I. Appartement

Notes de l’auteur : J'espère que cette première scène vous plaira. Vos commentaires sur le fond, la forme et le débat sont les bienvenus ;)

I. Appartement 

 

Commentateur. Le soir des résultats du second tour de l’élection présidentielle qui opposait le candidat de l’extrême droite au président sortant, Anouar est seul dans son appartement. Son fils, Isa, dort et sa femme Samira est de garde. Le candidat de l’extrême droite est élu président de la république avec 61% des suffrages. Anouar reste assis dans le noir, seule la lumière de la télévision éclaire son salon. Quelques minutes s’écoulent avant que Samira n’arrive. 

 

Samira entre. Anouar est assis dans le noir. 

 

Samira. Nous n’étions plus que trois de garde. Gibril a été muté, je pense plutôt qu’ils cherchent à le virer. Un infirmier s’est fait agresser en pleine salle d’attente. Il s’est effondré dans les toilettes. Amira veut faire appel à une grève générale. Je pense bien la rejoindre. J’ai appelé ma sœur, elle est d’accord pour garder Isa ce week-end. Tu ne vas pas passer ta soirée dans cet état, si ? Isa dort ? A t-il bien mangé ? Je ne lui ai pas trop manqué ? 

 

Anouar ne lui répond pas.

 

Samira. Anouar ? 

 

Anouar. Quelle importance, Samira ? Quelle importance ? Quelle importance qu’il ait bien mangé ou dormi ou si tu lui as manqué ? On vient de lui voler son avenir et toi tu me demandes si tu lui as manqué ? 

 

Samira. Anouar. 

 

Anouar. C’est notre vie qui nous manquera Samira. Quand on viendra toquer à notre porte pour nous raccompagner « chez nous ». 

 

Samira. Anouar, s’il te plaît, arrête. 

 

Anouar. « Au revoir, merci et profitez bien des petits cocktails dans l’avion ! Ah non, c’est vrai vous ne pouvez pas boire d’alcool, vous les musulmans ! Ha ha ha, un petit jus d’orange alors ? Le même qu’on donne aux enfants ! Hein ?  Mais si vous allez adorer ! Bon débarras et admirez bien les toits de Paris, c’est la dernière fois que vous les voyez ! »

 

Samira se prépare à manger 

 

Samira. Tu es ridicule, Anouar. 

 

Anouar. Tu sais ce que je leur répondrais, Samira ? 

 

Samira. Que leur jus d’orange ils peuvent se le mettre là où tu penses ? 

 

Anouar. Non, Samira, non. 

 

Samira. Alors quoi ? 

 

Anouar. Je leur répondrais : oui sidi, merci sidi, au revoir sidi. 

 

Samira. Je vais aller voir Isa. 

 

Samira sort du salon et va dans la chambre d’Isa

 

Anouar. S’il te plaît, Samira, ne t’en vas pas. Je n’y peux rien. C’est ce qu’on m’a appris à faire depuis le jour où l’on m’a regardé dans les yeux pour me dire « Ah, vous les Arabes ». Et c’est ce jour-là où j’ai compris ce qu’était un arabe, du moins ce qu’était un arabe en France. Un arabe vu par un Français. Vu par la France. Vu par ceux qui veulent nous faire dégager. 

 

Samira parle à Isa endormi


 

Samira. Mon chéri comme tu es beau, même endormis tu restes si beau. J’aimerais te réveiller, m'asseoir au bord de ton lit et t’écouter parler, des nouvelles lunettes de ton ami Timothée ou bien de ce vélo que tu as vu à la télé. Mais tu as l’air si fatigué et au lieu d’entendre ta jolie petite voix, ta pauvre mère doit endurer, encore une fois, ton père et ses … 

 

Anouar. Son père et ses quoi ? Je t’en prie Samira, ne te censure pas de toute façon il est endormi.  

 

Samira parle de nouveau à Isa et ignore Anouar

 

Samira. Finalement ce n’est pas une si mauvaise chose que tu te sois endormi si tôt mon chéri. Demain, tout ira pour le mieux, je te le promets. On ira faire du vélo, on mangera une glace et on se promènera dans ce parc que tu aimes tant.  


 

Anouar. Encore faut-il qu’il y ait un “demain” pour nous, ici, dans ce pays

 

Samira quitte Isa et traîne Anouar avec elle dans le salon. 

 

Anouar. Il n’y aura pas de demain pour nous ici. 

 

Samira. Anouar, s’il n’y a pas demain pour nous ici, il n’y aura pas de demain pour nous nulle part. 

 

Anouar. Ce pays n’a jamais voulu de nous. 

