— Non mais oh Perle, ça va pas la tête non ?!
Tobias avait senti sa petite chatte lui sauter sur le ventre alors qu’il lisait un livre, affalé sur une chaise longue. Il était bien installé, à l’ombre, dans son jardin, un coussin sous la tête et un autre sous les pieds. Il était presque aussi bien que dans son lit. Si son livre avait été moins passionnant (une histoire de dragons qui recherchaient un des leurs disparu), il se serait presque endormi. Ça a du bon les vacances.
Il fut donc très surpris (et son amour-propre un peu blessé) de voir que sa minette le prenait pour un paillasson. Ce n’était pas la première fois. Néanmoins, plongé dans un chapitre palpitant de son livre, son imagination l’avait entrainé très loin de chez lui. Le retour à la réalité avait donc été un peu trop brutal à son goût. Mais il adorait Perle, sa chatte : toute blanche, sauf le bout du museau, tout noir. C’était le plus beau chat qu’il ait jamais vu.
Aux dernières nouvelles, sa petite sœur Capucine jouait avec la minette. Qu’est-ce que Capucine avait bien pu lui faire pour qu’elle s’en aille et le dérange lui ? Il tenait particulièrement à sa tranquillité et ce n’était pas une petite fille de onze ans qui allait y changer quoi que ce soit.
— Capucine, qu’est-ce que tu as fait à la minette ? Elle vient de me sauter sur le ventre !
— Ben rien c’est pas ma faute ! On jouait avec une ficelle et elle a fichu le camp. On aurait dit qu’elle avait eu peur !
— Ouais, c’est ça… Tu l’embêtes plutôt !
— Bah t’as qu’à pas me croire, pourtant c’est vrai !
— En tout cas, j’aimerais lire mon livre tranquillement tu vois ? Parce que bon, je l’aime bien Perle, mais atterrir sur mon ventre comme ça, c’est pas très agréable.
— Ben, je m’en doute, mais c’est pas ma faute !
Capucine rentra la tête dans ses épaules et marmonna quelque chose de très peu aimable que son frère n’entendit pas. Il ne la croyait jamais et c’était bien le problème. Ce qu’il pouvait être agaçant ! Il ne comprenait jamais rien non plus quand elle voulait lui expliquer quelque chose. Il se croyait bien plus intelligent qu’elle, juste parce qu’il avait quatre ans de plus qu’elle. Son anniversaire datait de quelques jours et elle s’était beaucoup amusée avec ses copines, à jouer et à discuter à n’en plus finir.
Elle s’amusait tellement bien avec Perle. C’était bizarre qu’elle s’en aille comme ça, d’un coup. On aurait vraiment dit qu’elle avait eu peur. Mais de quoi ? Ou de qui ?
C’était une magnifique journée du début de l’été. Pas trop chaude, un peu de vent, juste ce qu’il fallait pour se rafraichir sans que cela devienne désagréable. Leurs parents étaient partis faire des courses, mais Capucine ne se rappelait plus exactement pour acheter quoi. Un truc électrique peut-être.
Perle était donc partie se cacher et elle n’avait plus personne avec qui jouer. Ses copines avaient déserté le quartier : l’une en vacances chez ses grands-parents, les autres en route pour la montagne, la campagne ou au centre aéré. Elle n’aimait pas le centre aéré : trop de bruits et d’agitations, tout le temps à s’activer, jamais le temps de ne rien faire. Et puis elle était trop vieille pour ça. Eux avaient eu de la chance d’après maman : elle s’était débrouillée avec papa pour pouvoir les garder une semaine entière à la maison avant de partir tous ensemble au bord de la mer. Et voilà le résultat : personne avec qui jouer. Pour compléter le tableau déjà sombre, elle constata qu’elle ne trouvait plus la télécommande de la télé, et que le contrôle parental bloquait la console de jeux. Elle fit la moue. Lire un livre ne lui disait rien et elle n’était pas assez inspirée pour pouvoir jouer toute seule.
Pff, qu’est-ce que je m’ennuie ! Vivement qu’ils reviennent des courses. Je sais pas quoi faire. On pourra peut-être jouer à un jeu de société quand ils rentreront ? Ou une balade en vélo ? Encore mieux, la piscine !
