Le Soleil à son zénith envoyait ses rayons pour fouiller son âme et en faire ressortir des fragments sous forme de gouttelettes. C’est en tout cas l’impression qu’il avait tant il faisait chaud ce matin. Foutu réchauffement climatique.
Cela faisait une heure qu’il n’avait pas bougé, toujours bloqué dans ces interminables bouchons. Sa patience était mise à rude épreuve et Lorne ne l’avait jamais vraiment été. Lorsqu’il était plus jeune, il voulait devenir enseignant-chercheur. Plus tard, il avait appris que pour le devenir il devait faire de longues études. N’ayant pas la patience de s’enfermer des années dans ce labyrinthe scolaire, il avait renoncé à son rêve. Lorne s’était finalement lancé dans un BTS management sans réelles convictions. Il quitta sa région natale, la Normandie, afin de se libérer de l’emprise de ses parents. Un père un peu trop proche et une mère souvent à la dérive sur les flots de l'alcool. Rien ne le retenait là-bas. Une fois seul dans sa nouvelle région, le Nord, il dût se débrouiller par ses propres moyens et cela incluait donc de se faire à manger. Ce fut ainsi qu’était née sa véritable passion: la cuisine. Il ne saurait dire si c’était le plaisir d’agencer parfaitement les ingrédients, à la fois visuellement mais aussi gustativement, ou simplement le fait que pour une fois il faisait quelque chose pour lui, mais il était sûr d'une chose : il adorait ça. A 27 ans Lorne travaillait dans un grand restaurant de la région lilloise, Le Néraudeau, situé en plein centre de Lille sur la place Rihour, près de l’arrêt de métro portant le même nom. Le restaurant avait une excellente réputation et il n'était pas rare de voir du monde attendre pour avoir la chance de goûter un de leurs plats. Lorne savait qu'il avait de la chance de pouvoir travailler là-bas et il serait reconnaissant à vie pour cela auprès de son amie Maxine.
Lorne était souvent décrit comme une personne agréable à vivre et toujours de bonne humeur. Au contact des gens il s’efforçait de montrer ce qu’il y avait de meilleur en lui et non pas le vantablack de son âme, sombre héritage de ses géniteurs. Son physique avantageux lui permettait d’avoir un succès plutôt conséquent auprès des femmes. Il était plutôt grand et avait une carrure imposante. Les légers bombements de son t-shirt dévoilaient des épaules robustes, des bras et un torse imposants. En dépit de tout ça, c’était ses cheveux mi-longs qui était son véritable atout. Noirs, à ne laisser aucun rayon lumineux les pénétrer, et tombant juste en dessous de ses yeux, ce qui lui donnait un charme hypnotique renforcé par des yeux bleus dans lesquels plus d’une âme se retrouva à la dérive. Malgré son succès, qu’il semblait ne pas voir, une seule avait été réellement importante à ses yeux. Sa chute n’en fut que plus douloureuse.
Le volant de sa petite Peugeot a l’avant cabossé commençait à lui brûler les mains. Une heure et demie qu’il était bloqué dans ces bouchons. Mais qu’est ce qui se passe aujourd’hui? Michaël Jackson est de retour, c'est ça? Il se mit à rire seul. Depuis combien de temps n’avait il pas ri ainsi? Pour s’empêcher de retomber dans une déprime semblable à celle qui le traquait depuis des mois, il monta le son de l'autoradio. Ce dernier diffusait le titre Who are you now de Sleeping With Sirens. Lorne ferma les yeux un instant pour se laisser transporter par la voix de Kellin Quinn.
Ses pensées furent vite interrompues par un énorme fracas. Le bruit était tel qu’on croirait entendre le déchirement des cieux, signe avant-gardiste du malheur qui allait s’abattre. Lorne sursauta et sortit de sa voiture pour voir ce qu’il venait de se produire. Ce qu’il vit le fit frémir. Un voile noir s’élevait vers le ciel lentement et de manière insidieuse. Ce voile de fumée avait pour origine une voiture, enfin ce qu’il en restait. Elle était située à une vingtaine de mètres de Lorne. Ce voile se mit à recouvrir le soleil et atténuer ses rayons. La fouille était terminée et le verdict n’était pas bon.
