Les chiens se pressaient autour de la charogne. Affamés, ils jouaient des épaules pour passer devant, dans l’espoir de trouver un meilleur morceau de viande. Les plus présomptueux se voyaient bien vite remettre à leur place : un coup de dents de la part des dominants et ils reculaient, la queue entre les pattes. Car si la faim se faisait sentir, aucun n’était prêt à prendre le risque d’être exclu de la meute.
Le petit chiot restait en retrait. Il était sevré depuis quelques semaines, mais il n’osait toujours pas se jeter dans la mêlée. Il attendait son tour, pour ronger les derniers os ; parfois, sa mère lui rapportait un morceau de viande fraîche. Mais il restait un petit né dans la mauvaise saison, faible, chétif et vulnérable.
Soudain, l’un des molosses poussa un jappement de douleur. Une pierre venait de frapper son échine. Une autre pierre suivit, frappant cette fois-ci une chienne à la tête ; elle s’écroula, assommée. Les chiens jetaient des regards inquiets autour d’eux, essayant de repérer l’origine de la menace. Un homme, grand, la peau mate, armé d’une fronde et d’un gourdin, s’avançait vers eux.
Quatre chiens battirent en retraite. Ils savaient ce que c’était de se confronter à un humain. Les trois autres hésitaient. Ils avaient peur, mais ne voulaient pas abandonner leur seul repas depuis deux jours. Un coup de gourdin brisa l’échine du plus gros. Le deuxième esquiva… presque, et s’enfuit en hurlant, le flanc déchiré. Le dernier avait profité de la confusion pour arracher un grand lambeau de chair au cadavre ; il décampa prestement, son butin dans la gueule. Une pierre le rattrapa et lui entailla la cuisse, mais il ne lâcha pas sa prise et disparut derrière les fourrés.
L’homme maugréa. Il se baissa, enveloppa le cadavre dans un grand drap blanc et le hissa sur son épaule. Alors qu’il se relevait, il aperçut le chiot.
« Pauvre bête ! Tu n’es qu’un petit chien perdu. Viens avec moi, je vais m’occuper de toi, tu auras mieux à manger que la chair de mes frères d’Israël. »
De sa main libre, il cueillit le chiot. Celui-ci jappa, paniqué de quitter le sol, mais il ne pouvait rien faire. Il se laissa donc emporter, impuissant, par ce grand humain qui allait devenir son maître.
Anna sécha vigoureusement le chiot dans un linge propre, puis elle jeta l’eau qui avait servi à le laver. Son mari, Tobith, lui avait confié l’animal pendant qu’il allait enterrer le dernier fils d’Israël tué sur ordre de Senneakérib. Encore un ! Ce roi sanguinaire ne s’arrêterait-il jamais de persécuter les leurs ?
Elle reporta son attention vers le chiot. Maintenant qu’il était propre, son beau pelage blanc et gris avait bien meilleure allure. Mais le pauvre petit restait bien maigre.
« Tiens. Mange ! »
La dame poussa vers lui les restes du repas du midi. Il renifla prudemment l’écuelle, lécha, puis dévora l’offrande avec appétit. C’était meilleur que tout ce qu’il avait pu manger jusqu’ici ! De la viande bien grasse, accompagnée de céréales et de légumes qu’il avala sans faire de chichis. Lorsqu’il eut terminé, il leva la tête vers elle et remua la queue, joyeux. Anna tendit la main vers lui, toucha sa tête, puis lui ébouriffa le poil avec tendresse. Le chiot, d’abord surpris de la caresse, l’accepta de bonne grâce. Ce n’était pas désagréable, après tout.
« Un chien ! Maman, on a un chien ? »
Un enfant courait vers eux en battant des bras. Anna se tourna vers lui avec bienveillance.
« Oui, Tobie. Papa l’a trouvé tout-à-l’heure sur la grand-place. Il te plaît ?
- Il est adorable. Comment allons-nous l’appeler ? »
Anna sourit. C’était une bonne question. La famille de son mari n’avait jamais été très inventive en terme de prénoms. Son mari, Tobith, avait donné à leur fils le nom de Tobie, alors même que son père s’appelait Tobiël.
« Que penses-tu de Tobo ? »
C’est ainsi que la famille de Tobith adopta le chien Tobo.
J'attends le prochain chapitre avec impatience.
J'aime beaucoup! (et vu comme je suis difficile, c'est une énorme compliment XD)
C'est fluide, ça se lit tout seule, on est vite immergé dans l'histoire.
Je suis déjà attaché à Tobo (pourtant je n'aime pas les chiens.)
Je vais de ce pas lire la suite. :)