Quelque chose avait changé, mais Eleister ne sut dire quoi. La pièce paraissait toujours aussi poussiéreuse et abandonnée. Il déglutit, essuya les larmes qui brouillaient sa vision et s’avança. Il n’avait plus rien à perdre. Il était prêt à tout…
« Je dois vous avouer ma surpise, annonça la Conteuse tout en commençant déjà à prendre des notes dans son grimoire. J’aurais parié que vous ne portez pas dans votre cœur l’art de conter.
— Je veux juste en finir, repliqua Olis. Mais je ne vais pas perdre mon temps à ces enfantillages. »
Olis semblait faite du metal le plus froid. Sa posture, son regard, ses mains crispées : elle émanait une haine pure. La dernière fois qu’Ari l’avait vue comme ça, il avait cru qu’il allait mourir.
La Conteuse se pencha légèrement en avant, insensible à toute cette animosité, et souligna d’une voix douce : « Dois-je comprendre que vous ne voulez pas participer à cette épreuve ?
— Les contes sont pour les enfants. Je refuse de jouer à votre jeu puéril.
— Je ne pense pas que vous soyez très honnête, Fille du Sage. Je suis persuadée que la vraie raison est que vous ne me faîtes pas confiance.
— Vous avez piégé Eleister. Vous l’avez déshonoré. Vous voulez qu’il s’énerve.
— Ainsi, vous pensez que j’ai menti ! Vous n’avez pourtant décelé aucune falsification dans mon récit… »
Olis se crispa encore plus. Son regard se fit de feu. Elle leva sa main, commençant à entonner un chant funèbre.
Qui sait ce qui aurait pu se passer si Ari n’avait pas mit sa main sur la bouche d’Olis, interrompant sa formule.
Olis regarda Ari d’un air interdit. La Conteuse sourit. Un silence de mort passa, l’air semblant s’appesantir à chaque seconde. Puis Ari commenta simplement : « Olis, arrête. Eleister a essayé, et on sait comment cela s’est terminé. Tu vois bien qu’elle ne te craint pas.
— Tu te fous de ce qu’elle a fait à Eleister ? cracha Olis.
— Je savais très bien qu’il cachait quelque chose avec son histoire de chevalerie. Trop de choses n’allaient pas. Lui, se battre avec une épée ? Vaincre un Cauchemar dès sa première bataille ? Faire fuir les ennemis avec un simple cri ?
— Dois-je en déduire que vous aviez aimé mon histoire ? glissa la Conteuse.
— Ne vous flattez pas. Ce que vous aviez fait est monstrueux. Si je le pouvais je vous aurais déjà tranché la tête. »
Un silence passa. Olis regarda tour-à-tour le regard glacé d’Ari, puis le visage souriant de la Conteuse. Finalement les deux héros se rasseyèrent lentement. Olis agrippa l’idole de bois à son collier malgré elle.
La Conteuse se tourna vers elle et dit d’une voix calme : « Je suis curieuse d’entendre une de vos histoires. Les personnes les plus silencieuses ont souvent les meilleures.
— Je n’ai rien à raconter.
— Voyons, vous êtes une ancienne élève de la prestigieuse Académie. Je suis sûre que…
— Je refuse de vous raconter quoi que ce soit sur moi.
— Très bien. Alors des histoires sur l’Académie elle-même. Ses rumeurs, ses légendes… Vous avez sûrement quelque chose de ce genre, ô Fille du Sage. »
La Conteuse se prépara à prendre des notes. Ari ne bougea pas. Olis hésita, puis finit par soupirer « Ainsi soit-il. »
« Saviez-vous pourquoi on appelle ceux qui sont diplomés de l’Académie des Fils et Filles du Sage ? Cela vient de la légende du fondateur de l’Académie, et plus largement le pionnier dans les études de la magie.
« Je ne parle pas de la magie monstrueuse, vicieuse, cauchemardesque de Rulere. Mais celle qui est destinée à servir, protéger et comprendre notre vaste monde. Et plus encore.
« Il y a très longtemps, un petit village campagnard subissait de plein fouet les affres de la famine et de la maladie. Leurs maigres pitances étaient sans cesse requisitionnées par l’Eglise, et les rares hommes en bonne santé devaient participer au Saint Voyage pour punir les hérétiques d’un pays voisin. Aucun ne revenait.
« Un jour, un étranger avec une caravane arriva. Il répondait au nom de Magus, et il désirait simplement un repas chaud et un toit pour se reposer de son long voyage. Il avait de quoi payer grassement, ainsi fut-il accueilli malgré la méfiance des villageois. Comme c’était un homme bon, chaleureux et sachant raconter de bonnes histoires, il devint particulièrement apprécié.
