Confrontation

Par Jupsy

 

Il

 

Son séjour aux urgences fut bref. Entre le manque de lits et de personnel, il fut renvoyé chez lui avec un taxi qu’il appela lui-même. Un scandale. N’était-il pas un client ? Néanmoins, il eut tout de même droit à une dose d’antidouleurs plus élevée que celle prescrite par son médecin. Cela aurait pu s’arrêter là sauf qu’une infirmière le prit à part. Surpris, il n’eut pas l’occasion de lui déverser ses plaintes afin qu’elle les remonte à la direction. Il se retrouva juste à l’écouter lui suggérer de faire des examens supplémentaires. Alors qu’il aurait aimé de plus amples explications, la soignante se défila vers d’autres taches. Il songea à la retenir, mais n’en fit rien. Il ne voulait pas se donner en spectacle quand il était certain d’y perdre de la réputation. Il se contint donc et repartit vers sa demeure.

 

En chemin, il sortit son téléphone pour appeler le secrétariat de son médecin. Il s’excusa pour son absence qu’il justifia ce qui lui valut un rendez-vous aussi rapide que le permettait le planning surchargé du patricien. Il s’en contenterait. De toute façon, ce n’était qu’un simple mal de dos. D’ici quelques semaines, tout irait mieux. D’ailleurs, la douleur l’avait déjà fui quand il arriva devant son entrée. Il allait pouvoir se reposer.

 

Du moins le croyait-il.

 

À peine eut-il tourné la clé, puis entrouvert la porte que quelqu’un le poussait violemment à l’intérieur. Il trébucha au sol tandis qu’une peur sourde commençait à l’envahir. Elle disparut aussitôt qu’il découvrit qui s’amusait à jouer les voleurs en herbe.

 

Son ex. Elle.

 

Son regard assassin lui arracha un sourire.

 

– La colère te va à ravir.

 

Était-ce vraiment le moment ? Sans doute pas. Il prit néanmoins le risque de la déstabiliser avec un compliment sincère. Il la trouvait belle. Elle avait été plus désirable quand elle était en proie à la fureur. Il avait adoré lorsqu’elle s’était défoulée sur lui ou sur leurs invités dans leurs jeux amoureux interdits. Hélas ! Elle avait la fâcheuse tendance à se poser trop de questions, à culpabiliser et à se reprocher certains écarts. Malgré ses tentatives pour la rassurer, lui jurait qu’il arrêtait toujours avant que ça n’aille trop loin, elle continuait à se morfondre. Il s’était lassé de cette attitude. Enfin, elle n’en était pas encore là. Pour le moment, elle était en colère. Il était heureux… Non il était plutôt curieux de savoir comment elle allait la gérer aujourd’hui.

 

– Tu es un malade.

 

Cette affirmation, elle la lui cracha au visage sans qu’il ne frémisse une seconde. Elle ne cherchait qu’à lui montrer qu’elle n’était plus sous son charme. Soit. Il n’aurait aucun mal à l’aider à y retomber. Peut-être serait-elle… Oh oui ! Elle serait plus impétueuse que la larve dont il s’était brièvement entiché. Après avoir rejeté son ex, il la désirait de nouveau alors qu’elle semblait le haïr sincèrement… Sombre ironie.

 

– Moi ? Malade ?

 

Il éclata de rire avant de poursuivre.

 

– Je suis un artiste, je vous sublime et vous aide à dévoiler votre vrai visage. Tu as juste été incapable de soutenir le tien quand je te l’ai révélé. Pourtant tu es si belle en dominatrice, si belle quand tu t’en prends à nos esclaves et que tu les tortures sans relâche…

 

Touchée. Il la vit blêmir. Elle n’acceptait toujours pas. Dommage. Elle était si douée dans la domination. Si seulement la vérité n’avait pas éclaté. Si seulement elle n’avait pas su que les proies ne consentaient pas aux sévices. Il s’en voulait de s’être fait démasquer si aisément, car cela le privait de douces corrections. Jamais il n’avait trouvé meilleure maîtresse pour le tourmenter avec ou sans jouet. Il avait d’ailleurs craint qu’elle révèle son côté masochiste au grand public, mais non. Une terrible erreur de sa peur dont il se satisfaisait pleinement.

 

– C’est terminé.

 

Surpris par l’assurance, il la fixa avec un air dubitatif. Puis l’éclat de la lame surgit…

 

Elle

 

Quand elle s’était retrouvée devant sa maison, de sombres souvenirs lui étaient revenus en tête. Leur histoire était venue renaître sous ses yeux pour lui rappeler sa naïveté. Comment n’avait-elle pas vu qu’il était si odieux ? Qu’il se servait d’elle ? Qu’il cherchait à en faire sa chose ? Elle frémit face à certains instants plus douloureux que d’autres. Oui, il l’avait agressée. Il l’avait même violée, mais le pire n’était pas là. Non le pire, ce n’était pas la souffrance infligée par lui. Le pire c’était celle qu’il l’avait convaincue d’infliger aux autres. Comment avait-elle pu croire que ses filles étaient consentantes ? Comment pouvait-elle aimer leur faire si mal sans se douter une seconde que c’était abusé ? Elle avait fermé les yeux, et même si certaines lui avaient assuré qu’elle était tout autant victime, elle n’était pas d’accord. Elle avait participé… et jamais elle ne se le pardonnerait.

