Le réveil

     La lumière blanche l’aveugla. Ses yeux mirent du temps à s’adapter. C’est donc ça le paradis ? Un fond sonore vint le ramener sur Terre. Il n’était pas mort. Malheureusement. Un bruit attira son attention. Il se redressa et vit qu'au fond de sa chambre d’hôpital une télévision était allumée. Elle était sur la chaîne consacrée aux informations. Il regarda autour de lui, puis se saisit de la télécommande et augmenta le volume.

Un terrible accident s’est déroulé ici sur l’autoroute A1. En effet, une dizaine de voitures ont explosé les unes après les autres créant ainsi un nuage de fumée qui est monté à plus de 10 mètres de haut. Le bilan est lourd puisqu’on déplore pas moins d’une dizaine de victimes. La cause d’un tel désastre n’a toujours pas été identifiée.

Tout lui revint en mémoire d’un seul coup : la chaleur étouffante, la fumée, la marée humaine, l’explosion, son sang étalé un peu partout sur la chaussée et cette silhouette. Cette horrible silhouette qui lui souriait. Pourrait-il un jour enlever cette image de son esprit ? Il en doutait fortement. Comment toute une rangée de voitures pouvait-elle exploser comme ça? D’où sortait cette créature? Était-ce une coïncidence ou avait-elle un lien avec tout ça? Était-elle là pour lui? Toutes ces questions vinrent percuter son esprit sans relâche. Il avait besoin de réponses. Mais également de repos! Soudain, Lorne se souvint qu’il fallait prévenir son patron, Pascal, de son absence et de celles à venir. Un bac blanc était posé sur une chaise près de son lit contenant toutes les affaires qu’il avait sur lui : porte feuille, montre cassée, téléphone et d’autres bricoles qui traînaient dans ses poches depuis trop longtemps pour qu’il s’en souvienne dont deux places pour le film New Mutants.

     Il attrapa son téléphone et expliqua la situation à son patron. Lorne le connaissait par l’intermédiaire de Maxine une amie qu’ils avaient en commun. Il était plutôt petit, rond, la quarantaine, des tatouages sur tout le corps et avait le crâne complètement rasé. La première fois qu'il l'aperçut Lorne prit légèrement peur devant cette apparence de viking. Puis il avait appris à le connaître et il se rendit compte que ce n'était qu'une façade. Une carapace pour cacher sa sensibilité. Comme il s’en doutait Pascal fut compréhensif et il s’inquiéta pour Lorne. Ce dernier passa trente minutes à rassurer son patron. La discussion s’était terminée sur Pascal proposant à Lorne de revenir le plus tard possible, afin qu’il puisse se reposer. Lorne le remercia chaleureusement  avant de raccrocher.

 

     Le reste de la journée fut plus calme. Seule une infirmière passait de temps en temps vérifier les constantes de Lorne. Celui-ci zappait chaînes après chaînes sans que rien ne l’intéresse quand il l’a vit pour la première fois. L’atmosphère devint tout d’un coup irrespirable. Son souffle se coupa durant quelques secondes qui lui parurent une éternité. Sa longue chevelure brune lui tombait sur les épaules et épousait parfaitement les contours de son doux visage. Une mèche couvrait une partie de son regard comme si nul n’était digne de la regarder pleinement dans les yeux sous peine d’être changé en pierre. Ou pire. L’air ambiant flottait avec plaisir autour d’elle, pouvant à son gré caresser délicatement cette peau hâlée. Lorsqu’elle lui sourit Lorne comprit d’un coup pourquoi elle avait ce soudain pouvoir sur lui : elle lui ressemblait terriblement.

« Monsieur, vous vous sentez bien ?». La question surprit Lorne qui la dévisagea dans un premier temps, puis, en regardant l’électrocardiogramme, il comprit le sens de cette dernière. Les battements de son cœur venaient de s'emballer. Lorne fit signe que tout allait bien et il s’efforça à sourire. Seul un rictus plein de souffrance sortit de sa bouche. Lorne la remercia de son inquiétude et l’infirmière s’en alla paisiblement. La honte l’envahit quand il constata que de l’eau coulait le long de ses joues.

 

     Lorne dû rester une semaine de plus pour poursuivre ses soins. Après tout il avait échappé de peu à la mort. Ce n’était non sans plaisir qu’il quitta cet hôpital et son odeur de javel aseptisée. Tu es sûr que c’est juste l’odeur que tu voulais fuir? Il ne l’avait plus revu depuis ce jour-là et pourtant chaque fois que quelqu’un poussait la porte de sa chambre il tremblait à l’idée de la revoir. Ce calvaire s’arrêtera un jour j’en suis sûr, tiens bon Lorne. Me voilà obligé de me parler à moi même, c’est pathétique.

