Chapitre 13.
Il avait réussi, il l’avait atteint. Après toutes ces années, il allait enfin pouvoir se délecter des fruits de sa vengeance. Si certains le trouvaient fou, d’autres le comprenaient et le soutenaient corps et âme.
Les Grands Esprits, quelques décennies plus tôt l’avaient mis sur une voie sans penser un seul instant que son destin serait parsemé d’embûches, de troubles, de doutes et de haine. L’amour n’avait plus aucune place dans son existence mais il avait fini par se forger une autre destinée. Pour elle, pour eux, il avait changé. Il avait glissé lentement mais sûrement vers des contrées tortueuses. Il s’était dévoué pour aller jusqu’au bout, quitte à bafouer tous les interdits.
Devant lui, la fumée de son feu de bois s’élevait au doux son des crépitements des branches enflammées. Son ombre paraissait gigantesque contre le pan du tipi mais elle n’était rien comparé à l’oiseau qui venait de le rejoindre dans un fracas assourdissant. Quelques membres du clan curieux étaient venus pour le rejoindre mais le visage du chaman en disait long. Il ne tolérerait aucune parole qui chercherait à le détourner de son but et si un bon nombre d’eux repartait aussi vite, l’un vint à ses côtés pour observer l’avancée du rituel.
L’homme se tenait droit, fier, d’un simple mouvement de la main il fit voler la fumée autour de lui et l’observa. Elle se muait, tournait sur elle-même avant de lui offrir l’image de Caleb endormi.
- Alors le voici? C’est lui le fils de Nirvelli? chuchota l’homme à l’attention du chaman.
- Lui-même! Après toutes ces années. Je tiens enfin sa vie au creux de mes mains, jubila le chaman dans un sourire carnassier.
- Il n’a pas l’air très dangereux, ni même puissant. Ça va être un jeu d’enfant pour toi de te débarrasser de lui, affirma l’homme en observant l’adolscent endormi.
- Sa lignée a toujours été très puissante, je ne le sous-estimerai pas malgré tout. L’avantage c’est qu’il n’a pas conscience de son pouvoir, qu’il ne le maîtrise pas. Et contrairement à lui, je sais ce que je fais et où je vais.
Les flammes grandirent devant les yeux des deux hommes, le visage du chaman se tordait, laissant apparaître ses pupilles noires et les cicatrices qui balafraient son visage de part en part. Un doux souvenir d’une lutte acharnée qu’il chassa d’un bref mouvement de la main. Sa voix s’éleva en un murmure monocorde, la fumée se séparait en deux nuages distincts. L’un gardait l’image de Caleb et l’ordre se modelait au rythme des paroles du chaman. Des cris s’en échappaient, la silhouette d’une jeune femme se dessinait et le chaman admirait son œuvre.
Dans son nuage il pouvait voir Caleb grimaçer en dormant, son cauchemar prenant forme au gré de sa volonté. Fermant les yeux à son tour, il laissa son esprit pénétrer le nuage dédié au cauchemar en formation et permit à sa propre voix entrer en jeu.
- Nirvelli, reviens! Tu ne peux pas fuir! Les Grands Esprits en avaient décidé ainsi, bien avant même que tu ne viennes au monde. Les contrarier, contrarier ton clan, ton destin tu n’y penses même pas!
- Lâche-moi! Les Grands Esprits savent tout. Ils comprennent que nos choix font de nous qui nous sommes. Si les choses ont évolué ainsi, c’est qu’ils sont d’accord! Supplia la jeune femme en levant la tête vers le ciel nuagueux qui dominait.
- Cet étranger te mènera à ta perte. La colère qui s’abattra sur toi, sur lui, tu ne pourras jamais la fuir. Si tu choisis de partir, tu ne seras jamais plus en paix!
- Comment oses-tu? Ton cœur est aussi noir que la cendre. Jamais je n’aurais pu épouser un homme tel que toi, souffla-t-elle en se retournant pour laisser apparaître son visage terrifié
Le chaman était en transe, seul l’homme à ses côtés avait le privilège d’assister aux deux scènes en même temps. Les souvenirs de l'adulte devenaient un véritable cauchemar pour l’adolescent et ce dernier qui commençait à s’agiter dans son sommeil, repoussant ses draps avec une violence inouïe.
Gaagi n’en restait pourtant pas là, d’un signe de la main, il invita l’oiseau-tonnerre à se mêler au rêve de Caleb. L’oiseau entra en scène, décrivait des cercles comme d’ordinaire et l’horreur vint se mêler à la scène avec un naturel déconcertant. L’homme levait la main sur Nirvelli, à chaque coup que la jeune femme recevait un éclair venait pourfendre le ciel. Tout était millimétré. Le chaman ressemblait à s’y méprendre à un chef d’orchestre mais lui seul semblait connaître la musique et le rythme s’accentua.
Un nuage noir vint balayer la scène. Caleb, dans son rêve ,se voyait enfant, dans les bras de sa mère. Cette dernière le cajolait, lui disait combien il était important à ses yeux, combien elle l’aimait plus que tout au monde. Son visage, son sourire, c’est simple souvenirs eurent le bénéfice d’apaiser pour un temps au moins le sommeil de l’adolescent qui décrispait d’ores et déjà son visage. La trêve ne fut pourtant que de courte durée, le chaman reprenait les rênes et très vite, la scène vint de nouveau à changer.
