu’elle porterait pour le mariage prochain des deux tourtereaux. Tous demeuraient heureux, le temps des larmes avait cédé sous le poids des sourires, néanmoins cette joie blessait le jeune menuisier. Le bonheur de sa mère lui devenait insupportable et la jalousie face à ce tableau de famille écorchait son cœur.  

— Quand ils seront mariés, Jeandilon finira par en avoir assez de me voir encore chez ma mère. Que pensera le voisinage ? Maman ne dit rien, mais hier, j’ai bien entendu les critiques de madame Querel. Etaïl, dieu des sous-bois, façonneur d’espoir, que devrais-je faire ? Où est mon avenir ? Je ne le vois plus, murmura-t-il

Florentin se confia au sous-bois qui l’abritait du soleil ardant. Il regrettait de ne point avoir un bon ami à qui raconter ses malheurs. Évidemment, il n’était pas tant à plaindre, il vivait sous un toit, aimé de sa mère, il mangeait à sa faim. Mais tout cela aurait une fin et Florentin redoutait ce jour, plus que les autres, le jour où sa mère lui demanderait de partir. Aurait-il le droit de lui en vouloir ?  

L’angoisse, sa meilleure amie du moment, broda de multiples doutes dans son esprit. Elle le laissait aussi impuissant qu’un seau d’eau devant un brasier.

 

Florentin poussa un nouveau soupir. Qui est-ce qui lui mettait les bâtons dans les roues ? La société ou bien lui-même ?

Le jeune homme se laissa aller doucement sur la terre fraîche, prenant garde à ne pas écraser les coccinelles. Sa tête s’appuya sur sa main et il leva les yeux vers le ciel, trop clair.

À ce même instant, un oiseau bleu se posa sur une branche base, près du tableau heureux de sa famille.

L’animal possédait une drôle d’attitude. Un peu comme s’il provenait d’une de ces boutiques hi-teck, dans lesquelles les gosses se procuraient des animaux mécaniques. Moins d’entretiens.

Un drone à l’apparence animal ? pensa Florentin, par la suite.  

Le monde semblait rester pareil qu’il y a deux-cent ans, avec ses maisons et ses bâtiments en pierre, ces enseignes en fer forger et ces trottoirs toujours dallés des mêmes pierres, la technologie gagnait en force d’une année à l’autre. Il suffisait de voir les portables déformables que les jeunes possédaient et les jardins de la ville – la plupart factice, créés de toute pièce par d’ingénieux faisceaux lumineux. Une semaine sur deux le décore changeait, propulsant les visiteurs dans des lieux exotiques. La vie était un mélange de l’ancien et du nouveau. Les dirigeants avaient pris le meilleur des années 1900 et 2000, pour quand 2160 les personnes collent à leur idéal. Les livres d’histoires apprenaient tout cela, ils donnaient même les noms de ces pionniers ; Miss Adéline Randron, Mr Haugutie Asalée, Dame Ulisa Delacour, Christian Ambroisia, Johakim Mecdab, Yuko Nakarita. Six grands noms de l’histoire. Six personnes qui, l’explosion du soleil artificiel en 2060 et la grande peste de 2065, avait joint leur fortune pour recréer un mode de vie moins chaotique. Mais aujourd’hui, qu’importait cela, Florentin s’en moquait bien, lui. L’histoire ne lui donnerait pas un travail et cet oiseau, réel ou non, ne lui apporterait rien de particulier.

Le volatile observa le couple, ainsi qu’Eva. Les trois plumes sur sa tête se redressèrent, lui donnant un air comique. L’animal se laissa attendrir, alors que dans son coin, Florentin n’arrivait plus à apprécier les rires de sa mère, les blagues drôles de Jeandilon et la beauté d’Eva. L’Espérance s’envola ne trouvant ici, qu’un bonheur admirable.

Florentin, dans l’ombre de ce tableau, écouta les poussées puissantes de l’animal, qui déjà avait disparu.

 

Dans la soirée, le jeune homme, trouvant appuie sur le rebord de sa fenêtre, ne cessa de regarder vers le bas. L’envie de plonger dans le monde de son ombre devint plus forte à chaque instant. Il s’en détourna, cependant, et vint poser ses mains sur la surface froide d’un miroir. Il étudia son double, demanda :

— Et ce monde miroir dans lequel tu vis, comment est-il ?

— Aussi changeant que l’humeur d’un enfant. La reine qui régit le royaume Miroitant, s’amuse avec les formes et déroutes ceux qui regardent avec les yeux. Tu ne tiendrais pas plus d’une heure, ici.

— Je vois.

