Final

Par Jupsy

 

Il

 

Un cri.

 

Qu’il ne put retenir. La douleur s’éveillait à nouveau transperçant son dos de plein fouet. Impossible. Comment pouvait-elle rejaillir alors qu’elle s’était tue depuis un temps si court ? Une nouvelle vague noya ses pensées tandis que son corps chavirait vers l’avant. Il dévala l’escalier de la cave, maudit ses pierres si brutales qui le meurtrirent un peu plus. Quand la chute cessa, il souffrait toujours. Partout. Pourtant une douleur dominait.

 

Son dos.

 

- Garce ! cria-t-il. Tu m’as poignardé après tout ce que j’ai fait pour toi !

 

Il hurlait tandis que sa main cherchait la blessure. Il fallait qu’il la trouve. Il fallait qu’il comprenne. Pourquoi son dos le faisait-il tant souffrir ? Pourquoi ? Qu’avait-il donc fait pour mériter cela ?

 

Elle

 

Quand le cri résonna dans ses oreilles, son cœur se figea. Par instinct, ses doigts se crispèrent sur le manche du couteau. Ses yeux se détournèrent d’iel pour fixer l’origine du hurlement. Elle le découvrit pliée en deux par la douleur. Elle le vit pencher dangereusement vers l’avant. Alors elle oublia ses résolutions pour tendre une main et tenter de le retenir. En vain.

 

Sa peur revint quand il chuta jusqu’en bas de cet escalier trop raide. Elle cessa de respirer face à son immobilité qui ne dura qu’un temps. Alors elle prit la décision de le rejoindre, mais s’arrêta à mi-chemin face aux insultes qui l’accueillirent. Il l’accusait de l’avoir frappé dans le dos…

 

Mais ce n’était pas ce qui la stoppa. Non, ce qui la glaça d’effroi ce fut de le voir chercher la plaie dans une zone dorsale précise. Il avait mal à l’endroit même où elle avait lardé la poupée de coups plus cruels les uns que les autres. Était-ce une simple coïncidence ? Sûrement, lui cria sa raison. Sauf que sa culpabilité n’écouta pas. Si elle avait pris plaisir à se défouler sur la poupée, même si elle voulait y croire… l’idée que cela puisse être vrai, que ça se soit réalisé n’était plus aussi réjouissante.

 

C’était juste effroyable.

 

Il

 

– J’aurais dû savoir que tu te retournerais contre moi. Lâche !

 

Il ne pouvait s’arrêter de l’insulter. Il avait beaucoup trop mal. Il fallait que cela cesse. Il fallait qu’il se défoule. Il devait réagir. Il essaya de se redresser avec difficulté. Chaque mouvement était une vraie souffrance. Il parvint à se relever à moitié, ce qui lui permit de la voir. Elle n’était pas si éloignée de lui. Elle était surtout figée sur place avec cet air qu’il ne connaissait que trop bien.

 

– Pathétique. Tu es pathétique. Même pas foutu de tuer le bourreau de ta chère et tendre !

 

Il éclata d’un rire sans joie qui lui arracha une nouvelle douleur. S’il avait été dans une autre position, dans d’autres circonstances, peut-être aurait-il pu en jouir. Ce n’était pas le cas. En cet instant, il aurait tout donné pour qu’un médecin fasse taire ses souffrances. C’était insupportable.

 

– Même pas le courage d’en finir, ajouta-t-il.

 

Elle

 

Pathétique. Ce mot résonna dans sa tête durant de longues secondes. Il réveilla d’autres souvenirs où il ne cessait de la brimer. Il avait su la frapper avec des paroles qui l’avaient littéralement paralysée avant de la détruire de l’intérieur. Après lui le terme salope était devenu un synonyme d’elle-même. Pourtant en cet instant, elle ne se trouvait pas pathétique.

 

Non c’était lui.

 

Il était en train de la chercher pour la pousser à commettre l’irréparable. Pourquoi ? Pour qu’elle l’achève ou pour se retourner contre elle ? Dans son état, la seconde option semblait improbable… sauf qu’un animal blessé pouvait se révéler dangereux. Il était plus fort qu’elle, il suffisait d’un sursaut de sa part et tout pouvait basculer.