 

Alors quand il osa parler de son art, elle perdit littéralement pied. Elle se jeta sur lui avec l’intention de le tuer. Il n’était plus question de le menacer pour obtenir des informations, plus question de discuter, mais de le faire disparaître. À jamais. Il ne pouvait y avoir d’autres solutions. Il s’en sortait toujours usant des failles ou en manipulant les personnes. S’il était arrêté, il arriverait à se faire passer pour la victime de l’affaire. Il les convaincrait qu’elles étaient toutes consentantes, mais qu’elles n’avaient pas assumé le jeu jusqu’au bout et avait décidé de lui faire payer. Oh ! Bien sûr, il existait une chance pour que cela ne fonctionne pas, mais il y aurait encore des gens pour le croire et les salir au passage… Et ce n’était pas juste.

 

Le tuer non plus. Tant pis.

 

Hélas ! Elle échoua à le blesser. Il l’évita de justesse tandis que son élan l’emportait contre un fauteuil. Elle se heurta à ce dernier, puis passa par-dessus avant d’atterrir sur le sol et de manquer de s’embrocher. Quand elle se releva, elle fut surprise qu’il ne cherche pas à la désarmer ou à l’insulter.

 

Non. Il souriait.

 

Comme autrefois. De cet air dément qu’il arborait quand ils terminaient une séance tous les deux. Il adorait qu’elle le fasse souffrir. Il prenait son pied… et elle était sûre que s’il apprenait qu’elle avait une poupée dédiée à le tourmenter, il la supplierait de s’en servir devant lui.

 

– Laisse-moi te montrer comme j’ai été vilain.

 

Son ton était celui d’un enfant pris en faute. Une voix intérieure lui cria de ne pas l’écouter, de le tuer maintenant. Elle l’ignora même si elle savait qu’il cherchait à la piéger. Elle n’aurait pas dû venir de toute façon. Elle aurait dû harceler la police pour qu’elle fasse son travail, mais il était trop tard. Elle était ici à présent et il lui fallait assumer.

 

– Montre-moi.

 

Son sourire s’agrandit alors qu’il lui fit signe de le suivre jusqu’à cette porte qu’elle ne connaissait que trop bien. Elle savait déjà ce qu’il allait lui montrer, mais elle en ignorait l’état exact. Et s’il jouait bien à ce jeu-là, qu’espérait-il obtenir de sa part ? De la clémence ? Non. Il avait une autre idée derrière la tête qu’elle ne pouvait que soupçonner et qu’elle n’aimait pas. Vraiment pas.

 

Iel

 

Affamée.

 

Iel sentait son ventre se creuser. Iel ne supportait pas cette sensation qui l’affaiblissait et troublait ses pensées. Réfléchir devenait plus compliqué. Dormir l’était davantage. Ne pas manger à sa faim était une véritable torture. Iel était certaine que son bourreau le faisait exprès. En même temps, il se servait de la nourriture comme récompense ou humiliation. Il la nourrissait comme un chien ou lui donnait à la cuillère, mais il veillait toujours à ne pas trop la nourrir. Il avait même fini par espacer les repas…

 

Et iel sentait que le dernier était ancien. Son ventre lui disait. Sa gorge lui signifiait aussi qu’elle était trop sèche. Iel essayait de la tromper avec de la salive. Iel faisait aussi semblant de mâcher avec l’espoir que cela suffise à berner son estomac.


En vain.

 

Soif et faim venaient s’ajouter aux douleurs physiques et morales. Iel ne souhaitait plus qu’une chose : la fin. Iel ne supportait plus les tourments. Son esprit s’effilochait, se perdait sans qu’iel ne puisse rien y faire pour l’en empêcher. Pourtant iel avait essayé. Iel avait tenté de dater les journées à l’aide des repas puisque la lumière ici ne passait jamais. Iel s’était inventée des histoires, mais cela ne durait jamais.

 

Ses pensées finissaient toujours par tourbillonner. Son corps venait lui rappeler ses souffrances tandis que le temps continuait de s’égrener avec une lenteur proche de l’éternité. Iel n’en pouvait pas plus. Iel ne souhaitait plus qu’une chose.

