— Ahahahahahahah !
— Ben quoi « ahahahahahah » ? Tu pourrais pas dire bonjour comme tout le monde ?
— Ahahahahahahahahahahah !
— T’as bogué ou quoi ? Arrête un peu avec ton « ahahahahahahahah ». Faut pas perdre de temps, y’a du boulot. Et ferme ta bouche, c’est pas poli de rester la bouche ouverte devant une dame. Ni même devant qui que ce soit, je crois. En plus, on peut pas dire que ça t’embellisse de faire ça. Pourtant t’es plutôt pas mal comme garçon. Si j’avais dix ans de moins… bon, Freya, tu t’égares, recentre-toi un peu ma fille : la sorcière blanche est déjà passée. Dépêchons-nous.
Tobias pouvait à peine bouger, encore moins parler. Ça faisait beaucoup d’émotions en peu de temps et il devait digérer tout ce qui venait de survenir dans sa vie en un peu moins de cinq minutes. Il prit sur lui de respirer profondément trois ou quatre fois et fut en mesure de fermer sa bouche. Puis de la réouvrir.
— Mais bordel de merde, qui êtes-vous ?
— C’est pas très élégant ça, Tobias ; il va falloir arrêter les grossièretés. Mais tu as raison, je dois faire les présentations. Assez vite, j’en ai peur, car il nous manque du temps pour aller tailler la bavette dans un salon de thé.
Elle souriait à Tobias, d’un grand sourire franc. Elle faisait de l’humour et manifestement, elle aimait ça.
Il était en face d’une jeune femme qui était certes un peu plus vieille que lui, mais pas autant qu’il l’aurait cru au premier abord. Elle devait avoir tout au plus vingt-cinq ans, c’était presque certain. Habillée d’un jean, d’un tee-shirt blanc et d’une paire de baskets ; des cheveux châtains mi-longs domptés par une queue de cheval, et une très jolie frange qui masquait à peine ses yeux verts.
— Moi c’est Freya, et on va régler cette histoire de kidnapping de ta sœur vite fait bien fait. Tes parents ne vont pas tarder à revenir de leurs courses alors vite, vite, vite !
— Heu vite ?
— Oui, vite. Écoute, j’ai pas le temps de tout t’expliquer, mais en gros : je suis ce qui correspond le plus à une « fée » ou quelque chose comme ça dans ton monde. Et j’ai besoin de toi.
— De moi ?
— Ah ! tu ne sais que poser des questions en fait ?
— Honnêtement, depuis à peu près quoi, dix minutes, je comprends rien à ce qu’il m’arrive. Ma sœur, kidnappée ? Mais par qui, pourquoi ?
— Une sorcière. Son nom est imprononçable dans ta langue. On va simplifier en disant « une sorcière ».
— Ça n’existe pas les sorcières. Pas plus que les fées d’ailleurs. C’est bon pour les livres et les films, ces histoires.
— Tu m’en diras tant. Regarde ça.
Elle disparut. Et réapparut quelques secondes plus tard, juste derrière lui.
— Alors, je n’existe pas ?
Elle souriait d’un sourire en coin cette fois-ci, qui lui donnait un air narquois. Elle se moquait de lui !
Il ne savait pas quoi dire.
— J’ai besoin de toi Tobias, et de ta chatte, Perle. Tous les deux, vous allez devoir partir à la recherche de Capucine.
— Perle ? Mais elle est minuscule ! Et je sais pas comment on fait pour chasser une sorcière. En plus c’est dangereux les sorcières. Ça connaît des sorts et tout le bazar. Si ça existe, et c’est pas encore prouvé.
— Pour ce qui est de Perle, on va régler le problème. Tu vas voir, ça va bien se passer.
Elle le regarda droit dans les yeux pendant quelques secondes et enchaîna.
— Écoute Tobias, j’ai désespérément besoin de toi. Je ne peux pas te forcer à aller rechercher ta sœur, mais quoi ? Tu vas dire à tes parents qu’une fée t’a dit qu’elle a été enlevée par une sorcière ? La police va vous rire au nez, et ne pourra ainsi jamais la retrouver. Même toi tu as du mal à me croire, et c’est bien normal.
Elle avait du mal à tenir en place et tout en faisant les cent pas, se triturait les mains, puis se frottait les oreilles, le nez, le cou. Ses mains se rejoignaient ensuite pour repartir aussitôt à l’assaut d’une nouvelle partie de son corps. Tobias n’avait jamais rencontré quelqu’un qui arrivait à bouger autant tout en parlant.
— Je vais être très honnête avec toi, c’est le meilleur moyen pour que tu me fasses confiance. Je suis une étudiante, mais je ne vais pas à l’école. J’apprends d’une fée qui m’enseigne ce qu’elle sait. Nous apprenons comme ça : en regardant comment font les autres. Je suis spécialisée dans les sortilèges liés aux animaux ; en fait je les soigne, essentiellement. Tu vois, ils sont magiques nos animaux, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas s’en occuper. Et vu qu’ils n’ont pas le même métabolisme que les vôtres, on ne peut pas les soigner avec de simples techniques médicales, ça nécessite des compétences un peu plus pointues. Voilà ce que j’apprends.
Elle hésita un peu avant de reprendre, mais elle voulait que Tobias la croie : il lui fallait être la plus sincère possible, jusqu’à un certain point tout de même.
— Ce qui s’est passé, c’est de ma faute. Cette sorcière avait kidnappé plusieurs enfants, on ne sait pas exactement pourquoi, on a juste quelques hypothèses, rien de concret. Toujours est-il que les plus douées d’entre nous ont réussi à l’attraper il y a quelque temps. Nous l’avons faite prisonnière et nous l’avons gardée dans notre prison, qui n’en est pas vraiment une d’ailleurs. On avait arrangé une cage d’un razohère pour y mettre la sorcière. C’est d’ailleurs la seule prisonnière que nous ayons eue. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas eu à combattre qui que ce soit. Nous l’avions interrogée pour savoir pourquoi elle kidnappait des enfants, mais elle n’a jamais voulu nous répondre, et ça nous inquiète.
— Pourquoi c’est de votre faute ? Vous m’avez dit que c’était de votre faute si Capucine avait été capturée. Et c’est quoi un « razohère » ?
— Oh, oui, je n’en suis pas fière du tout. En fait, tout vient du fait que je suis assez maladroite et étourdie. Je suis sincèrement désolée, Tobias. Vraiment.
En effet, son visage reflétait une tristesse bien visible. Elle devait regretter pas mal de choses pour être dans cet état-là. Elle secoua un peu la tête, comme pour chasser ses pensées, puis elle reprit.
— Alors d’abord un razohère c’est presque la pire bête que nous ayons eu à affronter. Un animal velu, avec des plumes sur les bras, assez moche et équipé de dards et de crocs. Le jour de l’arrivée de la sorcière, je devais le mettre dans une autre partie de notre réserve, pour libérer la place et enfermer cette… je vais rester polie. Le razohère s’est échappé. Ça a été le chaos. Bien entendu, notre prisonnière en a profité pour se faire la malle. Et c’est ma faute… toutes ces années passées à la rechercher réduites à néant par ma faute.
Elle en avait les larmes aux yeux. Tobias ne savait pas trop comment la consoler, d’autant plus qu’il ne connaissait cette personne que depuis grosso modo une trentaine de minutes.
— Honnêtement, je ne sais pas quoi vous dire. Normalement, je devrais vous en vouloir, mais j’ai déjà du mal à accepter que les sorcières et les fées existent, alors pour le reste… Je m’en veux déjà beaucoup de ne pas avoir pu secourir ma sœur.
Tobias avait toujours du mal à comprendre ce qu’il venait de se passer, et encore plus que sa petite sœur avait été enlevée par un être magique malfaisant.
Elle correspond pas vraiment à l’image que j’avais des fées. C’est pas du tout la fée Clochette celle-là !
Ses réflexions furent interrompues par le bruit très appuyé que faisait Freya en se mouchant à plusieurs reprises.
— J’ai besoin de toi, et de Perle aussi. Parce que si je ne retrouve pas Capucine, je serai bannie de mon monde. Je n’aurai plus nulle part où aller. Je ne sais rien faire d’autre que soigner des créatures magiques. Et je ne sais pas vivre non plus sans mes pouvoirs, même si je ne les maitrise pas encore très bien. Je serai loin de ma famille, je perdrais tout ! Tous ceux qui m’aiment et que j’aime. Aide-moi Tobias, s’il te plaît.
Elle joignit ses deux mains comme pour le supplier.