 

Elle serra son arme dans sa main, puis avança prudemment vers lui. Elle le contourna alors qu’il la traitait à nouveau de lâche. Elle ne le quitta pas des yeux pour autant, certaine qu’il était capable de se ruer sur elle dès qu’elle aurait le dos tourné. Elle ne voulait pas prendre ce risque même si une voix lui soufflait que ça n’aurait été que justice. Elle la rejeta au plus profond de son être. C’était plus complexe que cela. Beaucoup plus complexe. Elle le paierait un jour, mais pas aujourd’hui.

 

Aujourd’hui, elle allait sauver une vie. Ses remords la dévoreraient une autre fois.

 

Iel

 

Au début, iel s’était cachée les yeux, puis le cri avait attiré son attention. Dès lors, iel s’était mis à observer la scène, le corps tendu par la peur. En cet instant, son destin semblait se jouer. Iel ne comprenait pas tout, mais iel saisissait que son bourreau était aussi celui d’elle, celui dont elle lui avait parlé à demi-mot sans parvenir vraiment à tout raconter. Iel avait tenté de la soutenir du mieux possible sans chercher à poser des questions, à connaître toute la vérité…

 

Est-ce que ça l’aurait aidé en cet instant ? Peut-être, mais elle semblait se débrouiller seule. Iel en eut la confirmation quand cette dernière se rapprocha sans quitter l’autre des yeux. Au moment elle arriva à ses côtés, iel ne put supporter son regard. Iel détourna la tête pour le fixer lui. Il lui répondit par un sourire.

 

– Elle t’a montré ses talents de dominatrice ?

 

Iel sentit elle se figer, ce qui lui fit oublier la honte un court instant.

 

– Oh non, tu es bien trop loque pour ça. Comment peux-tu l’aimer ? Cette fille est un vrai mollusque. Quand je la baise, elle fait l’étoile de mer… C’est déprimant.

 

Un murmure jaillit à l’oreille d’iel : ne l’écoute pas.

 

Elle avait raison. Il les provoquait. C’était une attitude désespérée qu’iel n’avait pas éprouvé. Iel essaya de l’ignorer alors qu’il continuait d’appuyer là où cela faisait le plus mal. Iel pouvait résister. Iel avait tenu jusqu’ici. Iel tentait de se concentrer sur elle, qui lae libérait tout en chuchotant des paroles rassurantes. Iel se tendit quand elle lae toucha, puis se relâcha avant que tout ne bascule d’un seul coup.

 

Était-ce des mots ? Un geste ?

 

Peu importe. Iel agit. Iel se redressa brutalement arrachant le couteau des mains d’elle pour le planter dans le corps de son bourreau. Ils se firent face. Il lae fixa avec incrédulité, puis un sourire apparut sur ses lèvres.

 

– Tu n’es pas si... molle…

 

Il s’écroula à son tour lâchant au passage la scie dont il s’était emparé quelques secondes plus tôt. Iel ne réagit pas. Iel resta à le contempler pendant qu’il se transformait en cadavre. Puis les larmes commencèrent à piquer ses yeux, puis secouer brutalement son corps. Alors qu’iel s’apprêtait à basculer à son tour, quelqu’un lae rattrapa pour l’abriter de ses bras.

 

Elle. Elle l’avait sauvée de ce cauchemar. Elle serait là pour l’enfer qui suivrait avec les autorités, puis elle resterait pour la lente convalescence… avant que le temps ne leur offre de belles années de bonheur.

 

Puis une nouvelle épreuve surgirait. Ce serait alors au tour d’iel de soutenir elle quand la banale douleur dans le dos se révélerait être un cancer des poumons…

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Liné
Posté le 23/03/2020
Ha, je suis "contente" que ça se finisse avec un peu de violence (... ça reste jouissif et cathartique) et plutôt bien, avec une délivrance réaliste : délivrance physique, ok, mais qui va être suivie de quelques années de douleurs psychologiques.