En attendant, elle s’ennuyait ferme et passait son temps à se plaindre de son triste sort.
— Elle est où Perle ? Je la vois plus.
— Bah, Capucine, t’as qu’à la chercher, t’as pas grand-chose d’autre à faire non ?
— Toi non plus ! Aide-moi !
— Dans tes rêves, je lis. Tu devrais essayer, ça rend intelligent et t’en as sacrément besoin !
C’en était trop pour Capucine. Elle voulait lui donner un coup de pied, mais il avait paré l’attaque en se levant d’un bond. Il passa par-dessus sa jambe et courut dans sa chambre. Elle se lança à sa poursuite, mais trop tard : il avait déjà fermé sa porte.
De colère, elle tambourina avec ses poings et ses pieds.
— T’es qu’un méchant Tobias ! Tu dois jouer avec moi, t’es obligé, sinon je vais le dire aux parents, tu vas voir !
Capucine jugeait impossible qu’il restât insensible à la menace parentale. Et pourtant, plus un bruit ne venait de sa chambre. Elle essayait d’ouvrir la porte en agitant la poignée, mais c’était peine perdue : Tobias l’avait fermée à clé.
Elle continuait de taper contre la porte avec ses poings et ses pieds. Elle lui en voulait tellement… d’être lui ! Elle espérait bien ainsi la lui faire ouvrir, pour peu qu’il craigne que la situation ne dégénère.
— Tu vas surtout voir toi si tu la casses ma vieille !
Elle s’arrêta net. Oui, car si elle l’abîmait, ses parents ne la soutiendraient pas. C’était injuste puisque c’était la faute de Tobias tout ce bazar. Mais c’était ainsi que les choses se passaient, elle devait faire avec.
— Bon allez, maintenant tu dégages Cap’.
Elle aurait voulu le cogner.
— Tu me fais chier gros tas de merde !
— Tu te casses maintenant !
— Vas te faire foutre ! Elle avait envie d’en dire plus, mais elle se méfiait de son frère, qui en savait beaucoup plus long qu’elle sur les injures : malheureusement, elle ne pourrait pas gagner à ce jeu-là.
— Mmm, tu seras heureuse d’apprendre ma chère, que je viens de t’enregistrer avec mon téléphone. Je pense que papa et maman seront ravis de voir que tu as enrichi ton vocabulaire. Bravo sœurette !
C’était trop à supporter pour Capucine ; elle partit en pleurant.
Tobias, enfin tranquille, allait pouvoir terminer son livre. Il en était à peine à deux chapitres de la fin et le suspense était devenu insoutenable. Il dévorait les pages comme il l’aurait fait avec une part de tarte à la framboise.
Il éprouvait néanmoins des remords et son plaisir de lecture s’en trouvait nettement diminué. Cap’ avait pleuré et il n’aimait pas ça. Mais enfin, elle l’exaspérait avec son air de commandante qui donnait des ordres à tout le monde, à tout bout de champ. Les parents étaient trop coulants avec elle, la plus petite, la plus « mignonne ». Elle était pas si « mignonne » d’ailleurs. C’est pas qu’elle soit moche, mais quoi, c’était sa sœur : elle était ni belle, ni affreuse, ni jolie, encore moins « mignonne ». Elle était… rien du tout ! Elle était sa sœur, point.
Il l’entendait sangloter dans sa chambre, en face de la sienne.
J’ai peut-être poussé le bouchon un peu loin. J’aurais pu prendre cinq minutes pour jouer avec elle et après elle m’aurait laissé tranquille. Elle est pénible aussi de vouloir me dire ce que je dois faire. Elle se prend pour la chef, c’est relou. Tiens, j’entends plus rien en face, elle a dû se calmer.
En effet, on n’entendait plus un bruit dans la maison, à part celui de Perle qui miaulait pour que Tobias la laissât entrer dans sa chambre.
Je vais aller la voir et lui demander de m’excuser. On va jouer un peu et je finirai mon livre après.
Il ouvrit la porte de sa chambre et laissa entrer la chatte qui se frotta à ses jambes.
