I, 16 - Les plans

Par Seja

Leibju ne savait pas vraiment ce qu’elle avait devant les yeux. Le ciel était en train de se déchirer d’éclairs et un rapace fondait sur le cygne. Encore et encore. Le spectacle était si saisissant qu’elle oublia pendant quelques secondes où elle se trouvait. Et soudain, une flèche siffla, transperça le rapace.

— L’histoire se répète, murmura-t-elle. C’est comme elle a dit…

Elle tourna le regard vers Haido, vit le gamin se débattre avec le chat qui lui avait planté les griffes dans une partie sensible de son anatomie.

— Quinze jours à survivre dans ce monde ? articula Haido en perdant son attention du côté de l’horizon. On va dire que ça pourrait être pire.

Il se tourna vers le gamin, se saisit du chat et envoya un large sourire à Leibju. Comme pour accentuer ses paroles, le soleil perça les nuages, fit danser des milliers de reflets sur l’écume.

— Elle m’a parlé d’autre chose, dit Leibju.

— Et vu la tête que tu tires, ça ne doit pas être très bon.

— Les vortex n’apparaissent pas n’importe où ici. Ou très rarement. Elle m’a parlé d’un gouffre. Où ils ont plus de chances d’apparaitre.

— Le vortex qui nous a emmenés ici est apparu dans un endroit aléatoire. Pourquoi est-ce qu’ils auraient plus de chances d’apparaitre dans ce gouffre ?

Leibju hésita à répondre. Parce qu’elle ne savait pas si c’était crédible ou si la solitude avait fait perdre la raison à la femme.

— Elle dit que c’est là-bas qu’ils apparaissent. Les vortex.

— Oui, j’avais compris.

— Non. C’est là-bas qu’ils apparaissent.

Haido fronça les sourcils en caressant distraitement le chat.

— Ça n’a pas de sens.

Leibju haussa les épaules.

— Peut-être pas. Mais c’est une piste. On peut pas vraiment dire qu’on a l’embarras du choix.

— Les vortex sont créés ici ? intervint le gamin.

— Non, répliqua aussi Haido. Les vortex ne sont pas créés. Ils existent, c’est tout.

— C’est tout ? Mais comment ils peuvent exister sans avoir été créés ? Il a bien fallu que quelqu’un les crée…

— Quelqu’un ? se dérida Haido. Comme les Enflammeurs ? Ou les Vers Stellaires ?

Le gamin se renfrogna. Il avait senti qu’on ne le prenait pas au sérieux.

— Ils existent, coupa-t-il.

Haido eut le bon goût de ne pas poursuivre la conversation.

— Donc le gouffre, il est loin ?

— Tu vois les montagnes ?

Elle pointa le massif sur leur droite.

— Chouette, une balade ! s’enthousiasma Haido.

Le gamin, lui, bougonna quelque chose à propos d’un mal de pieds. Leibju l’ignora. Puis, elle jeta un autre regard aux montagnes. Elle ne serait pas fâchée de rentrer chez elle.

— Un gouffre dans des montagnes où les vortex apparaissent, dit Haido d’un air pensif. C’est très… très…

il ne finit pas sa phrase, il la laissa juste mourir. Leibju fronça les sourcils, mais n’insista pas.

Puis, elle se tourna vers la mer, vers le bateau qui y naviguait, vers tous ces gens créés d’illusions.

À l’académie, on leur avait parlé de mondes étranges. De mondes où la physique ne se comportait pas comme elle aurait dû. De mondes où les gens développaient certaines capacités inhabituelles. De mondes qui ne se ressemblaient pas.

Mais jamais on ne leur avait parlé de mondes comme celui-ci. Peut-être que c’était propre aux indépendants. Quoique maintenant, Leibju n’était plus aussi sûre sur ce point. S’il y avait des vortex, ça voulait dire qu’il n’était pas si inaccessible que ça.

