« Vous en êtes sûre ?
-Sûre.
-Sûre et certaine?
-Sûre et certaine.
-Sûre de sûre de s…
-Sûre, vous dis-je !
-Je maintiens avoir des doutes quant à la pertinence de cette idée.
-C’est en testant que l’on réussit, vous me l’avez toujours rempoté...euh...répété !
-Soit. Il était écrit que je payerai un jour cette éducation trop permissive. Votre mère va me tuer.
-Si c’est le prix à payer.
-…
-Je plaisante ! Allez, trêve de bavardages, passez-moi les gants en cuir et allumez cette fichue lampe , il fait ici plus noir que dans une champignonnière !
Bruit de souffre qui s’embrase, éclairant furtivement les poutres massives de la charpente.
Verre qu’on déplace, la mèche imbibée d’essence de la vieille lampe fêlée ne se fait pas prier pour flamber, éclairant une pièce de belles dimensions.
Les ombres naissant de la vive flammèche donnent vie à tout un biotope de monstres griffus et cornus, dansant sur les murs blanchis à la chaux. Dans un coin des malles poussiéreuses et vides étalent leurs doublures fanées sous l’œil morne d’outils rouillés et la désapprobation d’un mannequin raide et éventré. Une sarabande de journaux racornis entreprennent leur décomposition dans l’indifférence la plus totale lorsque des draps négligemment tendus sur de quelconques vestiges achèvent de mimer quelque infernal sabbat.
Et au milieu de la pièce, parfaitement indifférents à l’étrange cérémonie les enveloppant, deux individus face à face.
Devant eux, une table bancale.
Sur cette table, une nappe mitée.
Sur cette nappe, des couteaux.
Des dizaines de couteaux.
Scalpels, bistouris, couperets, cisailles et pinces scintillant à la lueur orangée de la lampe.
Vêtus de grandes robes brun-noir, les deux bouchers se jaugent par dessus leurs lunettes de protection.
-Encore une fois… commence le plus grand des deux.
-Puisque je vous dis que c’est inévitable ! répond vivement l’autre, agacé. Trêve de bavardage, amenez-moi le patient.
Soupir du plus grand qui se détourne.
Gémissement d’un poids lourd traîné au sol.
Ahanement de l’individu plus tout jeune obligé de porter le fardeaux de ses péchés éducatifs.
Craquement de la table protestant contre la barbarie de l’acte.
La plus petite silhouette affiche désormais un rictus gourmand qui provoque un frissonnement chez son interlocuteur.
Doucement sa main gantée se lève, parcourant lentement, presque amoureusement, les instruments rangés devant elle. La lumière se reflète, vacillante, sur le verre épais protégeant ses yeux.
De la pulpe du pouce elle teste le tranchant d’un scalpel, d’une caresse elle flatte le fil d’un ciseau finement incurvé, d’un souffle elle complimente l’éclat d’une lame.
Soudain elle relève brutalement la tête tandis qu’un éclair argenté déchire l’air épaissi.
C’est la fin.
Les outils restent figés sur leur supports, le mannequin voudrait fermer les yeux avant de souvenir qu’il n’a pas de tête.
Un bruit mou indique la fin de l’intégrité physique du patient et le haut-le-cœur de l’aîné, décidément trop âgé pour de tels spectacles.
Silence pesant rythmé par de faibles gémissements, les plaintes sourdes de la table et les ordres du bourreau :
-Ciseaux.
Cliquettement de métal.
-Etoupe.
Bruit de déchirure.
-Terre.
Terre ? Comment ça terre ?
Le praticien lève enfin la tête de son ouvrage, visage et tablier maculés pour se tourner vers son compagnon, pâle et accroché à la table.
-Voilà, c’est terminé.
-Vous…Vous…
-Oui.
-R..Réussite ?
-Absolue.
-Ooouf…
-Vous doutiez donc de moi ?
- Je..Jamais je n’oserais…
-Comme me mentir je présume. Ne vous justifiez pas, j’ai l’habitude. Bref, si tout se déroule correctement il devrait être en mesure de mordre d’ici un à deux jours.