Et puis tiens, on pourra jouer avec Perle aussi, elle n’attend que ça.
Il s’en souviendrait toute sa vie : c’est au moment où il s’apprêtait à sortir de sa chambre pour la retrouver qu’il reconnut sa voix.
— Tobias, au secours !
Ça provenait de derrière lui. Tout se passa si vite qu’il crut pendant longtemps avoir rêvé. Peut-être était-ce le cas ?
Il se retourna d’un coup, mais cela lui semblait durer une éternité. C’était la toute première fois que sa petite sœur appelait au secours, autrement que dans un de leurs jeux quand ils étaient un peu plus jeunes.
Et il la vit alors, dans le jardin, à quelques mètres à peine, cette forme humaine, revêtue d’une longue cape blanche.
C’est curieux comment l’esprit peut noter certains détails aux pires moments. Un large capuchon dissimulait le visage de la silhouette blanche. Elle tenait fermement les bras de Capucine qui se débattait en criant pour faire venir son frère et en le cherchant désespérément des yeux.
Il se précipita pour ouvrir la baie vitrée de sa chambre, mais elle se coinça lorsqu’il la tira brutalement en arrière.
Et puis plus rien.
Plus de silhouette, plus de Capucine.
Juste le jardin de tous les jours. Un jardin bien sympathique en temps normal, bien agréable, avec quelques arbres fruitiers : un pommier, un cerisier et un prunier. Une haie pas très bien taillée. Un peu d’herbe, de pissenlits et quelques pâquerettes, qui poussaient au hasard du vent.
Plus de Capucine ?
C’est un mauvais rêve.
Un putain de cauchemar, oui !
— Capucine ! Capucine ! Tu te caches où ? Allez, montre-toi, c’est pas drôle là !
Bon sang, mais il se passe quoi exactement ?
Et d’un seul coup, d’un seul, une jeune femme apparut devant lui.
J'ai lu ce chapitre rapidement et aisément.
Ceci dit, dans l'introduction, tu dévoiles déjà que la petite sœur va disparaitre sous ses yeux, alors j'ai été surprise que ça ne se termine pas là-dessus ?
merci pour ton commentaire, ça va être pour le chapitre 2 :).
Ayant une petite soeur ça me rappelle de nombreuses disputes qu'on a eu ensemble.
Mais malgré tout cela il y a toujours ce côté fraternel qui prends le dessus :)
C’est un bon début, la lecture est plutôt fluide.
Je pense toutefois avoir relevé une petite incohérence ? Lorsque Capucine dit « Pour une fois, Tobias semblait avoir raison, on aurait dit qu’elle avait eu peur. » alors que quelques lignes plus haut c’est bien elle qui évoque cette peur et non Tobias : « —On jouait avec une ficelle et elle a fichu le camp. On aurait dit qu’elle avait eu peur ! — Ouais, c’est ça… Tu l’embêtes plutôt ! »
Je rejoins Seol sur le 1er paragraphe qui manque peut-être un peu de dynamisme car ce sont les 1eres lignes qui accrochent le lecteur. Peut-être ajouter une marque de surprise comme un « oh ou un oula » ?
« — Oh ! Mais qu’est-ce que tu fabriques Perle ?
Alors que Tobias lisait tranquillement, affalé sur une chaise longue, la petite chatte lui avait brusquement sauté sur le ventre. »
J'ai légèrement remanié la phrase du début, pour marquer un peu plus de surprise.
Merci beaucoup pour ton commentaire !
J'aime beaucoup l'ambiance douce des vacances d'enfances retranscrites ici ! Je trouve le changement de point de vue bien emmené aussi.
Je ne suis pas du tout une spécialiste mais si je voyais une chose à changer ce serait le passage où Tobias est surpris par Perle qui lui saute dessus pour le rendre plus dynamique et que la première chose qu'on ressente quand la chatte arrive sur son ventre, ce soit la surprise du petit garçon.
Ok, je le note pour le passage dont tu parles. Et pour info (mais c'est précisé dans un autre chapitre) Tobias a 15 ans. Peut-être que je devrais m'arranger pour le glisser plus tôt d'ailleurs ?