Fil de fer

Je suis sur un fil de fer. D'un côté, le vide. De l'autre, un gouffre sans fond. Je n'ose pas regarder en bas. À la place, je me concentre sur le fil, un peu plus loin. Je n'aperçois pas le bout ; jamais. Un pied, puis l'autre. J'avance lentement, mes jambes tremblent un peu. J'ignore combien de temps je resterai sur ce fil, si j'atteindrai une plateforme ou si je tomberai. J'ai peur, tout à coup. Qu'y a-t-il en bas ? La chute est-t-elle fatale ?

J'avais confiance en moi quand j'ai commencé à marcher ici. La chute semblait moins vertigineuse, je voyais encore le plancher. Mes parents me tenaient la main. Un peu devant, il y avait mon frère aîné, derrière, ma petite sœur pas encore née. Je trébuchais pas mal, mais une main venait toujours me secourir. Quelques années plus tard, des amis sont apparus sur ce fil. Un peu devant, un peu derrière. Parfois, ils me poussaient dans le dos, petites trahisons. Parfois, ils me guidaient vers eux, et parfois même, je courais pour les rejoindre. J'osais courir sur le fil, il y a longtemps. Plus maintenant.

Je regarde autour de moi. Tout est noir, j'avance à l'aveuglette. Je ne vois personne au loin, ne ressens plus de présence derrière. La main de mes parents a disparu : de toute façon, ils ne pourraient jamais me rattraper depuis le plancher, que je n'aperçois plus non plus. Je suis seule. Absolument seule.

Un courant d'air fait vibrer le fil de fer, je vacille. Une bourrasque plus violente me déséquilibre, et mes bras s'agitent dans l'espoir d'éviter la chute. Je parviens à me rattraper, mais j'ai regardé dans le vide. Tout n'est que ténèbres, en bas. Ça me fait frissonner. Je ne veux pas perdre l'équilibre, encore.

Un pas, puis l'autre. Pied gauche, pied droit. C'était si simple, avant. Maintenant, chaque centimètre parcouru menace de me jeter en bas. J'ai peur des ténèbres que je surveille du coin de l'œil. J'ai l'impression qu'elles se rapprochent, alors je baisse ma tête pour m'assurer qu'elles restent à leur place. Ce mouvement me déséquilibre encore, j'arrive à me rattraper tant bien que mal.

Ça me fatigue, de lutter pour rester sur ce fil de fer. Ni à droite, ni à gauche. Toujours devant, toujours au milieu, au péril de ma vie. Mon regard est de plus en plus attiré par les ténèbres. Elles me semblent familières, à présent. Elles trompent ma solitude. Parfois, je me demande ce que ça ferait, si je tombais. Mais j'ai trop peur.

Je n'ose pas rencontrer les ténèbres, je n'ose pas non plus avancer. Je suis coincée sur ce fil de fer, paralysée. Je reste comme ça des jours, des mois. Ma concentration fatigue, je ne pourrai plus tenir très longtemps sur ce fil. Les bourrasques me déséquilibrent, toujours plus violentes. J'essaie de lutter, en vain. Je ne peux que résister à l'appel des ténèbres.

Peu avant d'abandonner, j'aperçois un point au loin. Peut-être blanc, peut-être rouge, je ne sais pas trop. J'aurais juré qu'il n'y était pas avant. Je crois... Je crois qu'il se rapproche. Intriguée, je fais un pas, puis un autre. Et encore un autre. Le point se rapproche. Et si c'était un piège ? Je m'arrête, aux aguets. Le point devient torche enflammée. Je ne distingue pas la main qui le porte ; en revanche, je saisis celle qui surgit devant moi. Je ne vois pas la silhouette plongée dans l'ombre, mais je lui fais confiance. Je sais qu'elle ne me laissera pas tomber.

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Miel
Posté le 30/03/2024
Sache que tu es plus qu'un fil de fer pour avoir écrit cela ... Tu es un rocher fixé au sol, indestructible, consciente de tes faiblesses et bataillant dans les épreuves ! Ta prose est toujours aussi spontanée et belle !
coeurfracassé
Posté le 30/03/2024
Merci ! Merci pour tous ces doux mots qui résonnent en moi... Avec tellement de justesse. Alors merci. Je n'ai pas d'autres mots, mais tu sais sûrement combien je suis touchée.
Bien à toi
A.
Miel
Posté le 30/03/2024
Je .... Comment te dire ? Je te dis simplement ce que je pense... Je n'arriverais jamais réellement à ressentir ce que tu as éprouvé en lisant mon commentaire, toi seule peux connaître ce sentiment unique. En tous les cas, je suis heureuse si j'ai réussi par les mots à apaiser ta douleur. Surtout, continue le combat, ne baisse pas les bras. L'horizon est une promesse aux yeux qui osent le regarder à travers les larmes.
Miel
Posté le 30/03/2024
Garde espoir,
L.
coeurfracassé
Posté le 03/04/2024
Si je suis aussi consciente de mes faiblesses, c'est parce que je suis passée par ce fil de fer... Mais j'ai retrouvé la lumière, et oui, l'horizon est devenu réalité, et il est tellement beau... Mais merci pour tes encouragements, qui font quand même plaisir quand il y a des moments plus difficiles à vivre <3
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