« Magus fut confronté au spectacle de paysans qui subissaient maints tourments et refusa de les laisser ainsi. Il fouilla dans sa caravane et pris quelques herbes et poudres aux couleurs étranges. Il traversa tous les champs du villages, plantant ses herbes, dispersant ses poudres, chuchotant des choses inaudibles.
« Le lendemain, des petits bourgeons recouvraient les champs. Quelque mois plus tard la récolte était prodigieuse, et les villageois mangèrent à leur fin. Quand on demandait à Magus ce qu’il avait fait, celui-ci répondait : De la recherche et de l’astuce. Mais tout le monde remarqua que les jours suivants Magus dut dormir deux fois plus que d’habitude.
« La maladie frappait toujours. D’un jour à l’autre, quelqu’un pouvait se mettre à tousser, une raideur qui envahissait le corps, un vertige qui assommait le crâne. Certains avaient des fièvres, d’autres des pustules, quelqu’un devenait fou : tous finissaient par en mourir.
« Magus s’isola pendant une semaine entière, faisant des recherches, mélangeant plusieurs des produits de sa caravane, oubliant de manger et de dormir. Finalement il sortit et alla voir un villageois dans la cinquantaine qui commençait à avoir des symptômes.
« Magus lui donna quelques mixtures à boire chaque soir, puis prononça quelques paroles étranges, et le laissa. Deux semaines plus tard, le villageois était guéri. La nouvelle se propagea rapidement dans tout le village, et même dans toute la région. Magus se mit à traiter plusieurs villageois, toujours un à un. Tout le monde était confiant : ils allaient s’en sortir !
« Un autre jour, alors que Magus s’apprêtait à voir un autre patient, une escouade de l’Eglise arriva dans le village, dirigée par un Inquisiteur. Celui-ci demanda à parler à celui qui usait de sorcellerie. Magus répondit à l’appel mais dementit toute forme de magie noire, qualifiant ce qu’il faisait comme de la recherche et de l’astuce.
« L’Inquisiteur voulait questionner Magus pour décider s’il était oui ou non un sorcier à éliminer. Magus proposa un marché : il se laisserait questionner la nuit mais il s’occuperait de ses patients le jour. L’Inquisiteur accepta.
« Des mois s’écoulèrent. L’Inquisiteur comme Magus tinrent leur parole. Le jour, Magus voyait un nouveau patient qui nécessitait un traitement unique, difficile et long ; la nuit l’Inquisiteur et plusieurs gardes l’interrogeaient sans relâche, lui fouettant le dos, lui brûlant la plante des pieds, l’étouffant dans la rivière jusqu’à ce qu’il s’évanouît. Ils posaient toujours la même question : « Es-tu un sorcier ? » ce à quoi Magus répondait toujours non.
« Magus maigrissait de jour en jour, ses cheveux blanchissaient, ses yeux se fasaient de plus en plus vitreux. C’était un homme mûr en plein santé avant l’arrivée de l’Inquisiteur : maintenant c’était un vieillard misérable. Plus les jours passaient et plus l’Inquisiteur se persuadait que Magus allait enfin avouer sa vile nature.
« Puis un messager arriva, annonçant à l’Inquisiteur que la maladie avait atteint la capitale et, malgré tous les efforts de l’Eglise, décimait la population. La femme de l’Inquisiteur était atteinte, et ses jours étaient comptés. Tombant dans le désespoir, l’Inquisiteur eut alors une idée folle.
« Il alla voir Magus et lui proposa un nouveau marché : il jura de le laisser en paix s’il guérissait sa femme. Magus toisa l’Inquisiteur, puis partit sans un mot. L’Inquisiteur pleura, pensant sa femme condamnée. Magus revient alors, avec un balluchon rempli d’herbes et de poudres merveilleuses. « Allons-y » dit-il simplement.
« Les deux partirent sans plus attendre, sur un même cheval. Ils galopèrent sans s’arrêter, sans dormir ni manger. À bout de force, Magus sentit ses forces et son esprit le quitter. Il se mit à marmonner sans relâche les différentes formules de l’antidote, pour ne pas oublier ce qu’il faisait et rester conscient. L’Inquisiteur, qui ne pouvait que l’entendre, se sentait de plus en plus coupable.
« Alors que plusieurs semaines étaient normalement nécessaires, ils atteignirent par miracle la capitale en seulement une. L’Inquisiteur était euphorique : sa femme allait être sauvée ! Magus, lui, ne disait rien : il était mort.
« L’inquisiteur se lamenta, puis prit le sac de Magus et partit rejoindre sa femme. Il ne pensait qu’à une seule chose : les différentes formules que Magus avait récité tout au long du voyage. À force de les entendre l’Inquisiteur les avait apprises par cœur. Il restait encore un espoir.
