Chapitre 14
Aux hurlements de l’adolescent, Gaagi s’était trouvé contraint de quitter son rêve pour ne pas risquer d’être démasqué. Grâce à l'oiseau-tonnerre, il avait pu au fil du temps apprendre à connaître certaines de ses aptitudes et bien qu’il ne se sache plus puissant et avisé, un soupçon de méfiance demeurait.
Son regard se tourna alors vers l’homme qui l’avait soutenu durant tout le procédé et le chaman afficha un rictus satisfait.
- Que me vaut le déplaisir de ton air ahuri?
- Est-ce bien ce que je crois? Vous ne l’avez pas tué? Nirvelli est toujours en vie? Hoqueta l’homme.
- Comment aurais-je pu la tuer? Suis-je un monstre? ricana Gaagi en se détournant pour observer dans son nuage, Caleb et son père prit dans le feu de leurs émotions respectives. Mais je dois taper un grand coup, encore une fois. Faire résonner dans son jeune esprit malléable, les tambours de guerre.
- Co…comment?
Le chaman ne répondit rien, s’approchant de l’oiseau-tonnerre il tendit la main vers lui, en chuchotant.
- Toi, mon ami, Grand Esprit libre du ciel. As-tu une information qui pourrait m’être capitale? Ton aide m’est plus que précieuse, de toi dépend notre victoire. Si je vaincs le novice, toi, tu auras tout le loisir de vaincre…la créature. Je t’en fais le serment.
L’oiseau s’envola, poussa un long cri strident avant d’atteindre le ciel. Le chaman hocha la tête, ne le quittait pas des yeux avant de voir un véritable tourbillon se muer à deux pas de lui. Son allié, lui, avait reculé d’un pas pour se mettre à l’abri mais Gaagi n’y prêta pas la moindre attention. Il voyait clair dans le message de l’oiseau, grimaça pour la forme avant de tout faire disparaître dans un élan de rage.
- J’aurais préféré me tromper mais ma douce Hateya, tant pis pour toi. Il ne fallait pas te hâter de rendre visite à ton petit cousin. Il ne fallait pas te dresser sur mon passage. Désormais, la hache de guerre est déterrée.
*****
James resta auprès de son fils toute la nuit. Il put assister à plusieurs reprises à ses réveils et ce fut à chaque fois le même déroulement. Son corps se redressait subitement, il appelait sa mère les larmes au bord des yeux avant de sombrer de nouveau dans ce qui s’apparentait le plus à un sommeil agité. À chaque fois plus démunis, James essaya autant que possible d’apaiser ses craintes et contre toute attente se surprit à verser quelques larmes.
Il n’y avait rien de pire à ses yeux que de ne pas comprendre vraiment ce qui lui arrivait, de ne pas pouvoir l’aider et le manque de sa femme était d’autant plus présent. Jamais James n’avait laissé exprimer sa peine après sa disparition. Jamais il n’avait dit à Caleb combien il aimait sa mère. Jamais il n’en avait eu le courage. C’était dans la détresse de son fils qu’il voyait la sienne remonter. Après dix années à l’avoir gardé, bien enfouit elle éclatait au beau milieu de cette nuit interminable.
Aux premières lueurs du soleil, Caleb ouvrit les yeux. Surpris de voir son père endormi auprès de lui, il fronça les sourcils un instant avant de se remémorer sa soirée et ses rêves. Un frisson parcouru tout son être et l’adolescent quitta sa chambre à pas de loup. Il alluma la cafetière, se posa deux minutes sur une chaise avant de prendre sa tête entre ses mains et commença à marmonner pour lui-même.
- Ce n’était qu’un rêve. Un cauchemar même mais ça ne peut pas être la réalité! C’est complètement fou! Je suis complètement fou, ou alors je le deviens! C’est des conneries tout ça! Ce type, comment il pourrait? Comment aurait- il pu? Oh pitié, c’est pas possible, il faut que je me sorte ces images de la tête! Hateya? C’est de sa faute avec ce truc là qu’elle m’a donné! C’est forcément à cause de ça? Non? Peut-être pas? J’en sais rien! Y’avait encore cet oiseau de malheur! C’était forcément réel? Merde je perds complètement les pédales et je suis là comme un con à parler tout seul!
- Caleb? Le coupa alors James qui venait de pénétrer dans la cuisine. Tout va bien? Respire un coup.
- P’pa? Qu’est-ce que tu as entendu?
- Tu parles de cette nuit ou de ce que tu marmonnais maintenant, questionna son père en éteignant la cafetière pour les servir tous les deux.