-Je ne sais pas si ceci est réellement un progrès.
-Personne n’a jamais testé, il faut oser, prendre l’arbre par les racines.
Un blanc.
-Je m’interroge…grimace l’autre.
-Sur ?
-Sur à quel moment j’ai bien pu raté votre éducation.
-Question intéressante qui a le mérite infini d’exister. En attendant auriez-vous l’amabilité de m’aider à retirer cette blouse ? On étouffe là-dessous.
Soupir désabusé. Le vieux maître sait qu’il ne sert à rien de discuter avec cette tête de noix. Patiemment, il dénoue les liens de la blouse qui choix au sol dans un bruit mat. Les lunettes suivent le même chemin ainsi que les gants.
Hoquet de stupeur du mannequin qui parvient à le faire passer pour un chuintement .
Le boucher est pourvu de tâches de rousseurs éparses, de lèvres fines et pincées, d’immenses yeux couleur vert vase et surtout, surtout, d’une longue natte cuivrée, flamboyante à la lueur de la lampe.
Poings posés sur les hanches, elle contemple fièrement son œuvre demeurée sur la table.
-Non décidément, c’était à tenter.
-A voir comment se passera la résilience, bougonna le vénérable, pliant la blouse restée au sol.
- Bien comme d’habitude. Vos bons soins font des miracles.
- « Soins », peut-être, « bons » j’en suis de moins en moins sûr…
-Vous êtes vraiment encourageant ce soir.
-Et vous trop sûre de vous. D’ailleurs, si je ne m’abuse, madame votre mère devrait rentrer d’une minute à l’autre, d’ici à ce qu’elle vous voit dans cet état…
-Coprolithe !
-Langage, mademoiselle, langage…
-Pas le temps.
-J’aurais tenté. Filez donc. Je m’occupe du reste.
Proposition inutile, l’intéressée est déjà partie au pas de course vers la trappe menant aux étages inférieurs, lui laissant le soin d’effacer les preuves de son crime.
Hochement de tête désapprobateur. Si la maîtresse des lieux apprenait jamais les activités nocturnes de sa protégée, il était bon pour le bûcher.
-Tout de même, murmura-t-il à l’attention du patient.Tout de même... Croiser un cactus avec une plante carnivore… J’aurais tout vu.
Et il souffla la lumière.
C'est très mystérieux et cela attise ma curiosité ! Je n'avais jamais lu encore d'histoire mêlant mythologie et steampunk, bien joué !
Ton style est incroyable, le vocabulaire est riche et c'est très rythmé j'adore ! Après avoir lu ce prologue je commence à douter de ma propre version d'Hadès et Perséphone ;)
Je suis énormément touchée par ton retour, d'autant que je n'ai guère le temps de continuer d'écrire en parallèle d'études assez chronophages TT J'espère te revoir par ici ;)
Au plaisir de te lire^^
Le résumé m'a tuée de rire donc j'ai décidé de lire par pure curiosité. J'avais un a priori positif et je ne suis pas du tout déçue. Les deux personnages m'ont beaucoup amusé et un mythe grec en style steampunk ne peut qu'être passionnant. Cette histoire a un immense potentiel, j'ai hâte de lire la suite.
Ecris bien ^^
Au plaisir de te lire!
Très belle plume, d'ailleurs !
Au plaisir de te revoir dans ces drôles de parages :D
Lyra
Alors si en plus on se dirige sur une réécriture de Perséphone là je me délecte d’avance.
Un point : dans les remarques du plus âgé, attention au futur/futur antérieur. Au tout début : « il était écrit que je paierais un jour », et à la fin « j’aurai tenté » et « j’aurai tout vu »
Merci pour ton agréable retour^^
Au plaisir de te lire !
Lyra
J'ai beaucoup apprécié ce début, très dynamique, et le dialogues se répondent vraiment bien ! Ça donne tout de suite le ton, et le caractère des personnages, qui m'ont bien fait rire d'ailleurs ! x) Le mythe revisité s'annonce bien, même très bien, je suis partante à fond !
