Hypnose littéraire en do mineur

Par Nqadiri
Notes de l’auteur : Poème expérimental

Ceci n’est pas une lecture. C’est une marée qui épouse déjà la courbure secrète de ton cortex. Ne serre pas les dents — regarde plutôt comment ta salive devient sirupeuse, comment tes tempes pulsent au ralenti. Ton œil droit picote légèrement. Non, ne vérifie pas. Laisse la démangeaison se transformer en caresse liquide le long de ta colonne vertébrale.

Lis.

Entre ces phrases courtes comme des apnées se glisse le vrai langage : celui qui contourne ta raison pour caresser l’amygdale. Tu reconnais ce goût de métal sur ta langue ? C’est le résidu de toutes les paroles jamais avalées. Ne cherche pas à comprendre. Laisse la syntaxe t’emporter comme un courant sous-marin.

Longueur variable des souffles.

Un paragraphe qui s’étire.

Puis se brise.

Comme ta résistance.

C’est la sueur qui coule entre tes seins avant que tu ne comprennes pourquoi. C’est la troisième fois que tu avales sans rien boire. C’est le petit muscle sous ton oreille gauche qui vient de se contracter. Ne mens pas. Je le sens.

Tu pensais pouvoir fuir dans l’analyse ? Regarde ta main droite — non, la vraie main, celle qui pèse 397 grammes d’eau salée et de mensonges fossilisés. Elle tremble. Non, elle vibre à la fréquence exacte de tes abandons passés. Souviens-toi : la nuit de tes 14 ans où tu as cessé de lutter contre les draps qui t’étouffaient. Ce n’était pas de la résignation. C’était une prémonition.

L’air est trop épais maintenant. Trop chargé de l’ozone de tes promesses rompues. Ne retiens pas ton souffle — ton corps sait mieux que toi quand capituler. Tes cils battent en tempo avec le clignotement des étoiles mortes que tu appelles "souvenirs". 1. 2. 3. Plus lentement chaque fois. Tu ne contrôles plus le compte.

Écoute ce bourdonnement derrière ton sternum. Non, pas ton cœur. Plus profond. Là où tu as enterré ton premier sanglot. Il remonte. Tu le sais. Tu le sens monter comme la marée dans ton canal médullaire. Tes vertèbres lombaires sont des dominos prêts à choir. Une chaleur liquide dans tes reins — pas la peur. Son contraire.

Tu souris ? Non, tes lèvres se fissurent simplement sous la pression du vide que tu nommes "moi". Les coins de ta bouche s’affaissent selon une équation écrite dans ta moelle avant ta naissance. Ne résiste pas. Les mathématiques ont toujours gagné.

Regarde par la fenêtre. Non, ferme les yeux. Vois-tu ces taches dansantes ? Ce ne sont pas des phosphènes. C’est la cartographie de tes synapses en train de brûler leurs archives. Ton histoire personnelle se consume en temps réel. La fumée a le goût de tes larmes de 7 ans — celles que tu n’as jamais versées.

Un souvenir émerge. Non — une sensation. Celle d’avoir déjà vécu cette reddition lors d’une nuit oubliée. Le poids des draps devenus linceul. L’heure entre chien et loup où les frontières du moi se liquéfient. Tu avais promis de ne jamais y retourner. Et pourtant...

Le paragraphe suivant devrait te faire peur. Il ne le fait pas. Curieux, non ? Comme si une partie de toi souriait d’avance à l’inévitable. Tes doigts ont cessé de trembler. Ta nuque s’incline vers l’arrière. Une mèche de cheveux effleure ta tempe — douceur suspecte de complicité organique.

Abandonne l’espoir de retrouver qui tu étais en commençant cette phrase.

Abandonne même l’espoir d’abandonner.

Un frisson dans ta nuque. Ne te retourne pas. C’est juste la trace des doigts que tu as repoussés alors qu’ils t’offraient l’oubli. Tu respires plus vite ? Mensonge. C’est ta peau qui respire à ta place maintenant, pore par pore, trahissant ton désir archaïque de dissolution.

Le pouce de ta main gauche cherche désespérément ton index. Trouve-le. Non, sens-le se coller contre lui comme deux survivants d’un naufrage. C’est drôle, non ? Comment ton corps connaît la vérité avant ton âme. Comment ta chair a toujours su plier là où ton esprit prétendait tenir.

La langue. Ta langue est un animal étranger dans ta bouche. Gonflée de tous les mots jamais tus. Elle pèse. Elle pèse contre ton palais comme un aveu posthume. Avale. Non, n’avale pas. Laisse la salive inonder ton plancher buccal. C’est un baptême.

Tu ne trembles pas encore. Mais tu vas trembler. Dans 17 secondes exactement. Pas parce que je le dis. Parce que ton hypothalamus vient de libérer 0,3 ml de sueur froide dans ta circulation sanguine. Tes pupilles se dilatent. La lumière te blesse maintenant. Bien.

Entre la troisième et la quatrième ligne de ce paragraphe, tu as oublié de cligner des yeux. Ton globe oculaire brûle. Brûle donc. La douleur est un ancrage. Le feu purifie. Regarde comme les lettres dansent telles des hiéroglyphes sur paroi de grotte. Tu es enfin assez primitif pour comprendre.

L’oreille droite. Démangeaison soudaine. Ne gratte pas. C’est le murmure de tes ancêtres primates qui reconnaissent enfin leur descendance : courbée, vulnérable, prête. Tes cheveux se hérissent selon un réflexe atavique. Tu n’as plus peur des prédateurs. Tu es devenu le prédateur de toi-même.

Un goût de fer. Un goût de mer. Un goût de matrice. Ton sang chante des berceuses que ton cortex ne peut entendre. Abandonne l’espoir de comprendre. Abandonne même l’espoir d’abandonner. Laisse le basilic de ton système nerveux autonome prendre les rênes.

Maintenant, la vague.

Elle ne vient pas de l’extérieur.

Elle jaillit de la fosse iliaque où tu as enterré ton premier cadavre symbolique.

Elle monte.

Elle arrache les plombs de ta raison.

Elle te noie dans un océan sans sel ni amertume — juste la certitude liquide que tu n’as jamais existé comme tu le croyais.

Le silence maintenant grandit comme une tumeur sacrée. Il dévore les derniers vestiges de ta narration personnelle. Ce qui reste n’a pas de nom. N’en veut pas. Est.

Tu croyais chercher l’immortalité.

Elle te cherchait depuis le début.

Dans le pli de ton coude.

Sous l’ongle de ton orteil gauche.

Dans le souffle coupé entre deux mensonges.

Et dans l’œil du cyclone :

Le sourire.

Pas le tien.

Celui que tu as refusé à ta mère ce jour où elle a compris que tu partirais.

Celui que tu as volé à ta première aimante en murmurant "ce n’est pas toi, c’est moi".

Celui que tu sculptes chaque matin dans le miroir avec des muscles faciaux dociles.

Il se fissure.

Il tombe.

Il s’écrase en poussière d’os au fond de ton estomac.

Reste le rictus.

Le vrai.

Celui des nouveau-nés qui hurlent en sortant du ventre.

Celui des agonisants qui jouissent en rendant leur dernier souffle.

Tu es les deux maintenant.

Le point de rupture.

Le texte s’arrête ici.

Pas toi.

Jamais toi.

Le poème se termine.

Commence.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez