J’avais 18 ans. Je venais d’échouer un des examens les plus importants de ma vie et mon couple battait sérieusement de l’aile depuis quelque temps. J’étais dépressif, irritable, peu attentionné, cassé par des crises d’angoisses et du manque de sommeil. Mais c’était les vacances d’été, et je partais malgré tout au début du mois d’août à la conquête de mon amour et de l’océan de Vendée.
J’avais fait plus d’un voyage en voiture avec ce garçon. C’était dans cette même petite voiture rouge que l’on s’était rencontré pour la première fois. Elle avait déjà pour moi une aura toute particulière ; quand j’étais dans ce véhicule, qu’il conduisait en mettant de la musique grâce au lecteur radio et des pochettes entières de CD de toutes sortes, je me sentais bien. Nous avions nos habitudes de chanson et d'artistes, privilégiant par exemple le groupe LEJ, dont je parlerais tard. Mais ce jour-là, ce garçon avait choisi de me faire découvrir d’autres morceaux, qu’il venait tout juste de graver et qu’il était assez content d’écouter.
Le trajet jusqu’en Vendée était assez long, alors je n’étais pas attentif sur tout ce qu’il se passait. J’étais fatigué, mais heureux de retrouver mon petit ami, mon « presque-fiancé », et je ne pensais qu’à ça. Je le regardais conduire, concentré, et j’étais apaisé dans mon malheur d’être en vacances avec lui, comme si l’on créait une habitude. On parlait de tout et de rien ; de notre fin d’année, des échecs que j’avais subis, de sa brillante réussite qui le rendait particulièrement serein. Beaucoup de choses s’échangeaient, naturellement ; on commençait à se connaître depuis un petit moment. Mais assez brusquement, il avait coupé la discussion et attiré mon attention sur la chanson qui passait. Et ainsi arrive ma deuxième Musique Capsule : The House of the Rising Sun, de The Animals.
Souvent, pour apprécier un morceau, il faut l’entendre plusieurs fois, le temps de s’habituer à elle. Mais dans certains cas, dès les premières secondes, les premières notes résonnent directement dans notre poitrine. Faisant silence pour me concentrer sur le mauvais son de sa voiture rouge, je suis resté bouche bée, attentif aux arpèges, à la voix cassée du chanteur. Et la mélodie, au lieu de sortir par une oreille une fois rentrée, se lova dans mon cœur entre deux battements. J’étais interdit, perturbé par la puissance du chant et de ce qu’elle provoquait en moi comme sentiment. Je ne pouvais plus regarder autre chose que les secondes de la musique défiler sur le tableau de bord du véhicule ; la maison du soleil couchant m’avait hypnotisé.
Voyant l’impact, ce garçon rigola un peu, et tenta d’expliquer les paroles et son sens, mais je le défendis de parler durant mon écoute. Il n’eut pas besoin de demander pour comprendre que je voulais la réécouter dès qu’elle fût finie. Il me raconta le texte, son propos mystérieux ; son impossibilité de savoir qui l’avait écrit. Quelle vie a vraiment mal tourné en Nouvelle-Orléans ? Une fille dans une maison close ? Un accro aux jeux d’argent ? Un prisonnier aux chevilles enchaînées ? Mais peu importait le problème. « Not to do what I have done ». Et sa complainte, ses regrets criés en une mélodie vibrèrent en moi comme un véritable conseil.
Quand la chanson se finit à nouveau, tout en moi supplia de la remettre encore une fois. Mais je n’osai pas déranger davantage. D’autres musiques défilèrent, la conversation reprit. Le CD tourna, ne devenant désormais qu’une excuse, en attente du retour de l’unique morceau que j’avais réellement envie d’entendre.
À ce moment-là, je ne pouvais savoir que ce serait mes dernières vacances avec ce garçon, cette voiture. Que la maison du soleil couchant accompagnait les derniers jours, les dernières heures de ma relation avec ce presque-fiancé, celui avec qui je me voyais finir mon existence. Quand les vacances dérapèrent en désastre, et que je fus renvoyé chez moi, hors de sa vie, seule cette musique à la complainte déchirante suivit mes heures de route solitaire. « Not to do what I have done ». Sous le soleil d’août et la mer qui avait effacé les messages de notre amour, ma liaison avait pris fin. Mais The Animals ont continué de chanter pour moi, sur cette mélodie proche du cri. Et cette chanson devint ainsi son dernier cadeau à mon égard.