- Les deux tant qu’à faire? J’ai crié encore c’est ça?
- Oui, tu hurlais. Ça faisait bien longtemps que ça n’était pas arrivé. Je ne pouvais pas te laisser seul, commença-t-il en s’asseyant face à lui. Pour ce qui est de ce matin, je suis un peu gêné. Hier, ta proviseure m’avait prévenu que tu disais être sorti et que tu avais passé un moment avec ta cousine et là, je t’entends prononcer son nom alors j’imagine que tu n’as pas menti, mais à moi, tu me l’as caché.
- Tu connais Hateya? Sans rire?
- Oui, je l’ai connu. Elle devait avoir 4 ou 5 ans la première fois que je l’ai rencontrée. Elle a combien maintenant? Vingt-cinq? Trente ans? Elle est à New-York ou s’était autre chose?
- Elle est à New-York, elle est venue me voir. C’était sa voix l’autre jour au lac, avec celle de mon grand-père du coup si j’ai bien tout compris.
- Je vois, je n’aime pas vraiment cette idée mais qu’est-ce que je pourrais y faire de toute façon?
- M’envoyer en pension loin d’ici, c’est bien ce que tu disais hier soir, grommela l’adolescent en retrouvant soudainement son aplomb.
James haussa lentement les épaules. Même si l’idée lui avait traversé l'esprit, il savait que jamais il ne pourrait faire une telle chose. Éloigner Caleb, le laisser seul pour traverser ses nuits les plus sombres, impossible. Après une gorgée de son café, il plongea son regard dans celui de son fils et soupira.
- J’étais en colère contre toi, je ne le pensais pas vraiment. Mais je pensais que tu ne devais plus rien me cacher alors on fait comment?
- Je t’en aurais parlé. Je ne savais juste pas comment faire et c’était trop soudain. On a beaucoup discuté tous les deux. Elle m’a parlé de ma mère, du rôle qu’elle aurait dû jouer dans sa tribu. Elle est super sympa en plus, même si elle a un peu mauvais caractère. Elles sont toutes comme ça les femmes là-bas?
- Oh ça, tu n’as même pas idée! Se mit-il à rire en adressant un clin d’œil à son fils.
- P’pa? Tu as déjà entendu parler d’un gars dans leur tribu qui s’appelle Gaquelquechose? Hasarda alors l’adolescent plein d’espoir.
Le visage de James se mit à pâlir instantanément. Reposant sa tasse sur la table, il secoua la tête avant de sentir sa salive glisser lentement dans son œsophage. Dans la tribu de Nirvelli non, mais dans une autre oui. L’homme hésita, sa main trembla lorsqu’il se la passa sur le visage et après un rapide coup d’œil vers l’horloge, trancha en quittant la cuisine.
- Ecoute fiston, je dois me préparer pour aller travailler et toi, tu as école. Ce soir on pourra en parler tous les deux mais promets-moi que je n’aurais pas d’appel de ta proviseure, que tu ne vas pas sécher pour aller en ville avec Hateya et surtout que tu rentreras directement après. Ça marche?
- Mais réponds moi au moins, hurla Caleb en le suivant. Je suis sûr que tu sais qui il est!
- Ce soir Caleb, je te promets qu’on en parle ce soir! Clama-t-il en s’enfermant dans la salle de bain.
Frustré et agacé l’adolescent n’insista pas plus, au grand soulagement de son père. Après s’être préparé à son tour, il le salua et retrouva l’air frais du matin. Il prit une grande inspiration, composa le numéro de sa cousine et se trouva consterné en entendant le répondeur. Il laissa pour tout message un “rappelle moi” et s’éloigna à pas lent.
Les paroles de James revenaient le heurter un instant, il devait aller en cours, se tenir convenablement mais en attendant, celui qui restait les bras ballants sans réelles réponses, c’était bien lui. Il ne faisait aucun doute que son père savait qui était ce Ga ou Gaa et s’il voulait attendre la fin de la journée pour en parler ce n’était pas pour rien. Allait-il chercher à noyer le poisson? Espérait-il qu’il oublierait? Caleb grogna, fit un petit signe de la main à son père qui passait près de lui en voiture et attendit quelques minutes qu’il soit hors de vue pour remonter chez-eux.
Son sac de cours jeté contre son bureau, il ouvrit alors son placard, sortit un tas de vêtements au hasard et s’appliqua à les ranger pour que tous ne tiennent dans son sac de sport. Il y ajouta son carnet à dessins, ses crayons et se figea. Que pensait-il être en train de faire? Souhaitait-il vraiment faire ça? Il soupira, entendit son portable sonner et décrocha à la volée.
