Le bruit d'un briquet retentit dans l'obscurité et la flamme qui l'accompagne tranche le silence. Avant de disparaître. Ne reste qu'une vague impression sur ma rétine, un léger crépitement qui résonne dans mon crâne. J'ai ce geste, presque obsessionnel, d'allumer un briquet quand s'en trouve un entre mes mains. Ça me rassure. Le bruit, la sensation au bout du pouce, le poids dans la main... Et puis il y a cette flamme qui m'ensorcelle. C'est toujours la même, et je ne m'en lasserais jamais.
Sans même y penser, mon pouce enclenche le mécanisme et la flamme réapparaît. Je ferme les yeux avant qu'elle ne s'éteigne, bascule doucement en arrière pour m'allonger au sol, et déjà, je l'ai oublié. Son visage s'efface lentement à ma mémoire. J'ouvre les paupières à nouveau et la rallume. Le ciel disparaît complètement et ne reste plus que le feu dansant au-dessus de moi. Mes lèvres s'étirent et j'esquisse doucement un sourire. Personne n'est présent pour le voir, je l'adresse donc au monde entier, alors que crépite une nouvelle fois la lumière qui m'éclaire.
Mon bras retombe le long de mon corps, je suis fatiguée. Le ciel réapparaît dans son immensité, effarante.
— On est toutes seules maintenant... soupirè-je.
Je sens un frémissement dans mon cou, comme pour me répondre. Mes lèvres se ferment. Je n'ai plus envie de sourire. J'ai imaginé mille et mille fois ce soir, chacunes légèrement différentes des autres, et je me suis imaginée que la réalité correspondrait forcément à une de ces fables que je créais. Mais la réalité n'est pas une fable, le futur ne se laisse pas prédire si facilement. Ou peut-être est-ce mon imaginaire qui me joue des tours.
Enfin me voilà. Les Buttes-Chaumont s'étendent autour de moi, comme un cadre autour des étoiles. Mon manteau en cuir m'empêche d'avoir froid au cœur de ce mois de novembre. Le craquement du silex retentit à nouveau, j'ai allumé le briquet machinalement. Je sens la chaleur diffuse sur ma main mais ne peux pas voir la flamme. Je n'ai pas la force de relever la tête, préfère perdre mon regard dans les nuages au-dessus de moi.
Le col de mon manteau frémit et je sens une fourrure douce bouger dans mon cou :
— Tu es réveillée, Grenade ? demandè-je doucement.
Pour seule réponse, je sens sa tête se poser sur mon menton. Elle baille avant de se lever à nouveau pour aller dans mes cheveux, contre mon oreille. Sa langue râpeuse léche le coin de mon œil et je relève ma main pour la caresser en retour. Elle est maintenant la seule ancre qu'il me reste, ma seule raison de rester en vie. Alors je m'occupe d'elle comme si ma vie en dépendait, car ma vie en dépend.
Je lève mon bras et la flamme apparaît. Toujours dansante sous mes yeux alors que je fond en larmes. Ma vision se brouille, mais la flamme reste, toujours aussi nette, tranchant le ciel. Grenade pose sa patte sur ma joue et je discerne sa tête apparaître dans le coin de mon œil. Elle marche sur mon visage et se lève sur ses pattes arrière pour attraper la flamme avant de tomber lamentablement sur mon manteau. Elle s'y roule immédiatement et s'endort. Je sens son petit corps respirer contre moi, comme un rappel de ma responsabilité. Et puis la flamme disparaît brusquement, sans prévenir. Je ne la rallume pas, je sais qu'elle ne reviendra pas.