Histoire de famille

Par Nascana

 

– Regarde cette femme, elle ressemble à ta photo, non ?

Mikaël se penche vers moi. Il approche son album photo du mien.

– Bof.

Après avoir longuement fixé les deux images, je soupire. Il a raison, ça ne correspond pas. Je me redresse. Je ne sais pas depuis combien de temps, nous sommes là, tous les deux adossés aux murs à comparer des clichés d’inconnus. Nous échangeons un regard. C’est clair que nous en avons marre. C’est unanime.

Je me relève, avant de tendre la main vers Mikaël. Il la saisit pour se remettre sur ses pieds à son tour. Une fois qu’il est debout, j’observe ses doigts sur les miens. C’est joli, je trouve. Les siens sont ébènes alors que les miens sont couleurs crème. J’aime beaucoup le mélange des deux. À regret, je le lâche. D’un geste, je referme l’album et le range dans l’étagère de mamie. J’avoue que je suis déçu de ne pas avoir trouvé la solution. Un coup d’œil à ma montre m’apprend que c’est l’heure du goûter.

– On va manger ?

– D’accord.

Mon ami me suit avec son propre album.

– Tu ne crois pas qu’on devrait demander de l’aide ?

Il n’a pas tort.

– Seulement, si c’est quelqu’un de confiance.

Mikaël acquiesce.

– Tu penses à qui ?

– Je te dis demain. Juste le temps de voir.

– D’accord. Je te fais confiance.

Nous descendons à la cuisine. Mamie a fait chauffer du lait pour nous faire des chocolats chauds alors que des madeleines nous attendent sur la table ronde. Une nappe en plastique avec de grosses fleurs rouges la recouvre. Ma grand-mère aime beaucoup les plantes. Dans le jardin, il y en a plein. Papi, lui, c’est plutôt le potager. En été, on peut manger des fraises. Sinon il y a aussi des potirons. Ils en font de la soupe. J’adore ça. Ça me plairait de faire goûter à Mika.

– Alors vous vous êtes bien amusé les enfants ?

– Oui.

Je ne peux pas lui dire qu’on est en pleine recherche.

– Mikaël, ton papa a appelé, il viendra te chercher à dix-sept heures.

– D’accord, madame.

Nous mangeons en riant. Mika se moque de moi, lorsqu’un morceau de mon gâteau se détache pour flotter dans l’océan de cacao. Sur le coup, je fixe cela sans comprendre. Mais quand il se met à rigoler, j’en fais de même. Nous discutons tranquillement de l’école et des dessins animés pour savoir qui est le plus fort entre deux personnages.

Nous sommes interrompus par la sonnette.

– Mikaël, ça doit être ton papa.

Mamie quitta la cuisine pour aller voir. Mika soupire. Il n’a pas envie de partir. Moi non plus, je n’ai pas envie qu’il s’en aille. Cependant nous n’avons pas le choix. Il termine son chocolat chaud puis se lève pour aller prendre ses affaires. Je l’accompagne à l’étage. Son sac à dos y est resté. J’en profite pour lui donner un coup de main pour faire entrer l’album à l’intérieur.

Mika me lance un regard triste. Je suis dans le même état que lui.

– On se revoit bientôt, ne t’en fais pas.

Il acquiesce, alors que je lui fais un clin d’œil. Avec un sourire, mon ami retrousse sa manche pour dévoiler un bracelet brésilien rouge et violet que j’ai fait pour lui. C’est ma sœur qui m’a appris. J’ai le même sauf que le mien est bleu et vert. En même temps, j’ai fait avec les fils de laine que m’a donnée mon aînée. Le plus beau était pour Mika de toute façon.

Nous descendons. Les adultes bavardent ensemble. Comme ça ne nous plait pas, nous décidons d’aller regarder les dessins animés. Avec un peu de chance, on pourra visionner un épisode en entier, avant qu’ils ne bougent. Les grands sont toujours pressés sauf pour parler de choses pas intéressantes.

Finalement, on a pu regarder notre épisode avant que Mika ne s’en retourne chez lui. Brusquement seul, je regagne la cuisine. Le reste de mon chocolat m’y attend. Je ne l’ai pas terminé. Du coup, je demande la permission à mamie pour le réchauffer au micro-onde. Elle le fait pour moi.

– Tu boudes ? C’est à cause du départ de Mikaël.

Je hoche la tête. En même temps, ce n’est pas difficile à comprendre.

– Il reviendra. C’est un gentil garçon.

À nouveau, je hoche la tête. Mamie me rend mon bol et s’installe en face de moi.

– Quelque chose te tracasse ? Tu veux en parler ?

Elle est trop forte, elle sait toujours quand quelque chose ne va pas.

– Comment on fait pour savoir si on est de la même famille que quelqu’un ?

Ma grand-mère réfléchit quelques secondes.

– Si ça remonte à loin, tu peux faire un arbre généalogique.

– On peut en faire un, mamie ?

Elle secoue la tête.

– C’est un travail très long qui peut prendre des années.

Je fixe une des fleurs sur la nappe. Du doigt, j’en trace les contours.

– Si tu m’expliquais ton problème, je pourrais t’aider.

Un soupir m’échappe.

– Mika et moi, on a le même nom de famille, donc on voulait savoir si on était de la même famille.

Mamie pose sa main sur la mienne comme pour m’annoncer une mauvaise nouvelle.

– Tu sais, si vous êtes de la même famille, ça date de très longtemps.

– Ah… Mais du coup, pour le mariage ça marche comment ?

Ma grand-mère fronce les sourcils. Je baisse les yeux, j’aurais sûrement dû me taire.

– Comment ça ?

Forcément, je ne peux plus reculer.

– On ne peut pas se marier avec quelqu’un de sa famille, murmure-je.

– Ne t’en fais pas. Si c’est très loin, tu peux le faire.

Une pression se retire de mon cœur. Je me sens mieux.

– Pourquoi ? Mikaël a une sœur dont tu es amoureux ?

Cette phrase me fait baisser les yeux sur le fond de cacao dans mon bol. J’aimerais bien disparaître, mais c’est impossible. Il va falloir que je réponde à la question.

– Non.

Je prends quelques secondes. Si je dis la vérité, qu’est-ce qu’il va se passer ?

– C’est Mikaël…

– Il veut se marier avec ta sœur ?

Cette idée m’horrifie.

– Non ! Avec moi ! On a le droit, je l’ai vu à la télé !

Je me rends compte que j’ai crié. Je pose les mains sur ma bouche, honteux de ce que je viens de dire. Mamie reste silencieuse, avant de hocher la tête.

– Je comprends. Et Mikaël est au courant ?

– Oui. Il est d’accord. On pourra le faire quand on sera adulte.

Ma grand-mère passe ses doigts sur mes cheveux.

– C’est un beau projet, mon grand. Mais n’en parle qu’aux personnes de confiance.

– C’est parce que des gens méchants peuvent se moquer ?

– Oui.

– Je sais. On fera attention.

Je me lève. Brusquement, je me sens mieux.

– Je t’inviterai à mon mariage, mamie.

– J’espère bien, rit-elle.

Au moins, je sais que j’ai le soutien de mamie. C’est déjà un début. En plus, je sais que je peux me marier avec Mika. La journée était bonne. Je souris.

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