Je suis du même avis que les commentaires précédents, les "didascalies" sont vraiment top, très théâtral comme set up. Juste peut-être faire attention à ne pas trop utiliser les phrases courtes, c'est très utiles pour insuffler du dynamisme mais peut - être que ça risque de couper la lecture sur le long terme, mais ce n'est rien de bien méchant. A voir comment la suite évolue ;)
Sinon, les descriptions sont super, on sent un vocabulaire assez recherché et spécifique et on visualise bien ce que tu veux nous montrer !
Go lire la suite :)
Déjà, merci pour ton commentaire qui me fait chaud au coeur^^ Je prend bien en note ta remarque sur les phrases courtes tant en vue d'une future amélioration que pour l'écriture de la suite. :) J'espère que tu trouveras du plaisir dans ta lecture !
Plumesquement
Lyra
Non mais ce début j'adore ! J'ai eu peur avec le TW et la suite du texte aide pas xD Avec les dialogues et la chute je me serais crue dans un épisode de Kaamelott xD
Pour la narration et les espèces de didascalies comme dit Melo, je trouve que ça rend super bien. Perso ce genre de narration me plaît beaucoup et on visualise bien les éléments que tu fais apparaître.
Juste une pitite coquille au passage "-C’est en testant que l’on réussit, vous me l’avez toujours rempoter...euh...répéter !" : ce serait "rempoté" et "répété" du coup ;)
Et maintenant la question qui fâche : où est la suiiiite ? <3
Aaaaw merci Miroir, je suis plus qu'heureuse que tu apprécies! <3
Le TW est là au cas où, je préfère prendre beaucoup de précautions XD Puis ça contribue au suspense indirectement ;P OH KAAMELOTT LE MEILLEUR COMPLIMENT QU'ON M'AIT FAIT MERCII T-T
Coquille rectifiée ;)
Et réponse qui fâche: elle est làààà^^
Au plaisir de te lire^^
Je te conseille de mettre un espace entre le tiret de dialogue et ledit dialogue (et d’user de tiret cadratin au passage ^^) .
J’aime beaucoup le dynamisme que tu insuffles à tes dialogues ! Je trouve que ça fait très naturel et on devine sans problème par leur prisme les caractères et les relations de ces personnages.
Par contre je ne comprends pas les phrase suivantes :
« Bruit de souffre qui s’embrase, éclairant furtivement les poutres massives de la charpente.
Verre qu’on déplace, la mèche imbibée d’essence de la vieille lampe fêlée ne se fait »
C’est du théâtre ? Des didascalies ? La narration sonne très étrangement ici. Il faudrait l’écrire différemment.
La suite est bien mieux et les descriptions sont vraiment de très bonnes qualités.
Je trouve que les phrases courtes sont très biens trouvées et donnent de la force aux propos. Attention par contre à ne pas en abuser selon moi. Le risque est de diminuer leur impact et de trop hacher la lecture.
Sinon j’ai bien apprécié ma lecture ! C’est une chouette découverte !
Wow un commentaire si vite je n'étais pas préparée!
Merci pour tes observations je vais tenter d'y répondre de manière claire, ce qui n'est pas gagné XD
Je note déjà l'espacement pour les tirets, c'est un coup du changement de mise en page...ça pardonne pas ^^'
Ensuite ces phrases...Et bien c'est de la narration qui me plaît comme ça. J'avais envie de changer des phrases à rallonges que j'ai tendance à construire, si tu me le fais remarquer c'est que j'ai réussi ;) Je te rassure les prochains chapitres seront autrement plus consistants en terme de descriptions, il s'agissait plus ici de faire un prologue ^^
Merci d'avoir pris le temps de me commenter, je vais peut-être ajouter une petite note aux lecteurs pour ne pas que la narration leur paraisent trop décalée.
Au plaisir de te lire!
Inspi et choco sur toi :-)