Depuis, j’ai écouté diverses versions, plus récentes, parfois plus intimes, ou plus rock. The House of the Rising Sun est une des musiques les plus reprises du monde. Mais cette version de The Animals s’est cristallisée en moi avec une odeur de voiture diesel, de vacances à la mer, mais surtout de déception et d’amertume. Un sentiment triste qui se ternit au fil du temps comme de vieilles fleurs séchées.
Ohh superbe phrase de conclusion. Belle chute, triste et nostalgique.
J'aime beaucoup le concept des capsules musicales et c'est vrai que la façon dont tu le racontes rend le truc encore plus "incarné", on s'identifie facilement au narrateur, à ce qu'il vit. Qui n'a jamais été touché par une musique dont il garde longtemps après un souvenir attendri ?
J'enchaîne !
J'espère que le reste te plaira, les musiques capsules sont un projet très important pour moi !
Mon commentaire risque de se mêler aux autres, mais je tiens à saluer cette histoire. Je connaissais The House of the Rising Sun, mais je dois avouer n'avoir jamais envisagé de l'écouter pendant une lecture, ce que tu m'as magistralement fait faire. Rien que pour cela, bravo.
Ensuite, ce qui m'a marqué personnellement, c'est cette identification au narrateur qui s'opère. Cela m'arrive de tomber sur des musiques qui me scotchent dès les premières secondes, mais réussir à retranscrire ce sentiment "sur papier", c'est tout autre chose.
Alors, merci pour cette lecture, ou plutôt, pour cette évasion !
Je suis encore plus fan de ce chapitre. C'est marrant comme la durée de lecture approche celle de la chanson sus-citée :O
Mais le plus important c'est cette histoire ! Il était en effet nécessaire de faire ces capsules, avec ce vécu et cette facilité à conter ^^
J'aimais déjà beaucoup le morceau de base, mais avec ton histoire en tête je ne l'écouterai plus de la même oreille ni avec les mêmes images en tête, ça c'est certain
Si ça dure le même temps que la chanson, c'est un hasard, parce qu'à l'écrire ça m'a pris beaucoup plus de temps x) Néanmoins quand j'écris, je met la musique concernée en boucle, donc peut-être que je me fais influencer d'une certaine manière.
Merci beaucoup ! Je suis content que ces souvenirs plaisent. A la base, j'avais pas forcément prévu de publier ça, c'était plus pour moi et ne pas oublier les chansons qui avaient marqué ma vie, j'avais peur que ce qui les entourait soit peu intéressant pour quelqu'un d’extérieur à tout ça. C'est quand une connaissance a lu "Loud and Clear" (dont je vais voir ton commentaire juste après !) qu'elle m'a dit que ça valait vraiment le coup de le publier ^^ Et donc voilà :D Je regrette pas, en tout cas !
Bref, en tout cas j'ai beaucoup aimé m'égarer ici. Je rejoins beaucoup ton ressenti sur ces musiques/souvenirs, et sur l'envie d'écrire avec des sons en tête. (Je ne sais pas si tu as lu les Playlists d'Ewen, d'ailleurs ! C'est différent, mais ça te parlera peut-être ?)
J'aime beaucoup l'ambiance que tu décris. Tu écris ton souvenir si bien qu'on s'y projette sans l'avoir vécu. Et tes mots, que j'aime toujours autant, et cette fin : "Mais cette version de Animals s’est cristallisée en moi avec une odeur de voiture diesel, de vacances à la mer, mais surtout de déception et d’amertume. Un sentiment triste qui se ternit au fil du temps comme de vieilles fleurs séchées." Ah...! <3 (J'ai relu une fois, deux fois, plusieurs fois, et je relirai cette dernière phrase.)
(Et là c'est très frustrant, parce que je suis à la bibliothèque et que je n'ai pas pris mes écouteurs en me disant que non, ce matin, je n'aurai probablement pas envie d'écouter de la musique en travaillant. Résultat : je m'égare sur PA et je veux écouter The Animals. Mais je t'en veux pas, au contraire : merci pour ce souvenir.)
Je connaissais pas les playlist d'Ewen, je vais aller regarder ça ^^ merci pour ce commentaire et il faut écouter House of the rising sun, c'est bien :D