Elle jeta un regard à la maison. La vieille femme était debout sur le perron. Le vent faisait danser les tentures, se prenait dans ses cheveux blancs. Ce monde lui avait pris sa vie.

— Elle va rester là ? demanda Haido en s’asseyant à côté. Sur ce monde ?

— J’en sais rien. J’ai pas l’impression qu’elle a vers quoi revenir. Elle a passé ici presque toute sa vie.

— C’est bien ici.

Leibju se tourna vers le gamin. Il ne la regardait pas, il fixait l’horizon.

— Je veux dire… il y a des mondes moins sympas. Le mien, par exemple.

— C’est vrai que les cabanes qui tentent de te dévorer, c’est sympa, dit Leibju.

— Les cabanes, non. Mais ici, c’est bien.

Et là, Leibju ressentit de la tristesse. Le gamin l’énervait toujours autant, mais elle trouvait affreusement triste le monde d’où il venait. Elle savait bien sûr que ces mondes industriels existaient, mais elle ne s’était jamais trop penché sur la question. Et la réalité était que si Teo revenait chez lui, la seule chose qui lui arriverait serait de finir en ouvrier. Un parmi des milliards. Et ça, ce n’était pas une existence très enviable. Elle et Haido, ils avaient le choix. Pas lui.

— On pourrait s’ennuyer au bout d’un moment, dit-elle enfin. On sera mieux sur la Sixième Terre.

Elle se releva et se dirigea résolument vers la maison. Non sans avoir remarqué le regard amusé d’Haido.

— La journée se termine, dit la femme en voyant Leibju approcher.

La jeune fille hocha la tête. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle ressentait soudain de la tension, comme si l’air s’était chargé d’électricité.

— Repartez avec nous, dit-elle. Vous pourrez raconter pour ce monde. Ça intéresserait du monde.

— Non.

Elle secoua la tête, baissa un regard nostalgique vers Leibju.

— Non, ce monde doit rester caché. Si on savait comment y accéder, il deviendrait une attraction touristique de plus. Il perdrait ce qu’il est.

— Et il est quoi ?

— Regarde par toi-même.

Le plus gros des soleils était couché depuis longtemps. Le petit le rejoignit, l’obscurité s’installa. Et au moment où les ténèbres allaient se faire compactes, l’écume scintilla, s’illumina. On aurait dit que des centaines de loupiotes dansaient dessus. Leibju aperçut alors une tache blanche sur sa droite, portée par les flots. C’était le cygne qui brillait de mille feux. Il se balançait sur les vagues, disparaissait, revenait.

Et puis, il n’y eut plus de cygne. Une femme se tenait à sa place, au bord de l’eau. Un croissant d’argent brillait sous sa natte et une étoile d’or resplendissait sur son front.

Leibju en avait oublié de respirer. Elle tourna le regard vers Haido et le gamin qui les avaient rejointes. Ils semblaient tout aussi saisis par le spectacle.

Elle inspira, se sentit frissonner. La femme avait raison au moins sur un point.

Ce monde était unique.