« Il rejoignit sa femme et découvrit que celle-ci était décédée quelques heures avant son arrivée. »
Olis déglutit. Elle avait parlé sans s’arrêter, et sa voix était maintenant rauque. Ari ne l’avait jamais vue autant parler. Sans lever les yeux, continuant de noircir des pages et des pages de son grimoire, la Conteuse demeurait silencieuse. Olis poursuivit : « Après une journée de deuil l’Inquisiteur se mit à voir tous les malades de la capitale, appliquant avec acharnement les formules de Magus. Au début, il n’eut guère de succès, puis petit à petit ses patients se mirent à guérir. Au bout de quelques années tout le monde connaissait l’Inquisiteur et son art miracle. Si l’Eglise émit des réticences au départ elle finit par aprouver cette pratique.
« L’Inquisiteur parcourut le monde entier, guérissant les maladies, perfectionnant ses formules, gagnant en puissance. Jamais il ne cessait d’expérimenter, de rechercher ; jamais il usa ses dons pour de vils desseins. Il gagna le nom du Sage et nomma son art la magie, en hommage à un vieil ami. La devise De la recherche et de l’astuce devint la devise de l’Académie qu’il fonda à la fin de sa vie. »
Elle s’arrêta enfin, le souffle court, et le silence envahit la pièce. La Conteuse termina de prendre ses notes, puis releva la tête : elle souriait. Hésitante, Olis ouvrit la bouche.
Elle fut interrompue par un hurlement de douleur qui provenait de la pièce de la seconde épreuve.
Quant à Olis, je me demande d’où lui vient toute cette haine. En voyant comme elle défend Eleister, j’imagine qu’elle croit sa version à lui plutôt que celle de la conteuse, ce qui fait de lui une victime à ses yeux. Mais je suis sûre que cette haine était déjà là avant.
Comme les autres commentatrices l’ont dit, c’est curieux qu’elle commence à raconter son histoire dès qu’elle a accepté de jouer le jeu. Il n’y a pas besoin d’une longue transition, mais elle pourrait prendre le temps de réfléchir un instant. Je me demande ce que la conteuse va pouvoir faire de ce récit : Olis n’y a aucun mérite ni aucun tort.
Coquilles et remarques :
— « Je dois vous avouer ma surpise, annonça la Conteuse [ma surprise]
— Je veux juste en finir, repliqua Olis [répliqua]
— Olis semblait faite du metal le plus froid [du métal]
— Sa posture, son regard, ses mains crispées : elle émanait une haine pure. [« Émaner » est un verbe intransitif : c’est la haine qui émane d’elle (pas elle qui émane la haine). Je propose donc : « une haine pure émanait d’elle ».]
— que vous ne me faîtes pas confiance [faites ; le faîte, c’est l’arête supérieure d’un toit ou la partie la plus élevée d’un bâtiment]
— si Ari n’avait pas mit sa main sur la bouche d’Olis [n’avait pas mis]
— Si je le pouvais je vous aurais déjà tranché la tête. [Virgule après « pouvais ».]
— regarda tour-à-tour le regard glacé d’Ari, puis le visage souriant de la Conteuse. [Répétition de « regarda/regard » ; je propose « considéra », « observa » ou « examina ».]
— Finalement les deux héros se rasseyèrent lentement [se rassirent ; c’est un verbe du 3e groupe]
— Olis agrippa l’idole de bois à son collier malgré elle. [Je dirais « l’idole de bois pendue à son collier » ; du coup, comme le COD est nettement plus long, je propose : « Olis agrippa malgré elle l’idole de bois pendue à son collier ».]
— ceux qui sont diplomés de l’Académie [diplômés]
— les affres de la famine et de la maladie. [Espace surnuméraire après « famine ».]
— Leurs maigres pitances étaient sans cesse requisitionnées par l’Eglise [réquisitionnées / par l’Église ; le « É » d’« Église » doit être corrigé dans tout le chapitre.]
— Il répondait au nom de Magus, et il désirait simplement un repas chaud et un toit pour se reposer de son long voyage. [Pour éviter d’avoir deux fois « et », tu peux simplement enlever le premier.]
— il devint particulièrement apprécié [« apprécié » est le participe passé du verbe « apprécier » ; ce n’est pas un adjectif. On peut donc être apprécié, mais pas devenir apprécié. Je propose « on se mit à l’apprécier particulièrement », « on finit par l’apprécier particulièrement ».]
— Il fouilla dans sa caravane et pris quelques herbes et poudres aux couleurs étranges [et prit ; mais pour éviter d’avoir deux fois « et », je propose « pour prendre ».]
