Alors c’était donc ça, le fameux collège Honoré de Balzac ! Deux grands bâtiments à l’aspect plutôt délabré et en guise de cour, un désert de gravillons abritant un platane tout dégarni. Sans oublier les bancs aussi vieillots que l’établissement. En résumé : un nom classe, pour un endroit miteux ! Bref, le décor idéal pour vous filer au mieux une migraine, au pire une dépression. Dire que mes parents comptaient me faire rester quatre ans dans ce lieu sinistre ! Qu’est-ce que j’avais bien pu leur faire pour mériter ça ? Comme rentrée en sixième, j’avais vraiment rêvé mieux. Honoré de Balzac, ça sonnait pourtant bien avec sa particule. Il y avait erreur sur la marchandise. Je n’avais qu’une envie, hurler « Remboursé », et qu’un désir, retourner dans ma douillette école des Primevères. Pour arranger le tout, maman avait décidé de rester avec moi jusqu’à l’appel des classes. Génial ! C’était bien la peine d’avoir passé l’été à me parler d’autonomie. Voilà que dès le premier jour d’école, j’allais passer pour « un bébé », incapable de quitter les jupes de sa mère. Ma réputation était faite. Heureusement, d’autres parents étaient là et je dois bien reconnaître que je râlais surtout pour la forme. Franchement, je n’en menais pas large et j’étais bien contente de sentir une présence rassurante, quitte à passer pour une cruche.
Depuis des mois, j’étais l’objet d’un redoutable « gavage de crâne » avec des formules du style « Tu franchis un cap » ou encore « Tu deviens une grande ! ». Du flan ! Mes parents avaient aussi glissé quelques phrases du type « Si quelqu’un t’embête, il faudra le dire à papa et maman DE SUITE ! » Vu la tête du collège, je comprenais mieux ce que sous-entendait le « t’embête », et vu ma tête, je comprenais que je risquais le racket à chaque coin de couloir, ou le harcèlement pour délit de « bonne élève ». Autant regarder la réalité en face. : J’allais devoir passer l’année en mode SURVIE. Mais au lieu de me faire remplir des cahiers de vacances, ils n’auraient pas pu m’inscrire à des cours de judo ou de self défense, mes parents ! Non, ils avaient préféré suivre leur « projet éducatif » !
Figurez-vous que depuis ma naissance, j’ai été programmée pour devenir « une intello ». C’est pourquoi j’ai été soumise à une intense « stimulation » niveau cervelle, il faut dire qu’avec tous les enseignants qu’il y a dans la famille, ça aide. Les seuls à avoir échappé à la vocation prof, ce sont mes parents et mon tonton Hervé. Mes grands-parents ne semblent guère avoir apprécié ce saut d’une génération, et font tout pour rattraper le coup avec moi. Chez eux une seule chaîne de télé : Arte. Une seule radio : France Culture. Tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une nouvelle technologie est banni. Internet est une invention diabolique et les portables sont une source d’asservissement mercantile, d’après mamie. En revanche musées, concerts de musique classique, lectures publiques, représentations théâtrales, rien ne m’a été épargné depuis mes deux ans.
Le soir, pas question d’un petit conte de fées bien « plan plan » avec belles princesses et valeureux chevaliers. Non, c’est avec le récit des aventures du Nautilus ou des assauts des mousquetaires du roi que je m’assoupissais. Alors tous ces mots compliqués ont fini par devenir familiers et par envahir mon univers. Nous nous sommes apprivoisés en quelque sorte. Si avec tous les efforts de ma famille, je ne finis pas un de ces jours Prix Nobel ou quelque chose dans le genre, j’aurai fortement déçu leurs attentes. Pour ce qui est de mon vocabulaire un peu plus étendu que celui de la moyenne, il vient aussi d’un jeu mis en place par papa. Enfin, je soupçonne mon grand-père de lui avoir soufflé l’idée. Son mot d’ordre à papi : c’est pas de pédagogique sans ludique. Je suis devenue son principal sujet d’expérimentation.
Alors voilà depuis mon plus jeune âge, il y a une règle sacrée : aucun mot familier en ma présence. Toute infraction est sanctionnée par une amende d’un euro. Du coup tonton Hervé n’ose plus ouvrir la bouche, mais s’insurge contre de tels procédés en lâchant : « Comme si y en avait pas assez avec les radars ! ». Pour la défense de la langue française, papa a d’autres idées : chaque fois que j’emploie un mot « recherché » et comme il dit « à bon escient » dans une conversation, j’ai droit à une prime : 50 centimes. Autant dire que je n’ai pas laissé filer une pareille occasion de m’enrichir. Au passage, j’ai acquis un vocabulaire qui fait l’admiration de tous, enfin des grands, pour les autres je suis juste une « intello » ! Ca tombe bien, j’ai les lunettes de l’emploi. Pourvu que je réussisse à échapper à l’appareil dentaire, sinon c’est sûr j’aurai la panoplie complète.