Le reflet du miroir parut sourire et disparut quand Florentin se pencha à nouveau à la fenêtre. 

On toqua à la porte. Florentin ne bougea pas admiratif des nuages voyageurs.

La voix de Jeandilon lui parvint, douce, réconfortante. Il avait un étrange pouvoir sur les gens quand il parlait. Personne ne pouvait fuir ces mots. Ils pénétraient dans la tête et provoquaient une sorte d’apaisement.

— C’est dommage que tu n’aies pas goûté au pâté en croûte de ta mère, il était succulent. Je peux entrer ?

— Tu peux entrer.

La porte s’ouvrit et un appel d’air leva les mèches pendantes du jeune homme.

— Je peux m’asseoir ? demanda Jeandilon.

Florentin se détourna du vide et planta ses yeux vert forêt dans les yeux turquoise de son futur beau-père. D’un geste de la main, le jeune homme lui proposa le lit. Jeandilon lui adressa un sourire et s’y posa, les mains rabattues sur ses genoux, la tête inclinée et le visage baignant dans la clarté de l’astre.

— Demain, je vais chercher du tissu pour ta mère à la ville Grenade, j’aimerais bien que tu viennes avec moi.

Bien que bouleversait par la beauté de l’homme, Florentin garda une distance cérébrale, et presque dans l’indifférence, il remua la tête.

— Hum, si cela peut te faire plaisir, je viendrai.

Un silence apparut dans la chambre. Il se prolongea alors que les hommes se fixaient sans a priori. Toutefois, comme avec Eva, Florentin visualisa une ombre néfaste onduler sur le visage de Jeandilon. Il possédait un quelque chose de déroutant, d’insaisissable.

Le temps de quelques secondes, un nuage cacha la lune. Le jeu de lumière dévoila un étrange miroitement dans les yeux du quarantenaire. Un instant, Florentin crut qu’il portait des lentilles.

La voix pénétrante de l’homme continuait de se promener dans la pièce, laissant son vis-à-vis confus.

Florentin porta sa main à son oreille. Un sifflement désagréable persistait. Il revenait à chaque fois que Jeandilon discutait avec lui. Pourquoi ?

— Tu finiras par trouver. Ce n’est pas la peine de te rendre malade, mon garçon. Moi aussi, je suis passé par là. Je broyais du noir, mon père me croyant malade m’avait envoyé chez ma tante, puis l’optimisme est arrivé avec ses chaussettes dépareillées. J’avoue que je me suis forcé à l’être, et enfin l’univers m’a entendu.

— Content pour toi. Moi, je n’attends pas grand-chose. Honnêtement, il suffit d’allumer le poste de télévision, lever le clappé de son ordinateur, suivre les infos sur son portable pour savoir que rien n’est simple et que j’aurai beau m’investir corps et âme, j’aurais bien du mal à trouver à nouveau ma place. Le monde s’émiette. La grande peste avait réussi à rétablir l’équilibre, restreindre l’humanité, hélas, idiots que nous sommes, nous avons à nouveau proliféré comme des lapins. Et le résultat, le voici. Je nous donne quinze ans pour qu’un virus refasse surface. Seules les pandémies et les guerres peuvent nous permettre un emploi, un semblant de vie.

— Comme tu parles ! C’est si triste. Si cruel.

Jeandilon fronça les sourcils, une ride apparue balafrant son front.

— Triste et cruel ne signifient pas infondé. Vous savez, depuis que je cherche… je vois mieux. Le ciel n’est pas aussi bleu qu’on le pense. Quand on s’éloigne des faux-semblants, quand on s’enfonce dans la forêt, il est plus terne, plus gris qu’azur.

Florentin retrouva le vide qu’il avait quitté et se détourna ainsi du regard de l’homme.

Jeandilon se leva, un sourire sournois arqua ses lèvres et il posa une main « réconfortante » sur l’épaule de son futur beau-fils.

— Tout ira mieux. Tu verras. Demain est un nouveau jour, laisse-moi te montrer que la vie peut être belle, malgré la noirceur qui la compose.

Florentin osa glisser ses doigts sur celle de l’homme. Elle était chaude, plus petite que la sienne.

— Il y a une chose qui est sûr. C’est que maman sera heureuse désormais, et je t’en remercie.

— Ta mère est une femme bonne et aimante. Jamais je n’aurai cru la trouver. Je pensais rester à jamais dans le passé avec ma douce Ramona.

Une chaleur couva la chambre et un fin espoir s’éveilla dans le cœur de Florentin. Il avait tant envie de croire les paroles de Jeandilon.

L’air s’étira dans la pièce. Un nouveau jour percerait l’éther.

 

 

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