« Et merde, merde, merde ! Qu’est-ce que j’ai encore foutu bon sang ? Merde, merde, merde »
Ainsi s’exprimait Guy, tout en courant avec son précieux chargement à travers les bois. Son pas lourd faisait trembler la terre, et son avancée couchait les arbres, ce dont il n’avait cure. Il faut dire que Guy était un géant, tout ce qu’il y a de plus géant. Habillé à la dernière mode — ce qui se traduisait par un complet orange vif, des chaussettes montantes à rayures blanches et marrons et des chaussures qui laissaient élégamment passer ses doigts de pied — il se hâtait donc.
Mais pour comprendre la raison d’un tel empressement, revenons-donc quelque temps en arrière.
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Ce jour-là, il faisait beau. Le soleil brillait haut dans le ciel, les oiseaux lançaient leurs trilles à travers les branches. Le vert éclatant des feuilles rehaussait les douces couleurs des fleurs qui s’ouvraient à la vie. L’air sentait bon le printemps.
Guy, jeune géant d’environ 150 ans, gambadait dans la forêt. Alors que tous ses frères étaient occupés à chasser ou à effacer de leurs demeures des affres de l’hiver, Guy se promenait.
Il n’était pas plus fainéant ou faible qu’un autre, bien au contraire, mais ce jour-là il n’avait pas envie. Et quand Guy n’avait pas envie, personne ne venait lui dire quelque chose.
Le dernier à avoir essayé s’était retrouvé la tête plantée dans la montagne, après avoir suggéré que peut-être Guy aurait pu aller faire sa sieste ailleurs qu’en plein milieu de la route, un jour de marché. Bien mal lui en avait pris.
Guy bénéficiait donc du meilleur moyen pour faire ce qu’il voulait, quand il le voulait : on avait peur de lui et de ses désormais légendaires colères.
Ce que peu savaient, c’est que ses colères n’étaient qu’une façade, une façon de cacher le fait qu’il ne se sentait pas à sa place parmi les siens. On l’évitait, et ce qui lui convenait.
Lors de sa promenade, notre géant tomba sur un endroit qu’il n’avait jamais vu auparavant. Au milieu d’une clairière se tenait un étang. Son eau était limpide et chantait joyeusement sur les rochers. Le soleil perçait le feuillage des arbres et conférait à l’endroit une douce chaleur. Le calme et la beauté de ce lieu appelaient au repos, au délassement.
C’est ce que décida de faire Guy. Il commençait à enlever ses vêtements dans l’optique de prendre un bain relaxant quand une petite voix l’interrompit.
« Non, non et non ! Vous ne vous baignerez pas dans mon étang ! Allez-vous-en ! »
Interdit, Guy balaya la clairière et l’étang du regard. Ne voyant rien, il crut avoir halluciné et allait continuer de se dévêtir quand la voix reprit.
« Qu’est-ce vous ne comprenez pas ? Je vous ai dit de déguerpir ! Et plus vite que ça ! »
Guy fouilla les lieux du regard plus attentivement. Il aperçut alors, juchée sur un rocher, celle qui avait l’outrecuidance de s’adresser ainsi à lui. Avisant son interlocutrice, il éclata d’un grand rire qui coucha les herbes et fit s’envoler des nuées d’oiseaux.
« Comment, c’est toi, petite créature, qui ose me parler de la sorte ? Ne sais-tu donc pas qui je suis ?
— Ce que je sais, c’est que vous êtes un malpropre et un mal élevé qui allait se mettre là où il n’a pas le droit ! répondit la petite créature.
— Pas le droit ? Mais j’ai tous les droits ici ! Et qui es-tu d’abord, pour me tenir tête ainsi ?
— Je m’appelle Sélénia, et vous êtes ici chez moi, Monsieur… ?
— Guy, sans le monsieur. Comment ça “je suis chez vous” ? Et tu es quoi en plus ? Un poisson qui aurait essayé de devenir humain, mais ça a loupé à la moitié ?
Guy s’esclaffa, fier de son humour douteux. Mais son rire resta bloqué dans sa gorge, provoquant un étrange gargouillement, quand il vit les yeux de celle dont il venait de se moquer se remplir de larmes.
Gêné, car sous ses apparences bourrues se cachait un grand cœur, il se pencha vers la petite forme en larmes.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te blesser. Tu es une sirène, c’est bien ça ? Tu es la première que je croise.
— Oui, je suis une sirène, répondit cette dernière en reniflant.
Guy dévisagea la demoiselle aux longs cheveux roses. Oubliant son désir de se baigner, il s’allongea sur le sol afin que sa tête soit au même niveau que celle de Sélénia.
