Un jour, Benoît ayant fait au cours d’une de ses rares lectures la découverte d’un mot savant, avait demandé à Melle Clément le sens d’« extravagant ». Elle le lui avait expliqué aussitôt, cependant elle n’avait pas trouvé sur l’instant de personnage à qui appliquer cet adjectif. C’est sans doute qu’elle n’avait jamais eu affaire à la principale du collège, car c’est bien d’elle qu’il s’agissait. Le microphone qu’elle brandissait, me laissait perplexe. Allait-elle nous accueillir en fanfare, pousser la chansonnette ?
Madame Sablé, car c’est ainsi que se nommait celle qui dirigeait le collège Balzac, était en quelque sorte la PDG de cette petite entreprise, qui paraissait plus proche du dépôt de bilan, que de l’annonce de bénéfices records. Vu son air renfrogné, le concert semblait exclu et la vie dans l’établissement, ne ressemblait pas à un long fleuve tranquille. Melle Clément avait consacré une séance de vocabulaire à la polysémie des mots, elle avait pris comme exemple le mot « classe ». Mme Sablé avait dû s’arrêter au sens administratif du terme, peut-être comme la maman de Dimitri, avait-elle besoin d’une « remise à niveau ». Une voix derrière moi chuchota : « Elle est fringuée comme un sapin de Noël ». Et, c’était vrai. Il ne lui manquait plus que la guirlande qui clignote, parce que pour ce qui est des boules, elle avait déjà trouvé deux énormes maracas qui pendaient à ses oreilles, en guise de boucles d’oreilles. D’ailleurs un grand monsieur à la chevelure argentée laissa échapper un « Quel goût de chiotte ! » Le constat était unanime : du goût, notre principale en avait à revendre, mais que du mauvais ! A part une séance de relooking, il n’y avait rien à faire pour elle. A la réflexion deux, ce ne serait pas de trop !
Non, je n’exagère pas ! Sa tenue me rappelait le titre d’un roman que j’avais aperçu sur un des rayons de la bibliothèque « Le rouge et le noir ». Un classique, m’avait dit papa. Classique le roman l’était sûrement, les couleurs je ne sais pas, la tenue de la principale certainement pas. Drapée dans une sorte de cape noire à la Batman, elle arborait fièrement un chemisier rouge à gros motifs dorés. Sa jupe noire à franges style jeune squaw lui donnait du fil à retordre. Du fil justement, il en faudrait peut-être bientôt, car comment dire, cette charmante jupette semblait sur le point de craquer, voire d’exploser. Elle était près du corps, effet moulant recherché, effet boudinant obtenu. Pourtant, ce n’était pas le tissu qui avait rétréci au lavage.
Des bas résilles à l’aspect filet de pêche enserraient les jambes de la principale. J’ai oublié de préciser qu’ils étaient raccord avec le chemisier, donc rouges. Cette improbable tenue donnait à Mme Sablé à la fois un air de super héros chauve-souris, de danseuse de flamenco et d’indienne à peine sortie du tipi. Inutile de préciser qu’elle aurait fait une proie idéale pour un taureau en mal de compagnie. D’ailleurs, elle aurait été bien embarrassée pour prendre la fuite. Elle portait en effet aux pieds une paire d’objets non identifiés issus d’un croisement osé entre le sabot et la chaussure compensée.
Cerise sur le gâteau : la coiffure, une création capillaire révolutionnaire composée d’un savant mélange de choucroute et de pièce montée, mais attention montée de travers, inspirée directement de la tour de Pise. Pour faire tenir ce périlleux édifice une myriade de petites pinces dorées, à moins qu’elles n’aient été là pour cacher les grosses racines blanches qui tranchaient avec le reste de la chevelure blond vénitien. Je souhaitais de toutes mes forces que le proverbe selon lequel « l’habit ne fait pas le moine » ait une once de vérité.