 

Samira. Ce pays ? Notre pays. Notre pays à nous. Celui de notre fils, celui de nos parents, de nos parents-grands.  

 

Anouar. Il n’y a jamais eu de nous. Il y a nous et eux. Il y a ceux qui parlent et ceux qui comptent. Il n’y a jamais eu de nous et Gargamel avec son beau sourire, son costume et son petit drapeau vient de nous le prouver. Mais au fond on le savait déjà, pas vrai ? 

 

Samira. Non, il n’a rien prouvé du tout. Sa victoire ne prouve rien mais ton discours, lui, vient de me prouver tout autre chose.  

 

Anouar. Te prouver autre chose ? 

 

Samira. Ta lâcheté. 

 

Anouar. Ma lâcheté ? Ma lâcheté ?! Alors là Samira, je ne te comprends plus. Qu’est-ce que le courage pour toi ? Le courage, c’est de se lever tous les jours dans un pays qui te hurle de t’en aller, qui te hurle que peu importent les concessions, les sourires, « les mercis et les s’il vous plaît », les hochements de tête, le racisme déguisé en laïcité, l’injustice habillée en sécurité et la haine travestie en liberté d’expression, et de jouer au parfait petit citoyen, à l’arabe de maison, bougnoul à l’intérieur mais blanc à l’extérieur qui espère de tout son cœur que l’on finira par l’apprécier à sa juste valeur, que l’on finira par comprendre qu’il n’est pas une exception parce qu’il a réussi à s’élever socialement, qu’il n’est pas une exception parce qu’il a réussi à faire ce qu’ils font mais sans l’aide de papa et maman. C’est ça pour toi le courage, Samira ? Je suis sorti de ma peau, j’ai mué pour qu’ils m’acceptent dans leur belle France, je leur ai tendu la main et tu sais ce qu’ils ont répondu ? « Mais quel citoyen exemplaire. Regardez-le, assimilé et intégré » mais quand je me suis retourné, je les ai entendus murmurer dans mon dos « arabe un jour, arabe toujours ». 

 

Samira. La lâcheté Anouar, c’est de continuer à croire que l’on doit changer pour appeler ce pays le nôtre. Nous sommes liés à ce pays par le sang, de générations en générations. Tu connais ton histoire et ce simple savoir devrait t’obliger à te battre pour ce pays. 

 

Anouar. Je suis peut-être lâche. Tu me penses lâche mais je ne laisserai pas mon fils se soumettre comme je me suis soumis. Je ne laisserai pas mon fils haïr ce qu’il est. Je ne le laisserai pas cacher ce qu’il est de peur de voir des pantins en costume sur toutes les chaînes de télé lui dire qu’il ne sera jamais assez blanc, ni assez citoyen, ni assez laïcisé, ni assez assimilé pour être considéré comme français. 


 

La lumière s'éteint. Discours de victoire prononcé par le candidat d'extrême droite . 






 

 

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Milo.rd
Posté le 30/04/2024
Mes commentaires ne sont en règle générale pas d'une grande aide, mais j'ai trouvé que la scène d'exposition était tout de même assez claire pour qu'on comprenne tout de suite les enjeux de la pièce, les personnages et leurs relations :) Hâte de découvrir la suite en tout cas !
Yvaine
Posté le 22/09/2022
Hello Silver Smile !
Du théâtre et un résumé prometteur, j'allais forcément passer sur cette histoire un jour ou l'autre...
Le début est intéressant. Tu nous présentes tes personnages, et on comprend bien que Samira et Anouar ont des représentations complètement divergentes en ce qui concerne le monde, leur pays et leur identité. On a envie d'en savoir plus, notamment comment deux personnes si différentes en sont venues à se marier, à fonder une famille. Comment leur amour est-il né ? Qu'est-ce qui a changé ?
Cependant, je trouve que cette première scène va trop vite. Elle aurait pu se contenter de présenter les personnages, leur quotidien, leur vie, leur réaction aux élections, sans enchaîner aussitôt sur un débat, un genre de dispute. La pièce gagnerait à s'allonger, à laisser le débat sourdre un peu, insinuer la tension dans le couple... Mais ce n'est que mon avis, et le tout reste intéressant !
Au plaisir,
Yvaine.
Silver Smile
Posté le 29/09/2023
Bonjour Yvaine,

Navrée pour le délais de réponse et merci pour ton commentaire. À vrai dire j'ai écrit cette pièce sans planifier les scènes et cette première scène s'est imposée à moi dans cet état. Peut-être qu'une réécriture viendra tempérer ce début et apporter des éléments de compréhension.

À bientôt :)
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