— Il traversa tous les champs du villages [du village]
— des petits bourgeons recouvraient les champs [« de petits bourgeons » serait plus élégant]
— Quelque mois plus tard la récolte était prodigieuse [fut prodigieuse]
— et les villageois mangèrent à leur fin [à leur faim (!)]
— tout le monde remarqua que les jours suivants Magus dut dormir [Virgule après « suivants ».]
— Finalement il sortit et alla voir un villageois dans la cinquantaine [« dans » fait croire à un complément de lieu et finalement ce n’est pas ça ; je propose « d’une cinquantaine d’années » ou « d’âge mûr ».]
— dirigée par un Inquisiteur. [Pas de majuscule à « inquisiteur ». Même le pape n’y a pas droit.]
— Magus répondit à l’appel mais dementit toute forme de magie noire [démentit]
— Le jour, Magus voyait un nouveau patient qui nécessitait un traitement unique [« nécessiter » n’est pas un synonyme d’« avoir besoin » ; le patient a besoin d’un traitement, mais c’est sa maladie ou son état qui nécessite un traitement. Je propose donc « un nouveau patient qui avait besoin d’un traitement unique » ou « un nouveau patient dont l’état nécessitait un traitement unique ».]
— ses yeux se fasaient de plus en plus vitreux [se faisaient]
— C’était un homme mûr en plein santé [en pleine santé]
— Magus revient alors, avec un balluchon rempli d’herbes [revint / pas de virgule après « alors »]
— À bout de force, Magus sentit ses forces et son esprit le quitter. [À bout de forces / Pour éviter la répétition, je propose « Magus sentit son énergie et son esprit le quitter ».]
— « Alors que plusieurs semaines étaient normalement nécessaires [Je propose « Alors que normalement, plusieurs semaines étaient nécessaires » ; « normalement ne se rapporte pas au seul adjectif « nécessaire ».]
— ils atteignirent par miracle la capitale en seulement une. [Cette tournure me semble un peu maladroite ; je propose « en seulement sept jours ».]
— les différentes formules que Magus avait récité [récitées]
— À force de les entendre l’Inquisiteur les avait apprises par cœur. [Virgule avant « l’inquisiteur ».]
— « Après une journée de deuil l’Inquisiteur se mit à voir [Virgule avant « l’inquisiteur ».]
— Au bout de quelques années tout le monde connaissait [Virgule après « années ».]
— elle finit par aprouver cette pratique [approuver]
— jamais il usa ses dons pour de vils desseins [jamais il n’usa de ses dons]
Sinon, pour le reste, je me fais souvent la réflexion quand je lis tes écrits et c'est peut-être ton pseudo qui me fait penser ça, mais... Tu as vraiment l'art du conte et du récit, c'est fou ! Dès que tu tombes dans cet aspect du tell et pas du show de la narration, tu nous embarques complètement je dois dire haha, je suis hyper curieuse de découvrir la suite !
Ah, et juste quand la Conteuse dit d'Olis que c'est "la plus silencieuse", je trouve que ça fait bizarre haha puisque c'est la plus bavarde depuis un moment, mais c'tout
Mon dieu, c'est vrai qu'Olis blablate... Ou alors la Conteuse vient de préparer un aspect important de l'histoire... (ou alors c'est juste moi qui me suis foiré ici...)
Oooooh, ça fait très plaisir ! J'espère que mon tell te convaincra jusqu'au bout de cette histoire !
Quel super chapitre ! J'adore les histoires dans les histoires et celle-ci est particulièrement réussie.
Tu fais bien passer les émotions d'Olis qui narre son joli et triste récit avec crédibilité.
J'ai trouvé que le début du second conte faisait très : "oui, bon, allez hop je commence tout de suite". Il me manque un petit quelque chose entre son acceptation et le début du texte, comme si elle s'était avouée vaincue dès le début et savait dès le départ quoi raconter. Tu vois ce que je veux dire ?
Quelques fautes de frappe au tout début, mais rien de bien gênant pour la compréhension. Et un "tenurent leur parole" => "tinrent", vers le milieu.
J'espère t'avoir aidé ^^
Mmmmh je vois. Je suis même un peu surpris : je pensais justement que le début était trop long, que je perdais mon temps à décrire la nature rebelle d'Olis et son refus initial. Mais si au contraire c'est un peu trop direct, je peux rajouter deux trois petites choses pour fluidifier tout ça.
Oh mon dieu "tenurent"...
Merci, ça m'aide beaucoup !
C'est plus entre le moment où elle réfléchit, accepte finalement la proposition, et "pouf" le conte commence sans transition.