- Ouai Hateya, écoute. J’ai passé une nuit de merde, faut que tu viennes. Je t’envoie mon adresse et enfin, faut qu’on parle.
- D’accord je vois. Tu es sûr que ça va ?
- Non, mon père me cache des choses. J’ai essayé d’être honnête avec lui, de lui parler sérieusement et lui….ce Ga là, il le connaît et il veut rien m’en dire.
- Ce gars? Mais quel gars?
- Celui avec l’oiseau-tonnerre, j’sais pas, j’en sais rien. Bon je t’envoie mon adresse et on voit ça. A toute.
Il raccrocha sans lui laisser le temps de réagir plus, envoya l’adresse et s’appliqua à finir de préparer son sac. A ses yeux, il n’avait plus d’autres choix, aucune autre solution. Il tournait en rond dans la maison, tentait de se persuader qu’il avait toutes les raisons du monde d’agir comme il s’apprêtait à le faire.
Il fallut qu’il attende un bon quart d’heure de plus pour qu’enfin ne retentisse la sonnerie de la porte. Il se précipita pour ouvrir, laissa entre sa cousine qui le dévisageait et souffla.
- Ne pose pas de questions, je te fais les grandes lignes. Quand je suis rentré hier soir, c’était horrible dans ma tête, j’ai dormi, j’ai fais des cauchemars qui avaient tous un rapport avec ma mère et un type pas net. Mon père sait que tu es en ville, il sait qui est le Ga que j’ai entendu dans mes rêves, il ne veut pas me dire qui ilest donc je vais aller le voir et il n’aura pas d’autre choix que de me dire la vérité. C’est bon t’as tout compris? On y va alors!
- Stop! Lui hurla la jeune femme en posant ses mains sur les épaules de son cousin. Tu veux aller où et pour voir qui exactement?
- Gaquelquechose, je ne connais pas son nom. Je sais juste qu’il était dans mes rêves. Je l’ai vu…je l’ai vu frapper ma mère et aussi il a fait un truc avec de la fumée et après je ne sais pas elle a disparu. Mais c’est lui, c’est lui qui est derrière tout ça et je dois le retrouver et l’obliger à…
- A quoi? Tu crois que tu vas l’obliger à quoi? Waban, si c’est l’homme auquel je pense, tu n’as aucune chance. Tempêta Hateya en le dévisageant.
- C’est ce qu’il m’a dit hier soir, à travers l’oiseau-tonnerre. Que je n’étais pas prêt et que je n’avais aucune chance. Mais tu sais aussi qui c’est n’est-ce pas? Dis le moi! S’il te plaît? Murmura Caleb en baissant les yeux.
- Il doit s'agir de Gaagi. C’est un chaman très puissant. Il est issu d’une tribu réputée pour sa violence au combat mais tout le monde sait que c’est surtout lui qui tire les ficelles. Il ne plaisante pas. Mais si tu décides d’y aller quand même. Il n’y aura pas de marche arrière possible. C’est ta vie que tu risques.
Caleb fronça un instant les sourcils avant de hisser son sac sur son épaule. Dardant un regard vers Hateya il désigna la porte et hocha la tête.
- J’en ai bien conscience, mais c’est de ma mère dont il est question. On y va. Mon grand-père m’avait donné de l’argent pour mon anniversaire, ça fera l’affaire pour payer le trajet jusqu’à chez-toi au moins.
- Tu as laissé un mot à ton père pour le prévenir? Hasarda-t-elle.
- T’es bizarre ce matin toi! Tu crois vraiment que je vais lui laisser un mot alors qu’il me cache la vérité? Non c’est pas la peine De toute façon ce soir, quand il comprendra que je ne compte pas rentrer, il saura certainement où je suis parti. Ce sera à lui de décider s’il me rejoint ou non.
Hateya pinça les lèvres pour ne rien dire. Un mince sourire vint orner son visage alors qu’elle suivait son cousin d’un pas assuré. Le voyage jusqu’au Canada ne serait qu’une formalité mais elle s’employait déjà à lui faire part des us et coutumes de la tribu.
J'aime le contraste avec le précédent, ça fait une "balance". Action > réaction !
Dommage qu'il se soit encore fâché avec son père haha, on a envie de leur mettre une paire de claques à tous les deux pour qu'ils arrêtent de fuir leur relation !
Vivement la suite !
La suite devrait arriver dans la semaine !