 

La fin. Qu’iel soit sauvée. Ou tuée… Peu importait. Iel voulait juste que tout s’arrête…

 

Le bruit de la porte interrompit le maelstrom de sensations. Iel se recroquevilla avec l’espoir de disparaître. Même si iel voulait en finir, iel ne voulait pas endurer les nouvelles tortures. Iel était sûre que s’il la tuait, ce serait avec une infinie lenteur pour que son esprit bascule. Définitivement.

 

– Surprise ! claironna-t-il.

 

Un sursaut agita son corps. Iel tenta un regard vers son bourreau, mais son attention s’éloigna bien vite de lui. Quelqu’un était avec lui. Quelqu’un se tenait derrière lui. Quelqu’un lae fixait.

 

Elle.

 

Un contact visuel s’établit.

 

Un instant. Une seconde.

 

Puis iel le rompit. De honte.

 

Et tout s’emballa.

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Liné
Posté le 21/03/2020
Ayé, je prends (enfin !) le temps de finir ma PAL plumienne, abandonnée ya plusieurs semaines, et en reprenant Haine je constate que le chapitre commence par les pénuries du service hospitalier O___o

J'ai tiqué sur le "je suis un artiste" de Il : ça me fait forcément penser à ce pseudo-débat sur la séparation de l'homme et de l'artiste... J'ai lu Le Consentement de Vanessa Springora, et d'après son témoignage, Gabriel Matzneff ne la faisait pas, lui, la distinction entre le pédocriminel qu'il est, et l'écrivain qui se sert de ses "penchants" pour pondre un contenu atroce.

Le personnage de Elle est très intéressant (une victime-coupable par complicité, et les remords qui en découlent). Je ne sais pas si c'est volontaire de ta part, mais je me dis qu'il n'est pas impossible qu'elle retourne sa veste et qu'elle se plie aux quatre volontés de Il...

Plus qu'un chapitre !
A très vite
Jupsy
Posté le 19/07/2020
Alors je pensais t'avoir répondu mais j'ai procrastiné en beauté !

Oui j'ai parlé des pénuries du service hospitalier sans doute parce que j'ai deux cousines infirmières, une tante anciennement ambulancière (et sage femme) et des aides soignantes ici et là (cousines et tante confondues). Tu noteras que c'est très féminin, mais j'ai quand même eu un grand père qui travaillait dans un hôpital psychiatrique. Bref, j'ai l'occasion d'avoir un écho sur le sujet et je me suis dit que comme il passait aux urgences, j'allais en profiter pour en toucher deux mots.

Pour le "je suis un artiste", la référence au débat est bonne. D'ailleurs ça me fait penser au compositeur de Skyrim qui se sert de ses penchants pour faire sa musique. Du coup je pense que l'on peut séparer l'artiste de son œuvre, mais à la guillotine. En tout cas pour moi, ça s'imprègne toujours, parfois c'est juste plus visible que d'autres.

Quant au personnage de Elle, y a du vécu dedans. Je sais que quand tu es sous l'influence de quelqu'un, même si tu sais que c'est mal, il a parfois un tel pouvoir que tu pourrais replonger direct. Il suffirait d'un rien parfois. Donc oui c'est volontaire de ma part même si je savais déjà à ce moment-là si elle allait sombrer à nouveau ou non.

En tout cas merci pour ton commentaire ! <3 (Faudra que je lise ta nouvelle fiction d'ailleurs ! )
Keina
Posté le 25/01/2020
Tiens, c'est marrant, j'ai été vraiment interpellée dans le paragraphe sur iel de ton usage de "elle" et "la" à plusieurs reprises. Est-ce qu'iel se genre au féminin à certains moments, ou est-ce une erreur ? Si c'en est pas une, quelles sont les conditions qui font qu'iel se genre au féminin ? Ce serait à creuser, je trouve ça hyper intéressant...
Bon, à part j'ai aussi adoré le traitement que tu fais de "elle", le fait qu'il ait fait d'elle une dominatrice et qu'elle ait adoré ça. Je trouve que ça lui donne une belle profondeur, on est au-delà du "méchant" d'un côté et de la "gentille" de l'autre.
Et la fin... j'espère qu'elle est là pour lae délivrer, mais vu ce que tu as raconté plus haut, j'ai peur qu'il arrive à la manipuler pour faire d'iel ce qu'il veut... aaah c'est passionnant tout ça !
Jupsy
Posté le 07/02/2020
Coucou Keina,

En fait le elle et le la sont des erreurs de ma part. Parfois les vieilles habitudes reviennent et je me surprends à remettre du elle alors que je pensais iel. Par contre dans une autre histoire, que je n'ai pas encore publié, mon iel se genre parfois en il ou elle. Mais c'est une autre histoire ! (et une autre époque aussi)

Je suis contente que tu apprécies le traitement de elle. Je tenais à ce qu'elle ne soit pas qu'une simple victime de Il.

Merci encore pour ton commentaire, et j'espère que le final sera à la hauteur de tes espérances. :)
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