     Une fois sorti, il rentra chez lui et se laissa choir sur son canapé. Il avait été cloué plus d’une semaine dans un lit et pourtant il n’avait jamais aussi mal dormi de toute sa vie. Conséquence de l’accident, de l’infirmière ou de toutes les questions qui martelaient son esprit, il n’en savait rien et préférait ne pas le savoir. Il voulait juste dormir. Les cernes sous ses yeux assombrissaient encore un peu plus un visage déjà peu radieux.

     Allongé sur son canapé, il commença à scruter les contours de son salon qu’il n’avait plus revu depuis plus d’une semaine. Toute la pièce était plongée dans une pénombre malsaine. Seul un fin rayon pénétrait dans la pièce. Une toute petite partie lumineuse pour une grande part d’obscurité. Il put néanmoins distinguer quelle vie misérable il vivait depuis un certain temps. Des vêtements étaient éparpillés un peu partout, un bol vide était positionné sur sa table basse avec à côté une bouteille de Jack Daniel’s. Dans un coin de la pièce on pouvait encore voir de la vaisselle cassée qu’il n’avait pas pris soin de ramasser. Lorne fixait son plafond dans la pénombre. L’obscurité était telle qu’il ne put le distinguer correctement, seulement quelques fissures lui apparaissaient clairement.

     Lorne décida de se lever. Il alla dans la salle de bain afin de se rincer le visage. Il n’alluma point la lumière. Dans la précipitation et la fatigue il ne prit pas le temps d’appuyer sur ce foutu interrupteur. Il passa de l’eau froide sur son visage dans l’espoir que le choc thermique soit si fort qu’il l’aide à se ressaisir. Il se fixait à présent droit dans les yeux attendant que quelque chose se passe en lui. Ses yeux lui semblaient vides et sombres. Il ne se passerait rien aujourd’hui non plus. Il se redressa et alla dans sa chambre. Il s’installa sur son lit et il commença à fermer les yeux et à voyager à travers le temps et l’espace.

 

     L’obscurité enveloppait entièrement le ciel. Seule la Lune déchirait cette noirceur. La route était petite et sinueuse, typique des flancs de montagne. De chaque côté de cette route, la Nature déployait ses mains vertes prêtes à engloutir quiconque aurait le malheur de passer par là. Les arbres s’étendaient à perte de vue à tel point que Lorne ne put distinguer jusqu’où ils s’arrêtaient. A gauche de la route, on pouvait voir une énorme pente créant un fossé comme unique paysage, tandis qu’à droite, le flanc de la montagne grimpait à la conquête des cieux. Les roches calcaires mélangeaient leurs ions avec les molécules ligneuses des arbres pour ne former qu’un ensemble organique unique et soudé. Situé entre ces deux paysages, Lorne se sentait pris au piège. Il était au volant de sa petite Peugeot envahi par un flot de sentiments contraires. Des gouttes de sueur coulaient le long de son visage. Ses yeux se plissaient de temps en temps, son ventre lui assénant de terribles coups. Il était mal en point. Qu’est ce qui lui avait pris, il se sentait si mal à présent. Il fallait qu’il rentre au plus vite chez lui. Il regarda sa montre, il était pas loin de 3h du matin. Il accéléra de plus en plus, le paysage devenant de moins en moins net. Sa voiture commença à se déporter sans qu’il ne s’en rende compte. Les phares d’un véhicule arrivant en face heurtaient son visage. Sa voiture s’était trop déportée, les deux véhicules étaient au bord du choc.

 

     Il se réveilla en sursaut. Son téléphone avait vibré. Encore ce cauchemar. D’habitude ce dernier durait plus longtemps mais cette fois ci Lorne fut sauvé par son téléphone. Son souffle était haletant et il essuya une goutte de transpiration qui avait traversé son front. Il se leva avec difficulté, sa tête tournait, tout le paysage devant lui se déforma. Il se rattrapa de justesse pour ne pas tomber. Il finit par se saisir de son téléphone. A cet instant précis il aurait tout donné pour repartir dans ce cauchemar. Cela était infiniment moins douloureux que ce que des milliers de pixels venaient d’afficher. C’était June. Un simple message. On peut se voir pour discuter stp. C’est important. Depuis combien de temps n’avait il plus eu de ses nouvelles ? Un mois, deux mois ? Il ne savait plus. Tout se mélangeait dans sa tête depuis qu’elle l’avait quitté. Il finit par lui répondre et June proposa de se retrouver à la citadelle de Lille. Lorne prit une gorgée de courage et se mit en direction de sa porte d’entrée. Un moment douloureux l’attendait.

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