Ce matin, l'air était doux. Les fleurs printanières envahissaient les prairies et les forêts, libérant leurs fragances dans la brise légère. Mon cheval trottait paisiblement tandis que, juché sur son dos, je lui indiquais le chemin à suivre.
Nous nous rendions à la cascade pour visiter ma marraine, la naïade Perle-d'Écume.
Mais mes plans ne se déroulèrent pas comme je l'avais prévu.
« Bien le bonjour, beau chevalier... »
Horreur. Je ne savais que trop bien à qui pouvait appartenir cette douce voix mélodieuse. Cela ne pouvait être qu'une...
« Quel impoli êtes-vous. Ne vous a-t-on jamais appris à saluer en retour ? »
Ne pas répondre. Ne pas écouter. Et ne surtout, surtout pas se retourner. Si jamais je croisais son regard, j'étais perdu.
« Allons, noble sire, dites-moi simplement : "Bonjour, ma Damoiselle". »
Sa voix était plus proche. Je serrai les dents et talonnai mon destrier. Derrière moi, un bruit de cavalcade m'informa qu'elle avait fait de même. Je fermai les yeux, mais je sentis le courant d'air lorsqu'elle me dépassa.
« Eh quoi, avez-vous un train à prendre ? »
Et elle éclata d'un rire cristallin, comme si elle venait de faire une fine plaisanterie. Je ne savais pas ce qu'était un train, et je n'avais pas envie de savoir. Je voulais juste qu'elle... qu'elle... qu'elle me prenne dans ses bras et me fasse tout oublier.
Succombant à son pouvoir, j'ouvris les yeux.
Une princesse.
Belle comme le jour, au teint de rose et aux yeux de biche, un peigne d'ivoire retenait la cascade d'or de ses cheveux. Elle était vêtue de soie mauve, et un ruché de dentelles garnissait son col, dissimulant à peine sa poitrine avantageuse. Plus bas, une jupe d'amazone s'ouvrait sur de longues jambes, terminées par de fines chevilles et des pieds menus chaussés de cuir doré.
Je tombai instantanément amoureux.
Une petite voix au fond de mon cerveau me rappela que cela n'était pas réel, qu'elle n'avait pas de bonnes intentions envers moi, qu'on m'avait mille et une fois mis en garde contre ces créatures des enfers, et que de toute façon elle n'était même pas mon type ; mais mon esprit envoûté fit taire le brin de bon sens qu'il me restait.
Je fis ralentir mon cheval.
« Bien le bonjour, beau chevalier, répéta-t-elle de sa voix incomparable.
- Bien le bonjour, ma Damoiselle », répondis-je, hypnotisé.
Et voilà. J'étais définitivement condamné. La princesse fit volte-face et entraîna sa monture - une licorne immaculée - sur des sentiers que je n'avais jamais vu auparavant. Moi, je ne pensais plus. Je ne me demandais pas où elle me conduisait, je ne me souvenais plus de ma marraine, je ne savais même plus mon nom. Je n'espérais qu'une chose : qu'elle tourne de nouveau son beau visage vers moi.
Les sabots de sa licorne frappaient le sol avec une cadence parfaite, faisant jaillir des étincelles d'or des marches cristallines sur lesquelles nous nous engagions - et soudain, je repris mes esprits. Des marches cristallines ? Nous n'étions plus dans la forêt. Nos montures gravissaient un escalier en suspension dans les airs, un escalier qui apparaissait sous les pas de la licorne. Je me retournai sur ma selle. Derrière moi, les marches magiques s'évanouissaient peu après que je les gravissais. À quelle hauteur étions-nous ? Loin, loin au-dessous de moi, je discernais encore la forêt. La ville paraissait minuscule, et les champs tout autour avaient la taille d'un timbre-poste.
Si je m'avisais de faire demi-tour, nul doute que je tomberais et me romprais le cou.
Quel idiot avais-je été de prêter oreille à la princesse !
Devant nous se dessinait déjà le palais de lumière qui faisait la demeure de la magnifique démone. Deux phénix d'or et de feu en gardaient l'entrée ; nul doute que personne n'en était jamais ressorti vivant. Je fermai les yeux, me préparant à une captivité éternelle.
Bruissement d'ailes.
Je crus avoir rêvé. C'était trop beau pour être vrai ! Je ne voulais pas ouvrir les yeux, de crainte de voir mon illusion s'estomper ; mais le flap-flap persistait et se faisait de plus en plus fort.
La princesse jura.
J'ouvris les yeux.
Grand, long, bleu comme la mer, un dragon volait vers nous. Ses grandes ailes blanches brassaient l'air avec puissance, et ses yeux d'or restaient fixés sur nous. Il se rapprochait à vue d'œil, il n'était plus qu'à une dizaine de mètres...
La princesse n'allait pas se laisser faire. D'un geste, elle ordonna à ses phénix de quitter leur poste et d'attaquer la noble créature. Un magnifique ballet aérien s'engagea, feu contre ciel, enfer contre délivrance. De son côté, la princesse fit tourner son bracelet autour de son poignet :
« Marraine, viens à mon secours ! »
Le dragon avait déjà triomphé de l'une des deux bêtes, qui tombait à présent vers le sol en se consumant de ses dernières flammes. Mais ses belles écailles présentaient des brûlures, et l'une de ses ailes arborait une large plaie qui gênait visiblement sa mobilité. Il viendrait vraisemblablement à bout du deuxième phénix, mais serait-il en mesure de combattre la fée marraine de la princesse ?
Ce fut alors que les portes du château s'ouvrirent en grand. Les phénix ne les gardant plus, tous les chevaliers captifs s'étaient précipités pour sortir de leur prison. J'en comptai cinq ; et tous les six, nous nous jetâmes sur la princesse. Je parvins à lui arracher son bracelet que je jetai dans le vide. Et les autres déchaînaient leur rage contre leur ancienne geôlière.
« Cela suffit ! »
Nous nous arrêtâmes. Le dragon se tenait au-dessus de nous, vainqueur des gardes de la princesse.
« Il ne faut pas répondre à la haine par la haine. Laissez la princesse dans son château. L'isolement sera sa seule punition. »
Nous nous inclinâmes devant notre sauveur. Il nous proposa de prendre place sur son dos ; une fois que ce fut fait, il prit une longue inspiration et cracha son souffle divin sur l'escalier de cristal. Celui-ci s'effondra en une pluie de paillettes, coupant tout lien entre la princesse et le monde des hommes. Puis il déploya ses ailes et nous emmena, tous les six ainsi que mon cheval, sur le sol d'où nous venions.
Je retrouvai ma marraine, elle m'assura que rien de tout cela n'était de ma faute, et m'offrit l'un de ses succulents muffins aux perles d'eau douce. Je passai un excellent après-midi ; après quoi je rentrai chez moi, retrouvai mes épées et mes chats, je me blottis sous ma couverture lestée et m'endormis sereinement. Oui, il y avait des princesses dans ce monde, mais les dragons veillaient sur nous. Et peut-être qu'un jour, je trouverais une chevaleresse ou un chevalier avec qui je voudrais passer le restant de mes jours. Mais ce ne serait certainement pas enfermé dans un palais de cristal gardé par des oiseaux de feu.
Super récit.
J'ai adoré cette totale inversion par rapport aux textes traditionnels.
Je me suis laissée captivée malgré moi.
J'en lirai d'autres.
(Bon du coup je vais rajouter quelques précisions, parce que certaines histoires sont un peu moins adaptées aux petits)
Morale de l'histoire : toujours être du côté de ceux qui aiment les chats.
Bravo !
Bravo !