Elio se leva d'un bon et recula. Christiane le fixait toujours mais elle paraissait gênée et sa bouche forma une moue coupable.
— Je m'excuse si je vous ai fait peur Monsieur. Je voulais juste vous faire une blague...
Le chevalier n'arrivait pas à détourner son regard des prunelles incandescentes de la petite fille. Sa peau était presque translucide et chaque aspérité de son petit visage était soulignée d'ombre par la faible flamme de la bougie, toujours sur la table. Une étrange aura émanait d'elle, un sentiment de froid, de vide. Le jeune homme crut même entendre des murmures provenant des ombres dans le dos de l'enfant. Cependant, celle-ci ne semblait pas lui vouloir de mal et elle tortillait son pied droit sur le sol, comme le font les enfant pris la main dans un pot de confiture. Il se calma, déglutit et s'inclina pour s'excuser de sa réaction.
— Ce n'est rien Madame, je vous présente mes excuses. C'est que je ne vous ai pas entendu entrer.
Il jeta un coup d’œil vers la porte de sa chambre et fronça les sourcils. Elle était toujours fermée, le verrou n'avait pas été tourné.
« Et de toute façon, comment aurai-t-elle pu entrer ? Cette demeure abriterait-elle quelques passages secrets ? » se demanda le chevalier.
Ses yeux revinrent sur la petite fille, elle s'était approchée. Les traits du jeune homme se tendirent. Les écrits d'Achelon Donovan lui revinrent en tête ainsi que la menace que représentait l'artefact maudit sous le manoir. Il décida de rester méfiant malgré l'attitude pacifique de l'enfant.
— Mais du coup, vous voulez tout de même jouer avec moi ? insista Christiane en papillonnant des paupières.
Elio décida de rentrer dans le jeu de la petite. Peut-être que gagner sa sympathie lui permettrait d'en apprendre plus sur la malédiction des Donovan.
— Bien sûr, dit-il gentiment. Mais à quel jeu désirez-vous que nous jouions ?
— Chouette ! Que diriez-vous d'une partie de cache cache ? J'irais me cacher quelque part dans le manoir et vous devrez me chercher.
Elle tapait dans ses mains en sautillant d'un pied sur l'autre, visiblement très contente. Elio sourit, voilà qui lui permettrait de fouiller le manoir. Mais il restait un souci.
— Votre père sait-il que vous veillez si tard ? demanda-t-il.
— Bien sûr ! Par contre il faudra faire attention, personne ne doit vous voir.
Elio leva un sourcil en faignant l'étonnement.
— Vraiment ? Il n'ont pas l'habitude de vous voir jouer à cache cache ? C'est que je ne tiens pas à ce que l'on vous gronde.
Il adressa un clin d’œil malicieux à la petite fille qui se mit à rire.
— Oh non ! Nous jouons beaucoup à cache cache mère et moi. C'est que...
Elle refit la moue.
— Oui ? questionna le chevalier.
— Je ne crois pas que père vous apprécie, dit-elle d'une toute petite voix.
Elio soupira.
— Je peux comprendre votre père. Après tout, je suis ici pour exercer quelques contrôles que très peu de gens trouvent agréables. Mais ne vous en faite pas, je serais discret comme une ombre.
Elle sourit. Le chevalier remarqua que l'une de ses canines ressortait légèrement au coin de sa bouche. Puis elle s'évapora. Littéralement. Laissant le jeune homme bouche bée, désormais seul dans la pièce.
— Je vais me cacher ! Bonne chance Monsieur.
La voix de Christiane avait résonné directement à l'intérieur de son crâne. Il se tourna vers tous les coins sombres de sa chambre mais il n'y avait rien. La petite avait bel et bien disparu en un battement de cil, sans laisser de trace. Une goutte de sueur perla le long de sa tempe. Décidément, ce manoir et ses habitants étaient plein de surprises ! Mais cela renforça sa détermination de tirer cette histoire de malédiction au clair. Il se rhabilla, serra la ceinture de son épée et ouvrit lentement sa porte. Personne, le couloir était vide. Juste avant de sortir, un détail ramena son attention dans la chambre et plus exactement vers la pendule. Elle s'était arrêtée. Ses aiguille restaient bloquées sur minuit.
« Étrange...» pensa-t-il.