Le cerveau de Tobias fonctionnait à plein régime. Il aimait avant tout le calme et la tranquillité. Il n’avait jamais imaginé qu’un jour il se lancerait dans une telle aventure. Les aventures, c’était dans les livres ou les films, et c’était très bien comme ça. Et puis Perle ? Que pouvait-on demander à une petite chatte comme elle ? Et les dangers auxquels ils allaient être certainement confrontés ? Une sorcière tout de même ! Et c’est pas celle du placard à balais ! Elle devait être sacrément forte pour avoir tenu tête à une bande de fées. Ou alors elles n’étaient pas douées. Mais aucune des deux idées ne le rassurait.
Freya avait raison : il ne pouvait pas en parler à la police, car jamais personne ne pourrait croire à son histoire. Quant à ses propres parents, même réaction, il en était certain. D’ailleurs, il avait beau avoir vu Freya disparaître et réapparaître devant ses yeux, il était loin d’être convaincu : la magie, c’est juste des trucages.
Capucine… il se disputait souvent avec elle, il aurait voulu parfois lui taper dessus tellement elle l’énervait, mais de là à ce qu’elle soit enlevée par une dangereuse créature, il y avait un monde. Jamais il n’avait réellement souhaité ça. Il souhaitait juste que ce cauchemar s’arrête le plus vite possible.
Freya était de plus en plus nerveuse. Elle trépignait, mâchouillait une pointe de ses cheveux et se frottait si fort le nez qu’il en était devenu tout rouge.
— Bon en admettant que tout ça ne soit pas un genre de rêve, pourquoi n’y allez-vous pas vous-même à la recherche de ma sœur puisque vous avez reconnu que tout ce bazar c’est à cause de vous ? Et de la sorcière par la même occasion. Ça nous ferait sacrément gagner du temps. Parce que rien ne me dit que vous ne me menez pas en bateau. J’ai beau n’avoir que quinze ans, je sais me battre.
Il serrait les poings car il sentait la colère le gagner : si c’était elle qui s’en était pris à Capucine ? L’apparition de la fée était bien survenue juste après la disparition de la forme blanche ? Hasard ou coïncidence ?
La nervosité et l’agacement de la fée augmentaient de minute en minute. Elle se déplaçait tout en alternant les disparitions et les réapparitions, ses allers-retours évoquant une course chaotique. Son nez commençait à saigner à force de le frotter.
— Merde, mais c’est pas croyable ça Tobias ! Je te dis que je risque de tout perdre, et toi, tout ce que tu trouves à me dire c’est que tu veux te battre avec moi ? Non, mais tu t’entends ?
Elle parlait si fort que c’était presque des cris qui sortaient de sa bouche. Son discours était coupé toutes les fois qu’elle disparaissait, et elle reprenait là où elle en était restée, persuadée que Tobias pouvait suivre. Elle n’arrivait plus à se contrôler. Tobias remarqua, que pour une fée, ça faisait un peu désordre. La situation était tendue. Il se disait qu’elle allait péter un câble, juste devant lui.
Une fée qui pète un boulon ? Non, c’est sûr, je dois être en plein rêve.
Perle, qui avait détalé lorsque Freya était apparue dans la chambre de Tobias, arriva en trottinant dans sa chambre et se frotta contre ses jambes, en mal de câlins, considérant que son ami humain maitrisait dorénavant la situation.
Il la prit dans ses bras pour la cajoler. Lorsque Freya vit Tobias caressant sa chatte, elle s’arrêta net. Elle s’approcha d’eux, donna quelques caresses à Perle tout en avouant au jeune homme qu’elle la trouvait très belle.
— Tobias, chuchota Freya tout en se calmant, on est dans une impasse. Et ça me soule. Je partirai pas sans avoir trouvé une solution.
Elle avait les yeux qui pétillaient, mais Tobias ne savait pas à quoi c’était dû : elle passait d’une émotion à l’autre aussi vite que Tobias zappait de chaîne de télé. Il devait vraiment lui faire confiance ?
— Mais j’ai une idée. Si je réussis à te prouver que je suis bien un être magique, tu accepteras de me croire et de m’aider ?
— Mouais, ça va dépendre du résultat et il a intérêt à être convaincant.
— Attends-toi à voir quelque chose qui décoiffe. J’ai besoin de Perle, pose-la là s’il te plaît, en lui indiquant un grand espace vide au milieu de la pièce.
— Vous n’allez pas lui faire de mal ?
— Pff, bien sûr que non ! Fais-moi confiance, je suis là pour t’aider. Tu vas voir, tu vas aimer, j’en suis certaine.
