Henry Pignot était un homme de taille moyenne d’une cinquantaine d’années. Ses cheveux grisonnants et dégarnis sur le dessus étaient coiffés à l’aide d’une brillantine donnant un aspect plutôt gras et clairsemé à la chevelure. Bedonnant, il portait une chemisette d’un rose saumon qui avait dû connaître son heure de gloire dans les années quatre-vingt tout au plus. Son pantalon noir évasé en bas était maintenu par une ceinture à grosse boucle dorée à l’effigie d’un lion. Sur le majeur de sa main gauche scintillait une chevalière en or gravée des initiaux « HP ». Une grosse chaîne en or ainsi que des lunettes de vue aviateur complétaient ce look passablement démodé. Il semblait particulièrement agacé et peu enclin à un échange chaleureux et bienveillant. « Ça démarre bien ». pensa Joséphine.
− Mais qu’est-ce que c’est paumé par ici ! lança-t-il, s’essuyant allègrement les pieds sur le parterre fleuri, à côté de l’entrée. J’ai de la boue plein les godasses ! Va falloir revoir l’entretien du parking, on dirait un terrain vague. Et puis quand on voit cette baraque de la voie express là, c’est carrément flippant. La lumière qui clignote à tout va, c’est un coup à faire une crise d’épilepsie !
− Eh bien bonjour monsieur Pignot répondit Joséphine avec un sourire crispé. Je vois que vous vous êtes déjà bien aventuré à l’extérieur, pas la peine de refaire un tour je suppose ?
− En effet, M’dame Osgard rétorqua-t-il sèchement, présentant sa grosse main gauche. La poignée fut plutôt molle, ce qui pour Joséphine, ne présageait rien de bon.
− Avant de vous emmener visiter l’intérieur de l’établissement, il est important que je vous informe d’une chose, commença Joséphine. Mes employés ne sont pas au courant de la véritable raison de votre visite. Ils pensent que vous venez vous imprégner des lieux dans le but d’ouvrir un établissement au… enfin disons dans une autre ville. C’est pourquoi je préfère que nous restions discrets sur certains aspects de nos échanges, si vous le voulez bien.
− Entendu, enfin il faudra bien qu’ils s’habituent à ma présence, parce qu’une fois à la tête de La Chaumière, il va y avoir du changement, je vous le dis ! répliqua Henry Pignot, grattant de l’ongle la peinture dorée d’une des colonnes de l’entrée, qui s’écaillait par endroit.
La soirée commença progressivement et la Chaumière se réveilla doucement. Les jeux de lumières multicolores balayaient la piste au rythme de la musique jouée aux platines de Fabien. Claude François chantait son désespoir sur Magnolia pendant que quelques danseurs s’échauffaient. À partir de 22h30, les clients affluèrent de plus en plus.
Joséphine, affairée à servir du Punch de Noël à un groupe de quatre personnes, observait du coin de l’œil le nouveau venu inspecter les plinthes derrière les banquettes du coin bar.
− Il est quand même un peu bizarre ce Pignot, non ? demanda Jessica, un torchon négligemment jeté sur l’épaule. Depuis tout à l’heure, il fourre son nez partout, je l’ai même vu fouiner dans la réserve du bar avec son calepin, on dirait un proprio qui fait un état des lieux, il se sent comme chez lui celui-là !
− Hum, c’est vrai qu’il manque un peu de… délicatesse, répondit Joséphine, irritée par ce comportement grossier. Mais bon, j’ai promis à un ami de l’aider, j’espère que ça ira vite, ajouta-t-elle pour couper court à la discussion et éviter d'en dire plus.
En effet, Jessica n’était pas la seule à avoir remarqué les agissements d’Henry Pignot, certains clients avaient l’air étonné de le trouver là, à fureter un peu partout, au beau milieu d’une discothèque en pleine effervescence.