Fin alternative.

Fin alternative

Chapitre 29 : Cette fois-ci.

(…)

— Seth !

Rebecca venait de réapparaître dans l’encadrement de la porte derrière lui et il fit un pas sur le côté, comme pour la laisser rejoindre les autres.

— Rangez votre arme, ça suffit maintenant ! s’écria la grande-duchesse avec colère.

Il n’eut aucune réaction, et Ajax approcha de Rebecca pour la forcer à venir se cacher derrière lui. Il fixait froidement Seth Pluto, la main dans son gilet. Seth, de son côté, continuait de braquer l’arme vers Thibault.

— Nous devons voir Solène, lança ce dernier en se tournant vers Rebecca.

— « Solène » ne recevra personne, coupa Seth avant que la grande-duchesse ne puisse répondre. Elle est occupée.

— Elle me recevra, moi, si elle sait que je suis ici.

La colère déforma fugacement les traits du visage de Seth Pluto.

— Au fond, j’ai toujours su que tu étais un idiot complet, Thibault. Mais je te remercie de l’avoir prouvé jusqu’au bout.

Et avant que Thibault n’ait pu faire le moindre mouvement, le doigt de Seth Pluto descendit d’un cran.

À cet instant, ce fut comme si le temps s’était suspendu. Thibault avait clairement vu le doigt de Seth rejoindre la gâchette du revolver, mais alors qu’il tentait d’intégrer ce qui se produisait, un coup violent l’atteignit à l’épaule, le projetant au sol au moment même où la déflagration de l’arme fusait dans les airs. Sa tête vint heurter la table basse au centre du salon. Il se redressa, désorienté, au moment même où un second coup de feu retentissait.

Il vit Ajax, le bras tendu en direction de Seth Pluto, une minuscule arme de poing entre les doigts, et le mari de Solène s’effondra l’instant d’après.

—  NOOON ! DONOVAN, NON !

Le cœur de Thibault devint glace. Il se redressa maladroitement et chercha Zoë des yeux. Allongée au sol elle aussi, elle se tenait à deux mètres de là, les mains plaquées contre le torse de Donovan, une véritable expression de terreur sur le visage. Thibault, incapable de comprendre ce qui se déroulait devant ses yeux, rampa précipitamment jusqu’à eux. Entre les doigts de Zoë, le sang jaillissait. Il posa ses mains par-dessus les siennes, et ses yeux rencontrèrent ceux de Donovan.

—  Je…

—  Au secours ! le coupa Zoë. AIDEZ-NOUS !

Elle regardait tout autour, terrorisée, et Jenkins fut le premier à réagir. Il ouvrit précipitamment son sac et tendit des compresses à Zoë, qui les lui arracha presque des mains. Pendant ce temps, les jumelles fouillaient elles aussi dans leurs affaires, affichant la même expression mortellement sérieuse.

— Thibault…

Thibault recentra son regard sur son frère. Il avait l’impression que son âme avait quitté son corps. Le visage de Donovan était livide.

—  Je t’ai protégé… cette fois…

La gorge de Thibault se serra devant son vague sourire. Il comprit à cet instant que Donovan l’avait poussé sur le côté avant que Seth ne tire, comme il l’avait probablement fait avec Zoë. Il essaya d’inspirer mais l’air ne passait pas.

—  Accroche-toi, Don, ordonna Zoë d’une voix saccadée.

Thibault releva la tête vers elle. Des larmes ruisselaient sur ses joues.

—  Don… murmura Thibault. Qu’est-ce que tu as fait…

—  Je t’avais dit… que je te protégerai… Thibault…

—  Arrête, Don ! s’écria Zoë, haletante. Tais-toi, garde tes forces !

Thibault n’avait jamais entendu une telle peur dans la voix de sa sœur. Il se pencha vers son frère dont la voix était déjà trop faible. Donovan vint doucement poser sa main par-dessus les leurs.

— Prends soin de… Zoë… Compris… ?

Thibault ne put retenir ses larmes quand il s’aperçut que son frère le fixait sans ciller.

—  Je te le promets… Je te promets que je prendrai soin d’elle… Je te le jure, il ne lui arrivera rien ! Je la protégerai quoiqu’il arrive !

Le sourire de Donovan se fit un peu plus large. Il y avait comme une étincelle de fierté dans son regard. Thibault s’accrocha à son expression, incapable de détourner les yeux.

—  Qu’est-ce qui t’a pris… Pourquoi tu as fait ça ?!

— Je devais bien… au moins cette fois… Cette fois-ci…

Le regard de Donovan se fit nébuleux. Il laissa sa tête glisser en direction de Zoë dont le visage était noyé de larmes. Elle haletait, terrorisée. Donovan allait lui parler, mais à cet instant, les jumelles s’agenouillèrent auprès de lui. Félicie attrapa doucement les mains de Thibault et de Zoë pour les retirer de la blessure, tandis que Féline ouvrait sa chemise pour mieux appréhender la plaie.

