I, 17 - Le départ

Par Seja

— J’ai un peu de mal à lui faire confiance, c’est tout.

Ils avaient établi leur camp non loin de la maison, vers la mer. Teo roupillait comme un bienheureux, mais eux, ils étaient restés pour discuter la suite.

— Pourtant, c’est toi qui fais confiance en général, répondit Leibju.

— Non mais ce n’est même pas elle. C’est ce monde. Je n’arrive pas à savoir ce qui cloche alors que c’est sûrement devant mes yeux.

— Je suis pas une experte, mais les esprits et autres apparitions pourraient être le truc qui cloche.

— C’est ça, moque-toi.

Elle sourit, perdit son regard dans les flammes de leur feu.

— Tu lui fais confiance, toi ? demanda-t-il.

Leibju haussa les épaules.

— Elle aurait aucune raison de mentir.

— Des raisons, on peut toujours en trouver.

— Ouais, soupira-t-elle. En attendant, je vais dormir. Réveille-moi pour le second tour.

Haido se retrouva seul face au silence de la nuit et au bruit des vagues. Il inspira l’air salé, remplit son esprit des images de la journée. Avec tout ça, il allait avoir de quoi ramener comme histoires aux parents.

Ça faisait quatre mois qu’il ne les avait pas vus. Aucun signe de vie, rien. Oh, bien sûr, il savait que c’était comme ça qu’ils fonctionnaient. Mais parfois, il aurait bien aimé qu’ils se rappellent qu’ils avaient un fils.

Il frissonna face à l’air froid de la mer, resserra les pans de sa veste. Trois croissants de lunes de tailles variables brillaient au-dessus de l’eau. Si le jour, le spectacle était saisissant, la nuit, il devenait magique. Il ne savait pas ce qu’était ce monde, mais à ce moment précis, il se dit qu’il aimait son mystère.

Il baissa le regard sur le chat roulé en boule, repensa aux chaines qui l’avaient retenu à son arbre.

Rien n’avait de sens ici, les choses évoluaient selon leur logique propre et cette logique variait d’un endroit à un autre. Rien n’avait de sens et pourtant, il y avait quelque chose de familier dans tout ça.

Il tourna le regard vers les montagnes. Leur crête brillait dans la nuit de milliers de diamants. C’était un endroit singulier, on ne pouvait pas lui enlever ça.

Perdu dans ses réflexions, il ne se rendit pas compte du sommeil qui l’engloutit.

Quand il ouvrit les yeux, le premier soleil montait paresseusement tandis que le deuxième sortait tout juste de derrière les montagnes.

Leibju était un peu plus bas sur la plage, Teo sur les talons.

— On va partir, dit-elle en remontant. Tout est prêt ?

Du coin de l’œil, Haido vit la vieille femme les observer. Puis, elle descendit la pente jusqu’à eux. Il lui sembla qu’elle hésitait.

— Personne doit trouver ce monde, dit-elle abruptement. Personne.

— Il est quasi impossible à trouver, dit Leibju après avoir échangé un regard avec Haido.

— Personne, répéta-t-elle et il n’aima pas son ton.

Elle fit un signe de tête vers leurs transmetteurs.

— Laissez-les ici.

— Ils n’ont rien enregistré, intervint Haido.

— C’était pas une suggestion.

Le fusil sur son épaule venait confirmer ça.

— Ils fonctionnent pas sur ce monde, tenta Leibju. Ils ont capté aucune info.

— Laissez-les.

— On pourrait ne jamais retrouver notre monde sans eux.

— La Sixième Terre ? Vous trouverez sans souci. Il y a toujours des voyageurs pour vous guider.

— C’est…

— J’ai rien contre vous, bougonna la vieillarde. J’aimerais donc pas insister plus.

— On en a pas besoin, couina Teo. J’ai traversé sans, moi.

Haido attrapa le regard de Leibju. Elle était tendue.

— Si on traverse sans eux, le multivers va se fissurer encore.

— Une traversée lui fera rien du tout.

Haido défit son transmetteur, le balança aux pieds de la femme. Leibju grimaça, mais l’imita.

Sans les lâcher des yeux, elle se baissa, les ramassa, les rangea dans une poche.

— Je suis désolée, dit-elle. Il le faut.

Haido aurait bien aimé lui en tenir rigueur. Mais il la comprenait. Ce monde devait être préservé.

— J’espère que vous trouverez votre monde sans souci.

Elle s’approcha de Leibju, se pencha vers elle, murmura quelque chose. Et puis, ce fut le moment de partir. Ils balancèrent leur sac sur leurs épaules, remontèrent de la plage. Il y avait un chemin qui partait vers les montagnes. Ce qui était étrange dans un monde peuplé uniquement d’illusions.

Ils se retournèrent une dernière fois, jetèrent un regard en contrebas. À ce moment de la journée, tout transpirait la tranquillité.

— Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? demanda Haido. Avant de partir.

— Rien d’important.

Il n’insista pas. Leibju parlerait le moment venu.

La route jusqu’aux montagnes était ombragée. C’était calme, c’était agréable, c’était suspect.

Teo trainait un peu les pattes, Haido essaya de ne pas trop s’attarder dessus.

— On aurait pu rester, bougonnait-il. C’était tout ce que j’essaie de dire.

— C’est trop tard pour l’abandonner ? soupira Leibju.

— Tu lui as promis de lui montrer la Sixième Terre.

— J’ai fait ça ?

— Ta bonté te perdra.