Son discours fut loin d’être un grand moment de littérature, même si les références ne manquaient pas. Elle débuta en lançant dans le microphone : « Bienvenus dans la cour des grands ! ». Une longue pause suivit cette phrase mémorable, pause sans doute ménagée pour des applaudissements, qui ne vinrent jamais ou à la réflexion deux ou trois, à peine ébauchés, ce qui fut encore pire que tout. Bref, un flop ! Elle poursuivit imperturbable et en insistant sur chaque syllabe : « Comme l’a dit très justement le grand Ernest Renan, une école où les écoliers feraient la loi, serait une triste école. » Elle se racla la gorge, visiblement satisfaite de son petit effet, visiblement convaincue d’avoir « balancé du lourd ».
Et là effectivement, il y eut des réactions, plus exactement des murmures en séries derrière moi. J’entendais pêle-mêle :« C’est qui ce mec Ernest Renan ? Un chanteur ? Ernest, c’est un prénom de papi ! Elle a dit qu’il était grand, tu penses qu’il mesure plus de deux mètres ? C’est peut-être un joueur de basket ! Une école où on ferait la loi, ce serait le pied, oui ! » Inutile de préciser que cette dernière remarque émanait de Dimitri. Mme Sablé lança alors un regard noir à toute l’assemblée, ce qui rétablit immédiatement le silence. C’est sans doute cela qu’on appelle l’autorité naturelle !
Alan poussait de tels bâillements qu’il attira l’attention d’une maman visiblement très concernée par les propos de l’éminente principale. Celle-ci lui fit les gros yeux avant de constater admirative : « Quelle femme pêchue ! Physiquement, elle me rappelle Brigitte Bardot ! » Une autre constata : « Quel discours, ça a de la gueule, on croirait une inauguration, sauf qui y a rien à bouffer ! »
Un gros insecte volant s’invita au milieu du discours fleuve et décida de jouer les vedettes en opérant une série de vols planés au dessus de la direction.
« Ca pour une mouche à merde, c’est une mouche à merde de compétition ! », s’exclama très finement Dimitri.
Mme Sablé tenta quelques coups de cape pour chasser cette intruse, ce qui donnait au choix un Batman en surpoids qui essayait en vain de décoller du sol à l’aide d’un poing vengeur ou une Pocahontas en train d’interpréter une danse de la pluie. Pour autant, cela ne l’empêchait pas de continuer son allocution. Notre salut vint de la technique. En effet, le microphone décida d’une retraite anticipée et après un « ploug » magistral qui en réveilla certains, Mme Sablé articula dans le vide. Elle ressemblait à un de ces personnages de films muets qui gesticulaient nerveusement, mais aucun sous-titre ne vint éclairer la teneur de ses propos. Cela ne contraria personne, beaucoup furent même soulagés. L’assemblée se délecta de cet intermède comique. Ce ne fut pas du goût de la principale qui rageuse de se voir ainsi « couper le sifflet » jeta violemment le microphone, tel un tennisman qui dépité envoie sa raquette valser dans le décor.
« Quelle femme de caractère ! s’écria la mère d’élève de tout à l’heure »
Un monsieur à la chevelure argentée reprit la phrase au bond, pour conclure.
« Un personnage haut en couleurs ! »
encore un chapitre drôle et bien écrit! c'est agréable, ça se laisse lire. Je suppose que si un chapitre est consacré à la directrice et son accoutrement, c'est que cela aura du sens par la suite...
Petites remarques concernant la ponctuation avec laquelle j'ai eu du mal:
-« A la réflexion deux, ce ne serait pas de trop !? », virgule après « deux ». Et je ne comprends pas à quoi tu fais référence, dans cette phrase.
-« Pour faire tenir ce périlleux édifice une myriade de petites pinces dorées », il faudrait mettre soit « : », soit une virgule après « édifice ».
-« Quelle femme de caractère ! s’écria la mère d’élève de tout à l’heure », fermer les guillemets après « caractère ».
-« Un monsieur à la chevelure argentée reprit la phrase au bond, pour conclure.
« Un personnage haut en couleurs ! » », mettre « : » après « conclure »
Au plaisir,
Ella