I. LAZARE

Notes de l’auteur : Voici le premier chapitre du roman, qui en compte 24

 

I. LAZARE

1.

Lazare n’avait jamais vécu loin de chez lui. Il avait voyagé, oui, des mois et des années, mais toujours en transit, commençant une semaine à un endroit différent de là où il avait terminé la semaine précédente. Toujours, il avait fini par rentrer. Des amours passagères l’avaient retenu parfois un mois, jamais plus. Il rentrait, mais, et c’était là sans doute le trait principal de son caractère, il ne ressentait jamais cela comme un échec. Il se voulait écrivain, s’imaginait découvrir sur d’autres planètes le grand roman qu’il portait en lui, expliquait ses voyages par cette quête, mais il lui manquait le courage d’oser lier ses tentatives avortées à ses éternels retours. Étrangement, il fallut qu’un inconnu lui mette le nez dans ses contradictions pour qu’il ressentît un grand état d’abattement. Ton grand roman, va le chercher au bout de la galaxie, tu ne le trouveras pas chez toi. Il l’énervait, avec son sourire béat, son pendentif de baba cool, son air de petit con qui veut aider les autres parce que la vie, finalement, c’est aussi simple que ça. Il cherchait des insultes, se rappelait de mots entendus lors de discussions sur le libéralisme, la fausse promesse du libre arbitre, l’impérialisme, la prédestination. Ils lièrent conversation et il y prit un grand plaisir. Le ton était volubile, charmant, presque crâneur. Lazare avait toujours eu un attrait pour les mystiques, et ce gamin avait une lueur dans les yeux. Un illuminé, c’était déjà beaucoup plus facile à aimer qu’un politique, et l’idée commença à germer. Plus que le voyage, c’était peut-être finalement ce voyageur qui allait lui fournir son grand roman. Une histoire commence par ses personnages, et il en tenait un sous la main, il s’agissait maintenant de ne plus le lâcher. Parce qu’il parlait de partir pour Draconis, sans ironie, Draconis, rien de moins, et finalement, pensait Lazare, rien de mieux pour se débloquer que Draconis, la planète du bout de la galaxie, tout à la fois le dernier bastion et le pinacle du romantisme spatial. C’était parfait. Lazare échafaudait presque les premiers chapitres sans écouter les détails du plan. Il était devenu maître en premiers chapitres et avait toute une théorie sur l’importance capitale de bien ouvrir un roman. Disons qu’un lecteur sur deux ne finira pas le roman, à quoi bon dans ce cas fignoler la fin ? Et celui qui le finira, déjà conquis par le début, sera plus magnanime pour un final vite expédié. Son maître en matière d’ouvertures était Tsilevnev. Celui-ci avait gagné ses faveurs dès l’adolescence, et il racontait plus souvent qu’une autre l’anecdote de sa première lecture de Le Silence sous la pluie, ce roman qu’il avait décidé d’ériger comme son favori dès la première page. Tu peux embarquer avec moi, Lazare. Lui avait-il dit son nom ? Il ne s’en souvenait plus, et se demandait déjà comment lui redemander le sien, qui lui avait échappé. Va pour Draconis.

 

2.