Tobias posa la petite chatte à ses pieds. Elle protesta avec un petit miaulement. Elle se trouvait bien dans ses bras et n’avait pas prévu de s’en aller de si tôt. Elle resta devant lui en le dévisageant, dans l’espoir qu’il veuille bien la reprendre.
— T’inquiètes pas Perle, tout va bien. Il observait Freya d’un air suspicieux. Mais il était curieux de connaître la suite des évènements.
— Veux-tu bien t’écarter un peu Tobias ?
Il fit quelques pas en arrière de mauvaise grâce, en ne quittant pas sa chatte des yeux.
Freya fixa l’animal et ferma les siens. Tobias la scrutait attentivement, car il craignait de découvrir de l’hostilité dans ses agissements.
Elle ouvrit vaguement les lèvres et sembla murmurer quelque chose qu’il ne comprit pas, car elle marmonnait plus pour elle que pour le spectateur nerveux qu’il était. Son regard allait de Freya à Perle : il redoutait la suite des évènements. N’avait-elle pas dit qu’elle était maladroite ? Ça ne présageait rien de bon. Il était bien décidé à prendre Perle dans ses bras et quitter la pièce en quatrième vitesse. Il ne fut cependant pas assez rapide : le temps d’un battement de paupière, Perle avait disparu.
Globalement ce début est intrigant, Freya est un personnage intéressant et la sorcière tout autant. Le seul point faible réside en Tobias, qui pour l'instant est très peu attachant je trouve, mais j'imagine que ça changera au fil de l'histoire.
Bonne écriture !
Je confirme que Tobias va traverser pas mal d'épreuves par la suite et ça devrait (j'espère) éveiller l'empathie des lecteurs 🙂.
Perso, je pense que tu pourrais regrouper les chapitres 1 et 2, ça me semblerait plus cohérent, car je ne vois pas de réelle raison à faire une coupure à la fin du premier chapitre.
Cette phrase : « — Ah ben c’est du propre tout ça. Comment tu m’as appelé ? Vas-y répète voir ? » --> J’ai trouvé cette phrase un peu surprenante à dire derrière une porte fermée, puisque c’est le genre de phrase que l’on dit en colère, des éclairs dans les yeux, à foudroyer la personne en face (si tu vois ce que je veux dire !).
Au fait, pour les parties, tu peux simplement mettre « I - » devant le titre de chaque chapitre de la première partie par exemple.
Sinon à part ça, c'est bien écrit et ça se lit vraiment très facilement. La relation frère/sœur est bien décrite.
PS : je viens de lire les commentaires vite fait, et perso, je ne sais pas si tu les as changés depuis ce commentaire que tu avais eu, mais les insultes me paraissent cohérentes (entre frère et sœur lorsque les parents ne sont pas dans les environs je veux dire !).
Je suis moins convaincue par son monologue en pensée, qui me semble presque trop détaillé et peu naturel.
Je ne comprends pas bien où se trouve Tobias quand sa soeur disparaît, mais j'ai peut-être mal compris quelque chose.
Pareil, c'est peut être moi, mais dans "craignant que la situation ne dégénère" j'ai mis un temps à comprendre que c'était Tobias et non Capucine qui pourrait avoir cette crainte.
Pour moi, le niveau d'insulte d'une préado va en effet dépendre de celle ci, et donc les insultes que connait Capucine seront aussi un marqueur de sa personnalité.
Et je trouve que tu maitrise bien ça : nous montrer la personnalité des deux sans utiliser des adjectifs directement liés.
Bref, je m'améliore continuellement et c'est le principal :).
Merci pour tes retours avisés, je vais regarder ça de près. A bientôt !
C’est toujours agréable à lire. La relation frère/sœur est bien décrite. Tobias me semble être un personnage sympathique et protecteur.
La scène de la disparition est bien amenée et bien décrite. La fin parfaite ! On veut juste cliquer pour lire la suite.
Juste une petite chose. Les insultes me paraissent un peu enfantines pour une pré-ado de 11 ans. C’est d’ailleurs l’impression que j’ai pour son comportement en générale, mais je suppose que cela dépend des enfants. C’est un avis tout à fait personnel, mais à la lecture j’ai plutôt l’impression que Capucine a 8 ou 9 ans.
Pour répondre à ta remarque concernant les insultes, je me suis inspiré de ma fille en l'occurence et de ce que j'ai entendu, elle en connaît d'autres, mais elle ne les dit pas ! En tout cas, tu as raison, je vais aller chercher du plus "lourd" pour plus de cohérence avec son âge. Merci !