— Et si tu me racontais d’où tu viens, ce que tu fais ? »
Sélénia entama alors son histoire. Elle lui dit comment, depuis sa mer natale, elle avait remonté une rivière, désireuse de découvrir le monde. Elle narra ensuite comment elle s’était retrouvée au piège de cet étang, à la suite d’un glissement de terrain qui lui avait coupé tout accès. Elle vivait là depuis, seule, attendant un hypothétique secours.
Guy fut ému par le récit de Sélénia, et il décida de l’aider. Mettant ses mains en coupe, il puisa l’eau de l’étang, formant ainsi un petit bassin dans lequel vint se loger Sélénia. Puis il se mit à courir aussi vite qu’il pouvait en direction de la mer. Ce qu’il n’avait pas anticipé, c’est que les secousses provoquées par sa course faisaient tomber de l’eau à chacun de ses pas. Tout rapide qu’il était, son bassin improvisé ne tarda pas à se vider. Sans eau, Sélénia tomba rapidement inconsciente et Guy continua sa course à toute allure, en s’invectivant intérieurement.
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« Et merde, merde, merde ! Qu’est-ce que j’ai encore foutu bon sang ? Merde, merde, merde »
Guy allait laisser tomber quand il sentit une nouvelle odeur, mélange d’iode et d’algues. Des cris de mouettes arrivèrent à ses oreilles. Dans un dernier sursaut d’énergie, il accéléra encore et déboucha sur une plage. Arrivé près de l’eau, il déposa sa protégée inconsciente dans l’eau, de toute la douceur dont il était capable. Après une attente qui lui sembla interminable, la queue de poisson de Sélénia se mit à tressauter, et elle reprit connaissance. Guy tapa dans ses mains de joie, faisant fuir les animaux alentour, quand il la vit reprendre ainsi vie. Sélénia s’approcha du rivage, faisant signe à Guy de la rejoindre. Elle planta alors ses yeux dans les siens, et déposa un baiser sur son énorme front. Puis, sans se retourner, elle disparut dans les flots.
C’est le cœur lourd d’avoir perdu son amie que Guy rentra dans son village. Il passait d’un pas pesant devant l’étang où ils s’étaient rencontrés quand un scintillement attira son regard. Une conque dorée reposait là, arrivée comme par magie. Guy la porta à son oreille, écouta, et son visage se transforma. Il serra son nouveau trésor contre lui et se hâta de revenir chez lui.
Il ne serait plus jamais seul.
J'aime bien l'idée de Guy le grognon et de la sirène qui est piégée. Au début, j'ai cru que le géant allait creuser un trou pour aller jusqu'à la mer.
Après, c'est pas un génie le géant mais il est gentil donc on lui pardonne.
J'aime bien l'idée du coquillage qui lui permet de ne plus être seul.
Il est pas fufut le Guy ! Il n'avait pas la rivière à proximité, celle depuis laquelle Sélénia était venue ? xD
C'est une très belle histoire... elle est drôle, touchante, plein d'humour, et les deux personnages sont extrêmement attachants, alors même qu'on les voit très peu.
Hormis une phrase qui m'a un peu plus perturbé l'oreille, les dialogues sont très naturels, agréables et coulent tout seul.
Tu es dans un style et un genre qui te va vraiment bien, je ne peux que t'encourager à continuer (et nous proposer quelque chose pour la carte funambule :p)
À nouveau, tu nous offres une histoire charmante, avec des allures de contes de fée. Certaines de tes phrases sont encore un peu maladroites, mais le récit les portent sans problème (et je les sens en voie de disparition, il faut que tu continues d'écrire !). J'ai vraiment aimé ton sens des détails, qui accompagne chaque geste de Guy. Cela rajoute de la vie à ton récit, on visualise vraiment bien les scènes. Et la fin est adorable, tu as de chouettes idées.
Bref, tu l'auras compris : j'ai adoré. ♥
Merci pour ce moment tout doux !
Merci pour cette lecture :)
C'est vraiment très agréable à lire, très frais et doux. Tes personnages sont très attachants, et je rejoins Dédé, je serais curieuse de suivre d'autres aventures avec Guy :p
C'est une très belle interprétation, et ta plume s'améliore de DLP en DLP ! Bravo ♥
Le géant est super attachant. Je t'avoue que je ne serai pas contre de suivre les aventures de Guy. Peut-être dans d'autres DLP ? :P Un roman ? :P Une trilogie ? :P Plusieurs trilogies ? :P Bref, tu saisis l'idée.
Rah ! Vraiment ! C'est le genre de lectures qui fait du bien. Merci pour ce moment, Star ! :D