Et il sortit dans le couloir sur la pointe des pieds.
Il décida de retourner dans l'entrée, là où s'ouvraient de nombreux couloirs. Et de toute façon, il devait descendre pour trouver les ruines du temple.
— Vous vous réchauffez, fit la voix de Christiane dans sa tête.
Il s'arrêta. La petite pouvait-elle entendre ses pensées ?... Il n'entendit rien d'autre. Peut-être qu'elle pouvait seulement lui parler. En tous cas elle savait où il se trouvait, il fallait qu'il soit prudent, très prudent. Il avança dans le couloir en rasant les murs et à l'affût du moindre son suspect. Enfin... plus suspect que la voix d'une petite fille aux pouvoirs surnaturels parlant à l'intérieur de sa cervelle.
Il retrouva l'escalier menant à l'entrée, descendit les marches avec une extrême précaution pour ne pas déraper dans le noir. Prenant garde à ce que personne ne soi en train de monter dans l'autre sens. Heureusement pour lui, aucun bruit ne provenait d'en bas. Une fois arrivé, il observa le différentes possibilités qui s'offraient à lui. Il élimina le couloir central qui menait à la salle à manger. Il ne lui restait plus qu'à choisir entre trois autres issues, presque toutes identiques. Les cliquetis des horloges rythmèrent sa pensé. Les portraits des ancêtres de la famille donnaient la désagréable impression de l'observer. Il chercha Achelon Donovan du regard mais ne le trouva pas. Cela piqua une nouvelle fois sa curiosité. Le père fondateur de leur dynastie aurait-il oublié de se faire tirer le portrait ?
Il finit par emprunter le couloir le plus à gauche. Bizarrement, c'était celui où il y avait le plus d'horloges et le chevalier écouta son intuition. Celle-ci lui hurlait de passer par ce couloir.
— Vous chauffez encore plus, dit Christiane à son esprit.
Cela l'arrangeait, si la petite remarquait qu'il s'éloignait de trop, elle trouverait ça louche. Il suivit donc le couloir de gauche. Cependant, il était tendu. Le manoir semblait vide. Il n'y avait aucun bruit en dehors du tic tac incessant des horloges et il n'avait pas même aperçut la moindre lueur. La température était toujours aussi basse. Il aurait dû prendre sa cape mais cela l’aurait rendu plus bruyant en plus de ralentir ses mouvements. Ce couloir était interminable ! Et, contrairement aux autres, dépourvut de décoration hormis les horloges.
Il s'arrêta brusquement, il était encore loin d'être arrivé au bout mais quelque chose l'empêchait d'aller plus loin. L'atmosphère du couloir était épaisse comme de la mélasse, il avait du mal à contrôler sa respiration et un froid intense le parcourait. Il était tétanisé par la peur ! Cette sensation semblait venir de plus loin. La petite fille l'avait-elle piégée ? Ou se rapprochait-il de son but ? Les deux étaient sans doute liés. Il se força à mettre un pied devant l'autre, retrouvant peu à peu son calme.
« Ce ne sont pas quelques tours de magie qui m'arrêteront ! » songea-t-il.
Il continua toujours plus en avant, pendant un temps qui lui sembla durer une éternité. Il n'y avais toujours pas un signe de vie et le vacarme des horloges commençait à profondément l'agacer.
Enfin, il arriva devant une vieille porte vermoulue par l'humidité et le temps. Dans un manoir aussi bien agencé, cette porte sonnait faux. Elio sentit qu'il touchait au but. Mais lorsqu'il voulut pousser la porte, l'affreuse sensation d'écrasement le saisit de nouveau, encore plus oppressante. Sa main tremblait sur le bois en décomposition, une sueur froide lui dégoulinait le long du dos et il dû faire un effort considérable pour ne pas claquer des dents. Quel que soit l'endroit où menait cette porte, son corps refusait catégoriquement d'y aller. Il se fit violence et poussa la porte qui, étonnement, n'émis pas le moindre grincement. Une odeur ignoble de renfermé et de compost lui fut jetée aux narines. Il faisait face à un escalier, en ligne droite, descendant dans les ténèbres. Le jeune homme crut entendre une respiration lente et caverneuse monter des tréfonds.
— Vous êtes brûlant.
Prenant son courage à deux main, il s'engagea dans l'escalier obscur.