Il était une fois un dragon qui en avait marre. Le temps où son espèce semait la terreur sur le monde était révolu. De nos jours, les dragons étaient employés dans des chaufferies, des usines sidérurgiques ou plus rarement dans des pizzérias. Les billets de banque avaient remplacé les pièces d'or, et n'étaient bons qu'à payer les bouchers. Bouchers qui ne servaient même plus de viande de cheval. C'était déprimant.
Le dragon n'allait pas se laisser faire. Il allait se révolter. Il allait enlever une princesse.
La princesse la plus proche se trouvait justement sur le balcon de son palais, en proie à une vive dispute avec sa royale mère.
« Ma fille, je vous félicie pour vos excellents résultats en musique et en broderie, mais concentrez-vous, je vous prie, sur les autres disciplines ! Vous avez trois sur vingt de moyenne en mathématiques ! Pourtant, quand nous nous penchons ensemble sur vos devoirs, vous ne manifestez pas de difficultés...
- Je vous prie de me comprendre, mère. Il s'agit d'une matière difficile et peu attrayante. Les évaluations me sont d'un ennui mortel. À quoi bon calculer la moyenne et l'écart-type d'une série de nombres alors que je pourrais terminer d'orner le bustier de ma robe de bal ?
- Mais lorsque vous nous succéderez sur le trône, il faudra bien que vous soyiez en mesure de tenir les comptes du royaume ! Enfin bon, je veux bien concevoir que vous ne puissiez pas aimer toutes les matières. Mais vous présentez des lacunes similaires en histoire, en géographie et en langues étrangères. Voulez-vous vraiment délaisser les affaires de l'État à vos conseillers ?
- Certes pas ! J'organiserai des bals, présiderai des tournois et sélectionnerai le meilleur des hommes de la cour pour en faire mon mari. »
Le dragon, entendant ces paroles, se réjouit : c'était là une princesse, une vraie, digne et de haute valeur ! Alors il fondit sur elle, l'attrapa et s'envola avec son butin entre les pattes. Tout autre damoiselle aurait immédiatement tiré une dague de sous sa jupe pour la planter entre deux écailles des doigts de son ravisseur, et faire en sorte qu'il lâche sa proie ; mais celle-ci ne savait que pousser des cris aigus. La reine saisit bien évidemment une arbalette, mais le carreau ricocha contre une écaille et ne lui causa qu'une bénigne éraflure.
Heureusement, il y avait à la cour un chevalier qui ne manquait pas de courage. Pour dire vrai, le courage était l'une des rares choses dont il ne manquait pas : il n'avait ni intelligence, ni jugeotte, ni respect d'autrui. Même si selon lui, c'étaient surtout les bonnes mœurs qui se perdaient. Enfin quoi, où était le mal à embrasser une vicomtesse qui dormait tranquillement dans son lit ? Et si elle avait été victime d'une malédiction, hein ? Ils y avaient pensé, à ça, les juges, avant de le condamner pour agression ?
Ainsi, en voyant la princesse enlevée par le dragon, le chevalier ne réfléchit pas une seconde de plus. Oubliant qu'il était en sursis, il bondit sur son destrier, lui enfonça les éperons dans le flanc et se rua à la suite de la princesse. Il ne respecta bien évidemment pas les limites de vitesse, grilla trois feux rouges, quatre stop et un sens interdit, provoqua douze accidents sur son passage ; mais rassurez-vous, les magiciens et fées du royaume s'étaient rendus compte depuis des décennies qu'il y avait bien mieux à faire que de couvrir de fanfreluches les adolescentes qui voulaient aller en boîte de nuit, et les hôpitaux, armés de leur nouvelle main-d'œuvre aux pouvoirs magiques, étaient désormais assez efficaces pour correctement prendre en charge les victimes.
Mais revenons-en à notre chevalier. Après avoir quitté la ville, il s'élança sans plus attendre sur la montagne ; il la gravit en un rien de temps, pour enfin arriver à la caverne. Le dragon y était justement. Il consultait son livre de cuisine pour retrouver la recette des bouchées à la princesse - parce que tout de même, il était primitif, mais pas assez pour la manger crue. Le chevalier dégaina son épée et, d'un large mouvement du bras, décapita le dragon. La tête écailleuse roula à terre et des flots de sang se répandirent sur le sol. La princesse poussa un cri et empoigna ses jupons pour leur éviter d'être souillés.
« Ne craignez rien, Votre Altesse ! Montez en selle, je vous ramène en sécurité.
- Grâces vous soient rendues, Messire ! Mon cœur vous appartient désormais. »
Le mariage dut malheureusement attendre un peu, car au vu des diverses infractions commises par le chevalier, il fut condamné à deux ans de cachot. Son avocat plaida qu'il avait de bonnes intentions, puisqu'il voulait simplement sauver la princesse ; on retint la circonstance atténuante, mais cela ne le sauva pas de l'enfermement. La princesse déclara que cela lui convenait parfaitement :
« Il a risqué les oubliettes pour moi... N'est-ce pas romantique ? »
Finalement, les deux se marièrent et vécurent très heureux. Leur totale incompétence en matière de politique laissa la totalité du pouvoir aux mains des députés, ce qui convenait très bien à tout le monde. Et plus aucun dragon ne s'aventura jamais à enlever des jeunes filles.
Merci pour ta réponse à l'histoire précédente, du coup j'ai lu en avance cette nouvelle histoire, pour mes enfants on repassera, mais là façon dont tu joues avec les anachronisme est sympa. J'avoue que je suis un peu restée sur ma faim. Je trouve la fin un peu courte par rapport au reste du conte. Tes allusion aux autres contes sont drôles. Il me semble avec vu une coquille... "Aaprès avoir quitté la ville", sauf si l'écriture du mot "Après" est fait exprès. Du coup je renouvelle mon com, la lecture est fluide. C'est agréable. Au plaisir de te lire de nouveau.
J'ignore si tu l'as modifié depuis le commentaire précédent, mais j'ai trouvé le passage sur la vicomtesse tes à propos. On remet en question le bisou magique vu et revu dans les contes cladsiques, et c'est une chouette porte d'entrée pour parler de consentement aux enfants.
Du coup j'ai encore bien ri. Ces deux-là me rappelle quelques couples croisés dans l'autobus...
Merci à toi !
Cependant, je n'aurai pas mentionné le coup de l'agression sexuel, cela sort tout de suite du contexte conte (et on ne peut plus faire lire le texte aux enfants).
De même, je pense que tu peux un peu allonger et améliorer la fin, c'est un peu court ! Quit à laisser en suspend pour l'instant : le chevalier se retrouva en face du dragon... et écrire la suite dans un deuxième chapitre lorsque l'inspiration viendra !
Mais continue, tu as un bon talent à manier les mots, c'est agréable à lire !!
Le coup de l'agression sexuelle à la base c'était plus détaillé, mais le fait que le chevalier / prince charmant agresse sexuellement une vicomtesse / princesse endormie, on trouve ça dans une bonne partie des contes pour enfants... Je vais peut-être réécrire le passage de façon un peu plus soft