Assis sur les marches de l’église, les deux frères se chamaillaient. Ils avaient passé l’âge de se tremper dans la rivière tiède et pas encore atteint celui des ballades en solex. Résignés, ils avaient pris leur poste sur la place du village comme tous les après-midis, en attendant le retour des grands qui rapporteraient ragots et cigarettes.
Une faible sonnerie leur parvint de la boulangerie de l’autre côté de la place. Ils regardèrent la vendeuse s’éclipser pour décrocher dans l’arrière-boutique.
« T’es même pas cap, Charlie.
- Si, je suis cap.
- Alors t’attends quoi ? Qu’elle revienne ? Vas y, bouge.»
Toute l’attention de Charlie se porta sur les boîtes à bonbons posées sur le comptoir. Les yeux fixés sur son butin, il traversa la place déserte, son ombre réduite à une tache sur le gravier clair. Arrivé devant la porte entrouverte, il retint son souffle et se faufila jusqu’à la caisse.
Œufs au plat, Carambars, Malabars… Charlie salivait en plongeant les mains dans les tiroirs bourrés de gélatine dure. Il avait terminé de remplir ses poches et amorçait sa retraite lorsque le boulanger déboula de l’arrière-boutique, un panier de baguettes à la main.
« Eh, petit, tu vas où comme ça ? »
Charlie s’arrêta net. Ne se retourna pas.
« Fais voir ce que tu as dans les poches. »
Le garçon pivota lentement sur lui-même. Il lui sembla que toute la chaleur de la place, toute la chaleur de l’été se concentrait dans la boutique. Sa peau, ses cheveux et ses ongles s’embrasaient. Il brûlait de l’intérieur. Car Charlie le savait : il était entré dans le monde des voleurs. Le boulanger appellerait la police, sa mère viendrait le chercher au commissariat, et après, son père… Il ne voulait même pas y penser. Les yeux bordés de larmes, il forma un tas de bonbons moites sur le comptoir.
« T’as rien à me dire ? »
Charlie pleurait. Le boulanger soupira et lui tendit un morceau de sopalin sale.
« Écoute, petit, j’ai pas le temps pour ces histoires. Tu t’excuses et tu files. »
Le garçon bredouilla quelques mots et se précipita sur la place.
Son frère était parti.
L’enfoiré.
Je file lire la suite, merci pour le partage !
Fy