J'ai été surprise que Il se relève et s'avance vers Iel. Au vu des scènes précédentes, et de sa douleur dorsale, j'imaginais qu'il lui était impossible de se mouvoir (il manque peut-être une toute petite phrase pour clarifier ça ?).

Sinon, parmi les questions que ce chapitre et cette fin soulèvent pour moi, il y a celle de la violence. Je me la pose beaucoup, et depuis un certain temps : dans les cas de tortures physiques et/ou psychologiques, a-t-on le "droit" de passer à la violence pour se défendre ? A quel moment la défense se transforme en attaque ? J'ai lu des essayistes (surtout des anti-racistes américains, en vérité) qui se contredisaient là-dessus, sans que cela implique nécessairement que l'un ou l'autre ait tord. Et on a toutes eu, je pense, des réactions un poil poussées qu'on a regrettées par la suite, ou qu'on nous fait regretter (passer pour des "féministes radicales" - je suis pas convaincue par cette expression - là où, en réalité, nos réactions ont des racines bien plus profondes et dures à faire entendre).

Bref, je me sers un peu de l'espace commentaires pour évoquer ça, mais je voulais surtout te dire merci et bravo d'avoir donner vie à une histoire qui, au final, fait beaucoup de bien ! Rien que de savoir qu'on est pas seul.es sur ce genre de questions et de thématiques est rassurant.

A très vite ;-)
Jupsy
Posté le 19/07/2020
Coucou,

Tu mets le doigts sur un gros doute. Le moment où il se relève a été une vraie galère à écrire. J'ai beau écrire court, j'ai bloqué un certain temps avant de dire stop et de tenter quelque chose. Je pense que si je le reprends, ce passage aura droit à une refonte parce que même j'étais pas convaincue ! ^^'

Je dois avouer que la question de la violence, je me la pose aussi. Après je pense que la colère est légitime, et qu'on a le droit de l'exprimer et qu'on doit faire avec. Je pense qu'on a le droit à l'erreur, le droit à une parole déplacée et que c'est hypocrite de la part des dominants de nous en vouloir. A un moment donné si eux on le droit à l'erreur pourquoi pas nous ? De toutes façons quelque soit la manière dont on s'exprime, ils ne seront jamais content... et je pense que le conflit est inévitable. Après on n'est pas obligé de les tuer mais un petit men are trash de temps en temps, ça fait du bien, non ? :P (Un jour ils comprendront le sens de l'expression surtout qu'on peut pas dire qu'ils soient plus tendres avec les femmes, les racisés et autres minorités opprimées.)

Bon je ne sais pas si je suis claire, mais j'aurais essayé. Je suis contente que l'histoire t'ait plu et je te remercie d'avoir pris le temps de la lire et de la commenter jusqu'au bout.

Keina
Posté le 19/02/2020
Oh, en fait ça se termine presque bien ! Bon, "presque", parce que forcément il a fallu que tu écrives cette dernière phrase, sadique... ^^ J'ai envie de croire à un truc un peu mystique pour la fin : une ultime vengeance de lui pour pourrir sa vie à elle...
En tout cas je ne m'attendais pas à ce qu'il meure des mains d'iel, j'aurais plutôt cru que ce serait elle qui l'achèverait, du coup bon retournement de situation !
Ça n'a pas du être facile d'écrire avec uniquement des pronoms. Tu t'en es bien sortie ! J'espère que tu feras d'autres expérimentations dans le style !
Jupsy
Posté le 19/07/2020
Merci Keina.

Oui j'ai presque fini bien. Après j'avais envie de laisser ce petit doute. Est-ce une conséquence de l'usage de la magie ? Est-ce une vengeance ? Ou est-ce une coïncidence ?

Et oui, j'ai préféré que ce soit Iel parce que ça aurait été trop simple Elle. Puis dans l'écriture, je trouvais que ça avait plus de sens que cela se passe ainsi. Permettre à Elle de ne pas se laisser manipuler une dernière... Et puis donner une chance à Iel de tuer son bourreau, qu'on sent aussi dans ses gestes la souffrance qu'il lui a infligé.

Quant aux pronoms... C'est terrible. C'est dur et pourtant j'adore faire ça.

Bref merci d'avoir lu jusqu'au bout Keina. <3
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