— Féline a commencé à suivre des cours de médecine, depuis qu’on est arrivés au Troisième, indiqua Félicie à Thibault.

Il écarquilla les yeux en direction de la jeune femme qui apposait méthodiquement des compresses dégageant une forte odeur de désinfectant contre la plaie. Il s’aperçut alors qu’elle avait sorti un kit de premier soin complet de son sac.

— Je… Je ne connais que la technique, je n’ai jamais fait ça, fit-elle alors qu’elle se saisissait à présent d’une longue pince à l’extrémité recourbée. Mais je vois la balle, elle a l’air d’avoir ricoché contre sa côte et je ne crois pas qu’elle ait touché de point vital…

— Fais-le, demanda Thibault, comme en transe.

Elle n’attendit pas plus longtemps. Elle nettoya les environs de la plaie, épongea le sang, et approcha la pince du trou formé par la balle. Félicie tenait une lampe de poche au-dessus de la blessure. Elle ne tremblait pas, offrant un angle parfait à sa sœur pour apercevoir la balle qui s’était logée à quelques centimètres sous la peau de Donovan. Le garçon fut agité d’un spasme.

— Tenez-le, ordonna Féline, les yeux rivés sur la blessure. Jenkins, prépare d’autres compresses et l’antiseptique. Félicie, ne bouge plus.

Thibault plaqua ses deux mains sur les épaules de Donovan, immédiatement rejoint par Zoë dont le visage avait viré à une teinte verdâtre.

Avec une extrême précaution, Féline inséra la pince dans l’abdomen du garçon. Thibault sentit le corps de Donovan se contracter violemment avant qu’il ne retombe, presque flasque… La panique l’envahit alors qu’il se tournait vers Féline. Elle venait de retirer la balle et la laissa retomber à côté d’elle.

— Il a juste perdu connaissance, indiqua-t-elle après avoir apposé deux doigts sur le coup du blessé.

Elle stérilisa les compresses que Jenkins lui tendait avant de les appliquer contre le corps de Donovan.

Des cris attirèrent alors l’attention de Thibault. Il tourna la tête vers la porte, devant laquelle Ajax et Rebecca se tenaient, tentant de retenir la marée humaine qui arrivait sur les lieux. Les hurlements étaient ceux de Prius Pluto, le père de Seth, dont le corps gisait à trois mètres d’eux.

Féline ne semblait pas entendre quoi que ce fût. Son expression concentrée ne variait pas. Ses yeux paraissaient incapables de voir autre chose que la blessure de Donovan. À présent, elle prenait des mains de Félicie l’aiguille et le fil que cette dernière lui avait préparé. Dès que sa sœur eut repositionné la lampe au-dessus de la blessure, elle perça la peau du garçon pour recoudre sa plaie. Le travail était grossier, mais réduisait drastiquement le saignement.

— C’est juste en attendant qu’on le mène à un vrai médecin, fit-elle, l’air toujours concentré sur sa besogne. Il faut qu’on l’emmène de toute urgence à l’hôpital.

— Thibault… ?

Thibault arracha difficilement son regard du visage inquiet de Féline. Devant lui, se trouvait Solène, blanche comme un linge.  

Chapitre 30 : Une nouvelle ère.

Le Sommet – An 2719 – Le 21 août à 10h15.

(…)

***

— … grandi dans un orphelinat, et quand j’ai eu seize ans et qu’on m’a mis dehors, je me suis moi-même vendu. J’avais ouvert un compte en banque avant ça, qu’on puisse m’y verser l’argent de la vente… Je me disais que comme ça, quand j’aurais fini ma peine d’esclave dans dix ans de ça, je ressortirai plein aux as et je pourrai vivre ma plus belle vie.

Un rire léger répondit à cette déclaration. Thibault pénétra dans la serre dont il avait poussé la lourde porte de bronze et les visages de Jenkins et de Zoë se tournèrent vers lui. Thibault eut un léger sourire. Jenkins s’était montré d’une gentillesse incroyable envers Zoë après ce qui s’était produit au manoir des Pluto.

Donovan était resté plus d’une semaine à l’hôpital du Deuxième. Thibault et sa sœur été resté à son chevet chaque jour, jusqu’à-ce qu’il soit suffisamment stable pour être transporté au Sommet, où sa convalescence serait suivie par le médecin impérial.

— Je n’ai pas été trop long ? demanda Thibault à Zoë d’une voix douce.

— Non, non. Ça va, ne t’inquiète pas.

— Tu es allée voir Don ?

— Il dort, le docteur a dit qu’il avait besoin de repos. On pourra retourner le voir ce soir.

Thibault approuva d’un signe de tête.

— Thib ?

Il tourna la tête vers Jenkins.

— Il faut qu’on libère la serre, une équipe de journalistes arrive. Solène va s’adresser à Délos cet après-midi.

— Tant mieux, souffla-t-il. Je te reprends ma sœur alors, à plus tard.