Lorne resta ébahis quelques instants avant de réaliser qu’il devrait sûrement prévenir les pompiers de ce qu'il venait de se passer. Il se ravisa en voyant plusieurs personnes déjà au téléphone. Tout le monde se fixait incrédule ne comprenant pas ce qu’il venait de se produire. Comme pour sortir tout le monde de cette torpeur, une explosion retentit. Une seconde voiture venait de partir en fumée. Il n’en fallait pas plus pour voir une union parfaite d’animaux en détresse courir dans une seule et même direction. La raison semblait avoir quitté leur être et ils étaient dictés par une seule volonté, un besoin primaire : survivre. Seul Lorne ne bougea pas. Ses jambes étaient vissées au sol, son corps engourdi et sa nuque humide : il était paralysé par la peur. Elle était présente avec lui depuis son plus jeune âge et elle ne le quittait pas. Sa plus fidèle amie. Elle était à présent entrain de l’étreindre comme lorsque Papa entrait dans la chambre, que Maman brandissait un poing menaçant, quand il était seul dans sa chambre à repenser à June ou encore quand il faisait cet interminable cauchemar.
La marée humaine se dirigea alors vers Lorne. Sans prêter attention à ce dernier, elle le bouscula. Ce dernier s’écrasa brutalement sur le sol la tête la première. Une fine couche de sang coulait le long de son crâne et recouvrait peu à peu son visage. Allongé par terre, il se couvrit la tête à l’aide de ses deux bras. Son regard était perdu, il regardait à la fois les pas en continu de la foule paniquée mais aussi les pneus des voitures, la route, son sang.
Soudain son regard se perdit sur une forme, une silhouette. Elle était debout dans un coin de son champ de vision. Elle était au bord de la route avec, en face d’elle, une voiture toujours entrain de se consumer. La silhouette semblait, dans un premier temps, être humaine mais après plusieurs secondes de concentration et d’analyse, il remarqua quelques détails troublants. Cette dernière mesurait plus de deux mètres. Elle dégageait une puissance colossale malgré sa maigreur morbide. Son ventre n’était qu’un simple creux qui faisait d’autant plus ressortir ses côtes. Tout son squelette semblait avoir pris le dessus sur sa peau. Cela lui offrait une architecture effrayante où chaque os émergeait du très fond de son corps pour se frayer un chemin vers les cieux. Des piliers osseux sortaient là où habituellement il y avait des articulations. Ses bras descendaient plus bas que ses genoux et ils se terminaient par des mains étrangement longues et écailleuses au bout desquelles s’érigeaient 5 longues griffes tranchantes imbibées de sang. Son visage était à peine discernable mais Lorne put apercevoir deux cornes qui se repliaient sur elles mêmes au sommet de sa tête. Mais ce qui le frappa définitivement ce fut ses yeux. Comment les rater ? Ils étaient rouges vifs et la pupille qui était au centre de l’œil droit n’était pas ronde mais c’était une ligne, une simple ligne verticale. Lorne crut voir des mouvements dans les iris de cette créature, comme ci la couleur rouge de ces derniers se déplaçaient à la manière d’un flot rouge sang.
Une chaleur finit par atteindre le corps de Lorne, il détourna rapidement le regard de la silhouette pour regarder droit devant lui. La chaleur qu’il avait sentit lui semblait glaciale. Il ne mit pas longtemps à en trouver l’origine. La voiture située juste devant la sienne n’était à présent qu’un immense brasier. Les voitures avaient explosé selon un schéma bien précis, les unes après les autres. Il ne fallut pas longtemps à Lorne pour comprendre que la prochaine à exploser serait la sienne. Il se leva subitement et courut aussi vite que possible. Tout en étant entrain de courir, il sentit le souffle de l’explosion le balayer. Il fut projeté sur plusieurs mètres. Écorchures et brûlures ornées dès à présent son corps endoloris. Son sang chaud s’écoulait lentement sur le sol glacial. Il était entrain de succomber à ses blessures. Il sentit son sang couler et sa vie se déverser sur le sol. Dans un dernier effort surhumain il leva ses yeux et vit le sourire de cette étrange silhouette.