- Toi ici? Que fais-tu à New-York? Questionna Nirvelli surprise de cette visite impromptue.
- Oh et bien, j’ai fini par apprendre que tu avais mis au monde un fils. Comment m’a-t-on dit qu’il s’appelait? Caleb Waban, il me semble? C’est un nom étrange, enfin quoi qu’il en soit. Quelle est la formule adéquate dans ce genre de situation? Toutes mes félicitations n’est-ce pas? Laissa échapper l’homme d’un ton doucereux.
- Je vois. Et bien, merci dans ce cas. C’est bien la formule adéquate n’est-il pas? Répondit-elle du tac au tac en veillant à ne pas tourner le dos à l’individu.
- Ne le prends pas ainsi. J’ai changé. Tout le monde change. En gage d’excuses, je t’invite à boire un verre, lui proposa-t-il en lui tendant la main.
La jeune femme resta un instant sur ses gardes mais il le savait, dans cette ville, loin de ses racines, trouver une main amicale n’était pas chose aisée. L’erreur fut brutale. En prenant sa main l’homme l'enveloppait dans l’une de ses fumées opaque et le décor bascula. Une forêt, ou était-ce une clairière? Le rire du chaman, un bruit de pas dans une course effrénée. Le sommeil de Caleb reprit en agitation.
- Rien ne sert de courir, Nirvelli! Tu ne pourras pas te cacher! Tu es ici chez-moi, je connais chaque recoin, chaque caverne. Nous devons parler très sérieusement de ta progéniture! S’il n’est pas comme toi, alors, il aura la vie sauve et toi aussi par la même occasion!
- Ce n’est qu’un enfant! On ne peut pas encore savoir ce qu’il adviendra de lui, répondit la jeune femme en hurlant sans cesser de courir.
- Bien sûr que tu le sais, tu dois le sentir. Tout comme ton père. Allons, je vais finir par prendre ta fuite comme un aveu!
Il avait raison, elle ne le savait que trop bien. A vouloir protéger son fils, elle venait de le livrer sur un plateau à son ennemi. Nirvelli commença à ralentir, à s’arrêter pour faire volte-face et offrit un large sourire à l’homme qui l’avait rejoint d’un pas assuré.
- Quoi que tu fasses, il est protégé. Par notre famille, par mon père, par les Grands Esprit. J’ai choisi ma voie il y a bien des années et lui, quand il sera prêt, il choisira la sienne. Personne n’a le droit de décider de son avenir.
- Peut-être, mais toi, tu ne seras pas là pour le voir! Siffla le chaman en envoyant une nuée sombre la saisir.
Les hurlements de rage de la jeune mère s’étouffèrent. Le rire du chaman monta crescendo alors qu’il contournait la nuée pour voir sa magie prendre forme.
- Que les Grands Esprits m’en soient témoins. Par ta trahison tu as signé ta perte. Par mes pouvoirs je te retire la vie que tu t’étais construite. Jamais plus tu ne reverras ce cher petit Waban. Tu l’oublieras, comme tout le reste et sera condamnée à vivre une vie de solitude, comme celle que tu m’as condamné à vivre.
- Gaa…,commença à hurler la jeune femme avant de finir son mot par un terrible rugissement.
Le chaman riait toujours, insensible, convaincu du bien fondé de son acte. Se retournant au son du rugissement, il n’eut que le temps de voir une créature gigantesque bondir sur lui. Ses griffes entaillèrent son visage et au coup de tonnerre qui suivit, il disparu à son tour.
Caleb se réveilla en sursaut, hurlant le prénom de sa mère. Son corps était couvert de sueur, tremblant, il alluma sa lampe de chevet avant de voir James franchir le bas de sa porte les yeux écarquillés.
- Caleb? Je ne t’avais pas entendu rentrer! Ça va? Tout va bien? L’interrogea son père en le prenant dans ses bras.
- Maman…Maman, parvint-il à articuler avant de s’évanouir.
Vivement que Caleb puisse mettre fin à ses cauchemars !
Pour ce qui est des rêves, ce n'est pas la maman de Caleb qui échappe à Gaagi, les rêves envoyés sont vraiment de son fait à lui, dans son esprit pas si sain il a su garder une grande part de malice ;)
Donc si j'ai bien compris, Nirvelli était "fiancée" à un autre chaman quand elle a rencontré le père de Caleb, et l'homme n'a pas apprécié qu'elle choisisse l'étranger... (Quel affreux méchant ! J'ai bien toute une liste de qualificatifs imagés pour lui, mais je ne tiens pas à me faire ban XD )
Hâte de lire la suite !
Sur la forme, je trouve que tu as beaucoup progressé ! Bravo !
Sinon pour rétablir la vérité, Nirvelli n'était pas fiancée mais promise.
Vraiment je suis curieuse de savoir quels qualificatifs tu as pour monsieur le Méchant ;)
Je peaufine la suite et elle arrive !