— Tiens, te revoilà ! Tu ne devineras jamais qui j’ai croisé à la gare : Gaspar, Oscar et Léonard !
— Il n’y avait pas Omar ?
— Oh non ! Il passe son temps avec Gérard, au fond du bar du vieux Bernard.
— Sacrée bande de fêtards… Mais ça doit leur en coûter, des dollars !
— Un vrai cauchemar… Et je ne te raconte pas le bazar lorsqu’ils rentrent le soir en car !
— Attend voir… Ne me dis pas qu’ils se bagarrent ?
— Pire que ça : la dernière de ces histoires impliquait un calmar, une baignoire, et un joueur de guitare ! Et ça ne jouait pas du Mozart.
— Voilà le scénario de ton futur nanar – je veux dire : polar.
— Connard.
— Ben quoi ? Il te faudra bien cesser de croire que ton tas de bouquins ringards sera reçu chez Gallimard !
— Mon but n’est pas d’être une star… Mais revenons à nos loubards. Sais-tu que ces deux chauffards ont traversé un carrefour à sens giratoire, pour venir percuter un trottoir ? Ils ont tous deux fini sur le billard, aussi gaillards que des têtards.
— Et qu’ont-ils vu dans le miroir, plus tard ?
— Des coquards, et une fracture de la mâchoire… L’un d’eux a même perdu la mémoire !
— Mille milliards de mille pétards. Il faut admettre qu’ils ont tendance à s’abreuver comme des buvards… Puis à pisser comme des arrosoirs. Demande l’avis des urinoirs.
— Oh, mais il ne faut pas leur en vouloir… C’est pour eux comme un exutoire. Une sorte d’échappatoire.
— Ou plutôt un défouloir… Un jour que j’étais dans leur camping-car, nos deux lascars se sont saoulés au pinard, dans un square, tout en poussant des clochards et leurs clébards sur une balançoire…
— C’est ce qui s’appelle faire de l’art.
— Il y en a marre. Boire, encore… Il leur faut bien remplir leur réservoir, à ces deux trous noirs ! Parfois même à l’entonnoir. Mais savoir qu’ils se battent comme des salopards… Ça, c’est éliminatoire. Je ne sais si je désire les revoir.
— J’hésite moi-même à larguer les amarres. Mais je garde malgré tout espoir !
— Espoir ? Pour eux, je ne vois que deux trajectoires : finir bagnards, ou bêtes de foire.
— Ou bien routards à Fort Boyard.
— Cela me semble contradictoire. Mais les as-tu vus récemment, par hasard ?
— Ouhla oui. Au CHU d’Angers, dans le Maine-et-Loire. Gérard traitait la route de patinoire. Et Omar, lui, n’était pas très bavard. Faut dire qu’il était encore dans le brouillard, au fond de son plumard.
— Ce n’était pas son heure de gloire…
— Difficile de le comprendre dans ces cas-là. On lit en lui comme dans un vieux grimoire. Autant parler à ses panards. Je n’ai pas pu poursuivre l’interrogatoire.
— Quel foutoir…
— Oh oui… Et malgré leurs costards, ils ne semblait pas prêts pour un rencard.
— Bon, je les garde quand même dans mon répertoire ; de compassion je ne suis pas avare.
— Même si tu as quelques écarts… Mais c’est qu’il se fait tard ! Je te laisse, je suis sur le départ. Il est temps d’agiter nos mouchoirs.
— Il n’y a pas de lézard ! Ni même de léopard. Il n’y a d’ailleurs pas non plus de homard… Mais je ne voudrais pas te mettre en retard. Allez, passe le bonsoir à Balthazar. Et au revoir !
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