Bon, comme vous avez pu le constater, il m’arrive aussi de parler comme une petite fille de onze ans et là dans cette cour transie de froid ou de peur, je ne sais pas très bien, je n’avais qu’une pensée : « Pitié, ne me dites pas que je vais devoir passer quatre années dans ce « trou » ! Et qu’un seul souhait : « Pourvu qu’on déménage bientôt ! » Pour ne rien arranger, je n’avais encore aperçu aucun de mes anciens camarades. Rectificatif, à ma droite se trouvaient Dimitri et son compère Alan. Ces deux là, j’aurais préféré les « zapper » définitivement. Décidément si papa m’entendait penser comme ça, il serait furax, enfin furieux. Ces deux crétins avaient réussi à franchir le portail. Pénétrer dans l’enceinte du collège n’était pourtant pas une mince affaire. A croire que malgré mes premières impressions, Balzac, ne ressemblait peut-être pas au far west. L’ordre semblait y régner. D’étranges contrôles s’y déroulaient, des pratiques surprenantes dont certaines devaient faire les frais à commencer par Roxane, une vague connaissance.
Difficile pour moi de sympathiser avec une fille qui ne pensait qu’à la mode et aux garçons. Et je dois le confesser, sa petite mésaventure matinale n’était pas sans m’amuser. En effet, comme l’indiquait le petit b, du grand II, page 4, paragraphe 6, ligne 8 du règlement intérieur : une tenue correcte est exigée.Pour être sûre que cet article soit respecté à la lettre, le chef d’établissement avait demandé d’appliquer un contrôle drastique. Aucune lolita ne franchirait l’enceinte du collège. Roxane très légèrement vêtue n’échappa donc pas à une épreuve simple : le contrôle du nombril. Guillaume, le surveillant abonné au portail, lui fit lever les bras.
« Comme pour un braquage ? demanda ma « camarade » qui ne comprenait pas le comment du pourquoi, mais qui obéit tout de même vu la mine patibulaire de son interlocuteur.
- Mademoiselle, le contrôle est positif : on voit le NOMBRIL ! Retourne chercher une petite laine chez toi.
- Hein, mais c’est un collège de bonnes sœurs, j’hallucine grave ! C'est quoi ce délire ?
- Je ne voudrais pas avoir à rajouter « rébellion à surveillant », jeune fille. "
Si j’étais débarrassée momentanément de Roxane qui pestait en répétant " la laine, c'est pas stylé ", je ne l’étais pas pour autant de Dimitri et Alan. Le premier était un fier à bras, qui n’avait pas deux sous d’intelligence et qui la ramenait tout le temps, le deuxième le suivait partout comme un fidèle caniche. La seule fois où Dimitri avait rendu une rédaction correcte, il avait avoué que sa mère avait collaboré au devoir. Plus tard, il avait confessé s’être contenté de choisir le stylo. La réponse de Mlle Clément, notre institutrice avait été cinglante : « Zéro pour vous, quant à votre mère, si elle a la nostalgie de l’école primaire, je suis prête à l’accueillir dans votre classe. » Ce n’était sans doute pas l’envie qui lui manquait d’ajouter « pour une remise à niveau ».
Un autre visage familier venait de franchir le portail. Là encore, quelle déception : Benoît ! Décidément, tous les cancres s’étaient donnés rendez-vous. Sur le coup, je n’avais pas compris quand papa avait parlé de « fuite des cerveaux » vers le collège Sainte Anne. A présent, j’entrevoyais ce qu’il voulait dire. D’ailleurs, nous n’étions pas très nombreux, et le sixième ressemblait à s’y méprendre à une espèce en voie de disparition. Alors que je commençais à me désespérer, j’aperçus le sourire d’Alice, ma meilleure amie. Ouf ! Depuis toujours nous étions inséparables, mais le sort allait peut-être en décider autrement. Dans quelle classe serions-nous ? Je surpris Alice en train de croiser les doigts, tandis que maman me caressait la joue et me chuchotait : « Tu vas voir, tout va bien se passer, ma chérie. » Là, j’entrais définitivement dans la case « gros bébé ». Consultation chez le pédopsychiatre d’urgence !
Soudain, un murmure parcourut la foule des enfants et parents réunis en ce froid premier mardi du mois de septembre, un personnage à l’allure étrange et armé d’un énorme microphone venait de faire son apparition ou plutôt son entrée sous le vieux préau. J’ignorais quelles allaient être ses premières paroles, mais j’aurais pu lui souffler la formule qui résumait mes premiers pas au collège.
Fini les bisounours, bonjour Koh-Lanta !
J aime beaucoup le style.
Et si les recits de rentree des classes sont en général pas toujours fun a lire, celui ci est fluide et amusant. Avec les details "juste ce qu'il faut" pour le garder leger et vouloir decouvrir la suite en rigolant.
Une faute la :
( Je n’avais qu’une envie, hurler « Remboursé ») -remboursez ?-
ce n'est pas ce que je lis habituellement mais je dois dire que ce fut un plaisir car tu as une belle plume et je n'ai pas remarqué de "fautes".
Cette petite me semble avoir un caractère bien trempé, tout en sensibilité!
Elle me rappelle vaguement quelqu'un.... moi... au même âge.
Ta fluidité et ton humour ont contribué au bon moment passé dans ce chapitre.
A suivre donc...
Au plaisir
Ella
Merci beaucoup pour ton commentaire qui m'encourage à poursuivre. Je suis ravie que tu aies passé un bon moment. A bientôt, j'espère.
Merci pour ton commentaire (le premier!). J'espère que tu prendras plaisir à lire la suite. A bientôt.