L’humeur s’était quand même nettement améliorée. Ils avaient un but plus clair maintenant. Une porte de sortie. Et ils se disaient que ça ferait des choses à raconter.

La journée se passa sans encombre. Chaque pas les rapprochait des montagnes.

— Peut-être qu’il y a des trucs là-bas, dit Teo comme ils s’étaient arrêtés pour la nuit.

— Quel genre ? demanda Haido.

— Je sais pas. Des trucs. Qui te courent après et tout.

— Des trucs avec des dents ?

— Ouais ! Plein !

Le garçon se tut, pensif.

— J’espère que ça sera pas des cabanes.

Haido l’espérait aussi. Mais il commençait à avoir un très mauvais pressentiment. En fin de journée, la forêt avait changé. Pas tant au niveau des arbres, plutôt au niveau de l’atmosphère. Tout était devenu bien trop silencieux. Comme avant une tempête. Il chassa cette pensée, regarda un des soleils se coucher.

— Tout va bien se passer, marmonna-t-il.

— Tout ? T’es sûr ?

Il se tourna vers Leibju qui était venue s’assoir à côté de lui. Elle avait un sourire en coin, elle semblait moins tendue.

— Tout, confirma-t-il.

Et il eut très envie d’y croire.

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Fannie
Posté le 16/04/2020
Une fois de plus, tu nous laisses en plan. Et pour de bon, cette fois, puisque la suite n’est pas encore écrite. Tu la connais plus ou moins – voire parfaitement – ou tu improvises ?
Après le coup des transmetteurs, je commence à m’interroger au sujet de la vieille femme. Qu’a-t-elle bien pu dire à Leibju pour qu’elle semble si peu inquiète ? Est-ce vraiment rassurant ? Si ça se trouve, c’est peut-être elle qui a tué sa partenaire et d’autres gens, par exemple tous ceux qui voulaient partir en gardant leur transmetteur... Tout ça ne me dit rien qui vaille, parce que là, notre trio n’est pas près de partir, bien que le chapitre s’intitule « Le départ ».
Coquilles et remarques :
— ils étaient restés pour discuter la suite [discuter de la suite]
— c’est toi qui fais confiance en général [j’ajouterais une virgule avant « en général »]
— Elle sourit, perdit son regard dans les flammes [C’est son regard qui se perd ; pas elle qui le perd.]
— Avec tout ça, il allait avoir de quoi ramener comme histoires aux parents. [Cette tournure est bancale ; je propose « il allait avoir de quoi ramener des histoires ».]
— Si le jour, le spectacle était saisissant [Tout comme « saisi », tu as déjà employé « saisissant » précédemment ; il y a des synonymes comme étonnant, surprenant, spectaculaire, stupéfiant, renversant, etc.]
— Puis, elle descendit la pente jusqu’à eux. [Pas de virgule après « Puis ».]
— Personne, répéta-t-elle et il n’aima pas son ton. [Pour éviter d’ajouter dans l’incise un élément qui n’a aucun rapport syntaxique avec les paroles prononcées, je propose « répéta-t-elle sur un ton qu’il n’aima pas » ou « répéta-t-elle sur un ton qui lui déplut ».]
— Et puis, ce fut le moment de partir. [Pas de virgule après « Et puis » dans ce contexte.]
— C’était tout ce que j’essaie de dire. [Concordance des temps : « C’était tout ce que j’essayais de dire. » ou « C’est tout ce que j’essaie de dire ».]
— L’humeur s’était quand même nettement améliorée. [« Leur humeur » ou « L’humeur générale ».]
À quand la suite ?
Rimeko
Posté le 23/09/2019
Encore et toujours moi, pour le dernier commentaire du week-end (oublions que je poste ça le lendemain) !

Coquillettes et suggestions :
"Avec tout ça, il allait avoir de quoi ramener comme histoires aux parents." Pas très joli... "il allait en avoir, des histoires à raconter aux parents" ??
"Ça faisait quatre mois qu’il ne les avait pas vus. Aucun signe de vie, rien." Est-ce qu'on peut appeler / texter quelqu'un qui est sur un autre monde ?
"Ce qui était étrange dans un monde peuplé uniquement d’illusions." Bah... la vieille femme, les trucs dans la forêt, c'est pas des illusions, non ?
"En fin de journée, la forêt avait changé." ... Depuis quand ils sont à nouveau dans la forêt ??

J'ai comme l'impression que ce monde a comme un côté "monde primordial", comme si c'était le premier du Multivers... ou en tous cas qu'il y tient une place importante. Comme si la vieille dame en était devenue la Gardienne, aussi. Bon, du coup, c'est pas une histoire qu'Haido pourra raconter à ses parents ça ! Ou alors si, s'il ne donnent pas de détails (genre coordonnées, et tout)... ?
J'aime pas du tout les petits indices que tu sèmes, par contre, du genre "vous croyez que ça allait bien se passer à partir de bêtement ? Hahah, que vous êtes naïfs" :P Ça fait un peu bizarre aussi que ça ne soit pas Leibju qui s'inquiète, pour une fois ! Qu'est-ce qu'elle a bien pu lui dire la vieille femme... ?
Rimeko
Posté le 23/09/2019
Oh, et puis aussi : à quand la suite ? :D
Seja Administratrice
Posté le 29/03/2020
Merci tout plein pour toutes les coquillettes remontées ! Et pour toutes tes lectures !
Héhé, allez, promis, je répondrai à toutes ces questions un jour x) Et la suite, faudrait que je l'écrive :p
Rimeko
Posté le 29/03/2020
*fait les yeux doux*
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