Quelque fois, une fille me venait crier
Les choses de ce monde qu’adoraient ses yeux
Où les miens dotaient tout d’un terne meurtrier ;
D’un vers pataud et gauche, elle parlait précieux.
Alors que de mon sang je gorgeais une éponge
Entre mes vers hurlants et mes démons qui meuglent
J’entendis sa voix frêle déranger mes songes
Et comme elle criait, je la sentais aveugle :
Elle n’entendait pas Éole dans les vents
Ni la Bête putride émouvant le marais.
Je décidais pourtant répondre à ses élans,
Je le savais déjà : Je le regretterais.
J’entrouvris le battant, mesurant ma bévue :
Le judas la moquait, et la gamine fière
Me jura qu’elle avait tout saisi de ma vue ;
Elle passa mon seuil en portant des œillères…
Monstrueuses, tordues à en crever les yeux. Elle voyait glisser les arrêtes de cuir au gré de sa cornée aveugle des cieux. Elle ne m’aimait pas ni ne voulait me fuir. Ravagée de crevasse et de large rayure, elle ne voyait pas le détail, ni l’essence, elle voyait grossier sans frôler les moulures :
Elle observait le monde sous un rideau dense.
Je m’en piquais pourtant.
Vivement que tu reviennes rapidement sur lui, histoire de nous offrir une lecture aussi belle que l'histoire que nous peint ce poème.
Je parcours tes recueils au hasard, par curiosité. Je vais t'avouer que certaines lectures sont déroutantes (c'est voulu, je le sais) mais c'est intéressant.
J'aime particulièrement celui-ci (je sais, tu ne l'apprécies que moyennement).
J'aime en particulier le thème, cette confrontation entre la naïveté et le pessimisme. Le style y est aussi plus fluide que dans d'autres de tes textes, ce qui me plaît.
Mon passage préféré est celui en prose, particulièrement piquant.
Je n'ai pas des retours très nombreux sur mes poèmes, donc c'est toujours un plaisir de trouver un amateur à mes errances !
Quant à l'aimer moins que d'autres, c'est certain. Mais je pense que c'est avant tout parce que certains passages sont symptomatiques de mes premiers écrits, et de la tendance que j'avais à faire un carnage sanglant d'absolument toute chose que j'encontrais. Quand mes textes sont trop résolument sombres et crus dans les mots employés, ça me rappelle à mes vieilles proses et ça ne me plaît pas, en ce que cela me renvoie la projection d'un adolescent qui cherche la subversion et la beauté uniquement dans un plaquage systématique de violence. Mon sens de l'esthétique a changé depuis ce temps-là, voilà tout. Je trouve le carnage trop facile. Cela dit, je n'en suis pas tout à fait mécontent non plus. Je pense qu'il me suffirait de substituer au sang dans l'éponge quelque idée plus abstraite et flottante, mais j'ai la procrastination entêtée.
Pour ce qui touche au fond, c'est un de ceux où j'ai eu le moins de travail à effectuer (peut-être une autre raison de ma tiédeur à son encontre), parce qu'il porte sur une relation très courte que j'ai eue. Il a donc coulé sans aide. D'où certainement, la fluidité que tu soulignes.
Le passage en prose est une autre marque de l'écriture de mes débuts. Depuis, je me suis résolu à me cantonner aux formes les plus classiques possible, pour donner une forme de légitimité à ma transgression des règles. Cette entorse doit être une autre explication - encore ! - à ma mitigation. Je retournerai à la prose lorsque je serai pleinement satisfait et souverain de mes vers. Dans ce poème, elle a encore trop un goût d'inachevé, pour une raison que j'échoue toujours à analyser convenablement.
Ravi que la lecture t'ait plu, je vais aller jeter un œil à ce que tu fais.