Ça faisait longtemps qu’elle était là.
Personne ne savait plus vraiment comment ou pourquoi elle était apparue, même les anciens ne se souvenaient plus.
Était-ce une statue ancienne, ressortie de son long sommeil par les mouvements naturels du terrain ? Était-ce une malédiction lancée il y a fort longtemps et dont le terme approchait ?
Nul ne le savait.
Et pourtant, elle était là, dans sa gangue de glace, belle danseuse aux cheveux noirs et au justaucorps rose. Seule la moitié de son corps ressortait, ses bras levés au-dessus de sa tête dans une pirouette à jamais inachevée. Elle était là, dans toute la sombre beauté de sa danse interrompue.
Il l’aimait, cette danseuse. Pas comme un peintre aime son tableau ou un compositeur son opéra. Non, il l’aimait de toute la force de son âme, comme jamais il ne se serait cru capable d’aimer quelqu’un.
Si vous lui demandiez pourquoi il l’aimait comme cela, il vous regardait en souriant tristement, et partait sans dire un mot, les épaules tombantes et le pas lourd.
Tous les jours, il se rendait là où reposait la belle figée et passait des heures avec elle, à lui raconter ses joies, ses peines, ses doutes, tout ce qui fait la vie d’un homme. Puis il s’en allait, le cœur déchiré entre le bonheur du moment passé avec son aimée et la douleur de savoir que jamais elle ne pourrait répondre à son amour.
Et le temps passa. Au début, ceux qui l’entouraient crurent à une tocade, on se disait que cela passerait. Mais plus cela allait, plus notre amoureux se mit à dépérir. Autour de lui, on commençait à s’inquiéter de le voir ainsi accroché à son amour impossible, délaissant ses tâches quotidiennes, allant jusqu’à oublier de s’alimenter quand on ne lui apportait pas son repas.
Décision fut alors prise de consulter la vieille femme qui vivait au milieu des bois, et dont certains disaient qu’elle était aussi âgée que le monde. Un groupe d’hommes courageux partit alors à la rencontre de l’aïeule. Quand ils en revinrent, ils étaient porteurs d’un message d’espoir, mais aussi de ténèbres pour notre amoureux éploré.
D’espoir, car notre belle danseuse en était une de chair et d’os, avant de déplaire à un sorcier colérique qui l’avait ainsi figée alors qu’elle dansait pour lui. D’espoir également, car il existait un moyen de lui rendre sa liberté.
Mais de ténèbres, car ce moyen exigeait plus que ce que peut fournir un être humain, même le plus fort d’entre tous.
Cependant, en dépit du bon sens et de toute raison, il décida de partir en quête du moyen de rendre vie à son amour. Il fit un baluchon de ses maigres possessions et partit sur les chemins, déterminé à revenir pour libérer cette danseuse ou à ne jamais revenir.
Il marcha longtemps, combattit maintes chimères et autres dragons, mais en vain. Aucun trésor, aucune tour, aucune grotte ne recelait ce qu’il cherchait. Il interrogea des savants, des devins, des magiciens, des prêtres, mais personne ne put l’aider.
Il était prêt à renoncer à son amour et à rentrer chez lui quand, dans la dernière bibliothèque qu’il visita, il tomba sur un étrange ouvrage. Sa couverture était usée par les années, ses pages parcheminées cornées par le nombre de mains qui les avaient tournées. Et dans ce livre, qui pourtant ne payait pas de mine se trouvait une carte, et cette carte menait à l’emplacement où, d’après ce qu’il était indiqué, se trouvait la solution à tous ses problèmes.
C’est d’un cœur plus léger qu’il se remit en marche, ayant maintenant un but précis. Ce but était une fontaine qui, d’après la carte, contenait une eau capable d’effacer n’importe quel enchantement. Pour atteindre ce puits, il fallait passer par des épreuves qui testèrent non seulement son courage, mais également sa vertu, sa bonté, sa capacité à s’émerveiller. Mû par son amour, il triompha et parvint enfin à la fontaine. Là, il emplit trois fioles de cette eau magique, puis retourna d’un pas léger vers son village et sa bien-aimée.
En chemin, il croisa un homme qui se lamentait ; sa femme avait été victime d’un sortilège et crachait des grenouilles dès qu’elle voulait parler. Emu par cette histoire, notre héros donna une de ses fioles à la malheureuse, qui l’avala d’un trait. Elle se mit alors à parler sans problème, et sortit de la maison en louant celui qui l’avait sauvé.
Un peu plus loin, ce fut au tour d’un moulin qui tournait à l’envers, faisant repousser le blé quand il aurait dû le moudre, d’être délivré grâce à une des précieuses fioles.
Pressant le pas, autant par peur qu’on lui prenne sa dernière fiole que pressé d’arriver pour enfin rencontrer en vrai celle qu’il aimait, notre aventurier ne vit pas la racine qui dépassait. Son pied se prit dedans, et à la suite d’un salto double carpé suivi d’une vrille — les connaisseurs apprécieront — il s’étala de tout son long.
Le bruit du verre qui se casse retentit, net, dans la forêt. Portant la main à sa poche, il ne put que constater l’humidité qui poissait ses mains.
Abattu, il se rendit dans la clairière où l’attendait et l’attendrait encore longtemps la danseuse figée. S’approchant, il ne remarqua pas tout de suite que quelque chose avait changé. Séchant ses larmes, il se figea, incrédule. La danseuse avait disparue, il n’y avait désormais qu’un trou là où elle s’était trouvée.