Il passa un bras autour des épaules de Zoë, et, sans prêter plus d’attention au regard envieux de Jenkins, quitta l’endroit et l’entraîna vers les jardins du Palais Immaculé.

— Il est sympa, Jenkins, indiqua sa sœur quand ils furent à bonne distance du palais.

Thibault observa un instant son profil.

— Il te plaît ?

— Je n’ai pas dit ça !

— Et je n’ai pas dit que je désapprouvais.

Elle lui jeta un regard de biais et il ne put s’empêcher de remarquer que ses joues avaient pris une teinte plus soutenue.

— Tu pourrais faire pire, lui assura-t-il avec un sourire. Tu pourrais faire mieux aussi ceci dit.

Elle secoua la tête de droite à gauche, d’un air dépité, mais un léger sourire lui était monté aux lèvres.

— Thibault ?

— Oui ?

— Tu n’as pas à faire semblant, tu sais… De faire comme si tout allait bien.

Il prit une seconde pour s’arrêter et la regarder dans les yeux.

— Je n’ai jamais été un bon grand frère pour toi… Je l’ai été pour Margot, je crois, à un moment. Mais pas pour toi. Jamais. Alors laisse-moi essayer de faire de mon mieux.

Zoë avait elle aussi fiché son regard bleu dans le sien. Ses yeux s’humidifièrent et elle baissa la tête, mais s’appuya en même temps contre lui, et il l’entoura de ses bras.

Ils restèrent un long moment ainsi. Le cœur de Thibault battait un peu plus vite. Il avait perdu Margot, et Lison. Il avait failli perdre Donovan. Zoë avait brutalement accusé le coup. Pendant des jours, elle était restée à son chevet, comme un fantôme. Il avait dû la forcer à se nourrir, la forcer à dormir, s’occuper d’elle à chaque instant. À présent que le médecin impérial les avait rassuré sur son état, elle commençait doucement à remonter la pente, mais l’attente de savoir s’il s’en sortirait avait été éprouvante.

Quand Zoë se retira de l’étreinte, elle renifla brièvement puis observa de nouveau son frère.

— Et Thibault… Est-ce que… Je ne sais pas comment dire ça…

Elle semblait embarrassée. Il regarda aux alentours et désigna un banc un peu plus loin. Ils parcoururent la distance qui les en séparait et quand ils furent assis, il se pencha vers elle et attendit qu’elle reprenne.

— Jenkins a sous-entendu… Mmh… Est-ce que l’impératrice et toi… ?

— C’est au sujet d’Éos ?

Elle devint écarlate, mais soutint son regard et hocha la tête.

— Oui… Solène a l’air de penser que je suis son père. Surprise ?

Zoë ouvrit de grands yeux, puis un léger rire l’agita.

— Très surprise… Je n’y aurais pas cru si tu ne me l’avais pas confirmé. Je pensais que c’était une plaisanterie, peut-être…

Il y eut un nouveau silence. C’était apaisant. Thibault se sentait parfaitement à l’aise auprès d’elle. Il savourait son expression pensive, puis bientôt, elle plongea de nouveau son regard dans celui de son frère.

— Et… Si ça ne t’embête pas que je demande… Ce garçon, Gabriel ?...

Il hésita.

— Je t’en parlerai un jour, Zoë. Pas immédiatement, si tu veux bien. C’est encore trop récent.

Elle hocha la tête, l’air peinée, et il posa délicatement son bras autour de ses épaules.

— Ne t’inquiète pas, il n’y a pas de mal à être curieuse. Et je te raconterai tout, un jour, je te le promets. Pour le moment, je te dirais juste que je l’aimais. Vraiment. Et il me manque. J’aimerais t’en parler mieux, mais pour le moment c’est trop douloureux. Tu l’aurais apprécié, je suis certain que vous vous seriez bien entendus tous les deux. Tu lui aurais beaucoup plu aussi.

***

À 15 h 00 ce jour-là, l’entourage de l’impératrice s’était rassemblé dans la serre, derrière la marée de journalistes qui avaient envahis l’espace.

Thibault s’amusa d’abord de l’air impressionné de Zoë, mais quand Solène arriva dans la pièce, dégageant comme une aura nouvelle, lui-même se sentit un peu intimidé. Elle lui adressa néanmoins un sourire triste. Elle aussi, avait pleuré Gabriel. Bien plus que Thibault ne l’aurait imaginé.

Quand, alertée par les coups de feu qui avaient retenti dans le salon, elle les avait rejoints, elle s’était trouvée face à un spectacle pitoyable. Thibault, effondré, avait été incapable de lui parler. Heureusement, Jenkins, Félicie et Féline avaient pu prendre le relai. Ils lui avaient brièvement résumé les événements qui s’étaient produits depuis la veille. Thibault n’était parvenu à réagir que lorsque Aaron Typhus était arrivé sur les lieux. À sa vue, une rage sourde l’avait envahi, le sortant de sa torpeur. Il avait fallu que Jenkins et Ajax le retienne pour qu’il ne saute pas lui-même à la gorge du premier ministre.

(…)