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Fannie
Posté le 16/04/2020
Si on oublie un instant les cabanes sur pattes qui puent et mangent les gens, c’est vrai que ce monde est beau. Je comprends que la femme qui y vit depuis si longtemps ne veuille pas qu’il soit dénaturé. Mais il me semble qu’il serait quand même difficile d’y organiser des visites touristiques, compte tenu de la rareté des vortex qui y mènent et en reviennent.
Coquilles et remarques :
— Pourquoi est-ce qu’ils auraient plus de chances [« Pourquoi » suffirait ; « est-ce que » alourdit inutilement la phrase, même si tu ne fais pas l’inversion du verbe et du sujet.]
— Quelqu’un ? se dérida Haido. [Il n’y a aucun lien syntaxique entre « se dérida » – qui est juste un changement d’expression du visage – et les paroles prononcées. Tu peux remplacer l’incise par une phrase introductive ou faire une périphrase comme « fit, releva, répéta Haido en se déridant ».
— Ils existent, coupa-t-il. [Le verbe « couper » ne me semble pas pertinent. Je propose affirma-t-il, soutint-il, décréta-t-il, répliqua-t-il, rétorqua-t-il.]
— Puis, elle jeta un autre regard aux montagnes / Puis, elle se tourna vers la mer [Pas de virgule après « Puis » ; il n’y a pas de proposition incise ni d’apposition entre deux virgules juste après.]
— vers tous ces gens créés d’illusions. [L’expression « créés d’illusions » me laisse dubitative ; « animés par l’illusion », peut-être ?]
— Leibju n’était plus aussi sûre sur ce point. [On dit « sûr de qqch » ; « n’en était plus aussi sûre », « n’était plus aussi sûre de ce fait », « n’était plus aussi sûre qu’il le soit », peut-être ?]
— demanda Haido en s’asseyant à côté [à côté de qui ou de quoi ?]
— J’ai pas l’impression qu’elle a vers quoi revenir. [Cette tournure me laisse dubitative ; « qu’elle a un endroit où aller », « qu’elle a quelque chose qui l’attend », peut-être ?]
— C’est bien ici. [Virgule avant « ici ».]
— mais elle ne s’était jamais trop penché sur la question [penchée]
— le regard amusé d’Haido [de Haido (?)]
— Vous pourrez raconter pour ce monde. Ça intéresserait du monde. [La tournure « raconter pour ce monde » n’est pas correcte ; je propose « raconter ce monde », « raconter ce qu’elle a vu (ou vécu) dans ce monde », « décrire ce monde », « apporter des informations sur ce monde », etc. / Pour éviter la répétition de « monde », je propose « Ça intéresserait des gens ».]
— Et puis, il n’y eut plus de cygne. [Pas de virgule après « Et puis » dans ce contexte.]
— Ils semblaient tout aussi saisis par le spectacle. [Au cours de l’histoire, tu emploies souvent l’adjectif « saisi », suffisamment pour que ça me frappe. Il y a des synonymes comme impressionné, frappé, surpris, étonné, stupéfait, sidéré, ébahi, abasourdi, médusé, etc.]
Rimeko
Posté le 23/09/2019
Coquillettes et suggestions :
"Le vortex qui nous a emmenés ici est apparu dans un endroit aléatoire" Comment elle sait que c'était aléatoire ? Si ça se trouve, c'est peut-être le deuxième endroit où les vortex apparaissent le plus fréquemment, non ?
"il (Il) ne finit pas sa phrase"
"Quoique maintenant, Leibju n’était plus aussi sûre sur ce point. S’il y avait des vortex, ça voulait dire qu’il n’était pas si inaccessible que ça." Encore une fois, j'aimerais bien la définition "officielle" d'un monde indépendant XD A moins que je l'ai ratée dans les premiers chapitres... ?
"se /prenait/ dans ses cheveux blancs. Ce monde lui avait /pris/ sa vie" Repet
"J’ai pas l’impression qu’elle a(it) vers quoi revenir." La structure est un peu bizarre aussi...
"Vous pourrez raconter pour ce monde." Là aussi je trouve la tournure un peu moche.

Oh, il y a des infos intéressantes dans ce chapitre ! C'est clair que ce monde a l'air vraiment à part, les illusions me fascinent presque autant qu'elles semblent fasciner tes persos. Et du coup, la vieille dame (on ne connaît toujours pas son nom, tiens), elle s'y est attachée, c'est ça ? (Par contre comment elle trouve à manger, tiens ?)
Et si elle a raison, il y aurait vraiment le truc qui crée les vortex sur ce monde ? Des Enflammeurs, du coup... ? Oh, j'ai hâte de savoir !
Seja Administratrice
Posté le 29/03/2020
Rim et les aspects pratiques xDD Ya une mer à côté, sûrement des trucs à pêcher dans le tas :p Dommage que les illusions ne soient pas comestibles x)
Rimeko
Posté le 29/03/2020
Rectification : Rim aime la bouffe.
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