Notre héros se précipita sur la place du village et à grands cris en ameuta la population, exigeant de savoir ce qu’il s’était passé. Il était en train de crier quand la foule amassée autour de lui, silencieusement, se fendit. S’arrêtant net, il fixa la silhouette qui s’approchait de lui. D’abord amas flou, ses contours se précisèrent et son cœur lui sembla alors exploser dans sa poitrine.
Elle était là.
Pas figée, pas dans un bloc de glace mais réelle, vivante, gracieuse. Ses cheveux détachés ondulaient au gré du vent, et sa démarche dansante venait souligner sa taille fine. Il apprendrait plus tard qu’elle s’était libérée de sa prison de glace lorsque celui qui l’avait emprisonné était mort, tué par les ailes d’un moulin qui s’était brusquement remis à marcher à l’endroit.
Interdit, il la vit s’approcher de lui et, sans dire un mot, l’enlacer et poser sa tête au creux de son cou. Et là, savourant l’instant, il lui rendit son étreinte.
Il était enfin complet.
Le fait que la générosité du personne soit récompensé est plaisant à lire. Ainsi tout le monde est heureux sauf le méchant ^^.
Les standards du conte sont parfaitement respectés, mais j'ai quand même eu des surprises : finalement, il n'avait pas besoin de partir au bout du monde, il suffisait d'attendre que le méchant sorcier meurt. Pourtant, ce qu'il a fait n'a pas servi à rien, parce que la danseuse ne pourra que plus l'en aimer quand il lui racontera ce qu'il a fait pour elle.
J'ai juste noté une petite contradiction entre : "déterminé à revenir pour libérer cette danseuse ou à ne jamais revenir." et "Il était prêt à renoncer à son amour et à rentrer chez lui". Bon, ok, c'est du pinaillage... ;)
J'ai entendu le live de la Table ronde, et si j'ai bien compris, tu es un auteur débutant ? Ne serait-ce que pour cette nouvelle, tu as bien fait de commencer ! Parce que c'est une réussite !
Même ton écriture est douce : elle est simple et fluide, elle s'efface pour servir le récit (et pour moi, c'est un critère de qualité : quand tu ne vois que l'écriture et plus l'histoire, c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas).
Dernière chose : connais-tu une chanson de Yves Duteil (oui, je tape dans les stars mondiales) qui s'appelle John ? Sinon, je t'encourage fortement à l'écouter : je me suis demandé si le début de ton histoire ne s'inspirait pas de cette chanson ! Allez, c'est cadeau : https://youtu.be/u66WrdCvKPU
Merci pour ce joli moment.
A bientôt !
Tu disais ne pas trop savoir où tu allais, et te laisser porter, et bien mon ami, quand tu te laisses porter ça vaut le coup... Le conte est ultra bien maîtrisé. Tu gères tes ellipses pour éviter les longueurs et tu caches une "morale" que je trouve douce, belle, et délicate. Le texte a toute la force d'une très belle histoire qu'on serait fier de raconter à des enfants.
Tu devrais la tester sur tes petits bouts :p
J'espère voir fleurir d'autres petits récits comme ça ! Tu t'es lancé et tu as bien fait, ça vaut le coup. Ton écriture vaut le coup...
Alors tu te prends ma tatane et tu vas me rattraper les autres cartes. BISOUS BISOUS
Il y a de très bonnes choses dans cette nouvelle. Ta plume y est un peu maladroite encore (je pense que tes phrases gagneraient parfois à se simplifier), mais elle se lit sans aucun problème et porte joliment tes idées. J'ai beaucoup aimé le fait que l'amoureux n'ait pas été puni pour sa générosité, de même que l'aspect très "conte" du texte. On s'y glisse avec délice, comme devant une histoire au coin du feu. C'est vraiment un bon début, j'espère que tu nous offriras d'autres histoires !
GG et merci pour ce joli moment de lecture ♥
Quelle jolie petite histoire ! Je m'attendais à une autre conclusion et finalement, j'ai été agréablement surprise par celle que tu nous proposes.
Bravo à toi !
C'est vraiment super touchant. Je pensais qu'il ne pourrait pas la sauver, et finalement si 😁 Merci le moulin !
Je disais donc... c'est très touchant, triste et doux, avec toujours la pointe d'humour caractéristique du petit Star 😜
J'aime beaucoup l'interprétation que tu as fait de cette carte ^^
Tu as une jolie plume, pour un premier DLP c'est super ! Tu as de bonnes bases, il faut que tu continues, et on sera là pour t'aider <3 Aie confiance en toi, aie confiance aussi en nous, arrête ces tremblements et tout ira bien <3 En tout cas, bravo !!
De mémoire je disais donc...
J'ai beaucoup apprécié cette nouvelle, partir dans cette quête auprès de ton personnage.
On ressent beaucoup de douceur et de délicatesse
Et j'ai adoré cette partie où tu nous montres que les actes de bonté se répercutent dans nos vies...
Hate de te lire de nouveau !
Dans cette nouvelle, tu arrives à être surprenant car, on aurait pu s'attendre à ce que la morale soit "sa gentillesse le perdra à force de penser aux autres". Et même pas ! C'est avec émotion et une teinte d'absurde (le coup du moulin ! aha) que tu achèves ta nouvelle et c'était juste parfait !
Merci pour ce moment de lecture ! Ce fut chouette ! :D