Ils n’étaient que deux à bord, et c’est encore heureux que Lazare eût déjà roulé un peu sa bosse. L’autre semblait presque venir d’une autre planète, pas seulement du fait de son ignorance, mais plus encore de l’absence complète de gêne qu’il ressentait d’être ignorant. Il avait accepté d’emblée la supériorité de Lazare dans le domaine du pilotage spatial, et c’était là sans doute le signe d’un étranger. Cependant, il agissait pour tout le reste comme un homme mûr, expérimenté et sûr de lui, tout en exhibant avec flegme une jeunesse presque révoltante (on ne lui aurait pas donné vingt-cinq ans), signe irréfutable de son origine terrienne. Lazare avait eu le temps de dégriser un peu, et aurait pu se demander ce qu’il faisait là, seul avec cet inconnu, encore sur la brèche, encore un départ, et encore des chimères. Comme toujours, à l’optimisme aurait pu succéder une dépression sourde. S’il partait, n’était-ce pas qu’une fuite de plus, n’y aurait-il pas au bout qu’un autre retour, et le grand roman ne resterait-il pas une fois de plus dans les tiroirs de son esprit ? En vérité, Lazare ne nourrissait guère plus d’espoir de ce côté-là. Il n’en faisait pas un drame et souhaitait désormais profiter des joies du voyage. La première chose qu’il aimait, quand il voyageait, c’était le voyage en lui-même, le temps de transport, l’attente, la sensation de se déplacer dans l’espace. C’était l’une des raisons de son mode de vie. Il ne cherchait à s’installer nulle part, n’aimant finalement qu’être en mouvement, entre deux. Cette passion prenait le pas sur toutes les autres, et par chance c’est exactement ce que recherchait son nouveau compagnon. Il continuait à discuter à bâtons rompus, semblant n’avoir jamais épuisé sa verve, semblant à vrai dire parler seul depuis leur rencontre comme pour assommer Lazare, ou plutôt comme pour le bercer, l’envoûter. Il n’avait pas menti, il avait bel et bien invité Lazare à embarquer sur son vaisseau, à l’œil, et partait comme promis en direction de Draconis. Un frisson d’un genre nouveau l’avait traversé. Jamais il n’était parti pour un aussi long voyage, jamais il n’était parti accompagné d’un tel compagnon, et, s’il était franc avec lui-même, jamais la probabilité de revenir n’avait été aussi mince. Pourtant, il ne remit jamais en question son choix. Il avait décidé de faire confiance à cet illuminé exactement comme il avait décidé d’aimer Le Silence sous la pluie dès les premières phrases, et ce n’est pas un deuxième chapitre un peu plus mou qui allait tout remettre en question. Il ne le suivait plus pour écrire son roman, au diable ces idées de jeunesse, mais il le suivait tout de même. Il faut bien faire quelque chose, dans cette vie, et il faut savoir reconnaître ce quelque chose quand il se présente. Lazare parlait peu, écoutait peu, mais ressentait déjà de l’amitié pour ce compagnon sans nom. Il irait avec lui tant qu’il en aurait la fantaisie. Jusqu’à Draconis, après tout, pourquoi pas ?

 

3.

Lazare était donc parti, et Pauline ne l’apprit que quelques jours après. Il n’en était pas à son coup d’essai, sans doute, mais elle n’arrivait pas à s’y faire. Pauline pensait encore, et même plus que jamais, que son protégé avait les qualités pour devenir un excellent Sime. Son penchant nostalgique était selon elle un avantage certain. Bien qu’un peu introverti, il n’avait pas de mal à exprimer son empathie envers de parfaits inconnus. Enfin, s’était-elle déjà suffisamment tuée à le répéter à sa supérieure, il n’y avait aucun risque qu’il s’attache au lieu où il serait déployé, ce qui demeurait la cause principale des échecs et demi-échecs. Je vais y réfléchir, je prends ton opinion très au sérieux. Pauline savait que le processus de sélection était tortueux, opaque. Parfois, un nom suggéré pouvait être appointé dans la semaine, d’autres candidats en apparence idéaux restaient pour toujours chez eux. Cela ne l’empêchait pas de ressentir une démangeaison presque physique, que seule la bière pouvait apaiser. De toute façon, maintenant qu’il est parti, la question ne se pose plus. Il y avait d’autres options, prometteuses aussi, et finalement cela valait-il la peine de se mettre dans des états pareils ? Tout le Programme Sime était une idée déjà vieille et obsolète avant sa naissance, qui n’apportait que de maigres résultats malgré de très nombreuses ressources. Lazare ne s’en tirait pas si mal de rester loin de la machine programmatique, et Pauline se mit à l’envier avec une certaine fureur. Elle aussi aurait pu vouloir partir sans rien dire à personne. Mais elle n’avait, au fond, plus aucun désir de découvrir l’univers. Elle avait déjà vécu loin de chez elle, et vite compris que ce n’était pas dans son tempérament. Elle avait une bonne vie, ici, un travail frustrant, certes, mais elle s’estimait heureuse, en bord de mer, en bonne santé, entourée d’amis. Sa vie intellectuelle était intense, sa vie créative la surprenait régulièrement, toujours positivement. Pourtant l’idée de Lazare parti sans rien dire la mettait en rage. Comment, à notre époque, pouvait-on encore vivre de la sorte ?

 

4.

Par un fait exprès, Pauline connaissait le nouvel ami de Lazare. Elle connaissait son nom, et tout un tas d’autres choses sur sa vie, ses accointances et même sa personnalité qui auraient bien aidé Lazare si seulement il avait pris la peine de demander de l’aide, ou même un simple conseil, ou à vrai dire s’il avait seulement pris la peine de parler avec elle. Elle était loin de s’imaginer ces deux individus voguant ensemble vers Draconis, et pourtant, bien entendu, elle connaissait aussi Draconis, de réputation. Dans sa vision des choses, Pauline rangeait ces trois éléments, Lazare, son compagnon secret, Draconis, dans trois catégories pour ainsi dire imperméables. Elle aurait pu aisément imaginer des situations qui les faisaient se rencontrer si on lui avait demandé de le faire, c’était son métier de faire ce genre de connexions, mais d’elle-même, l’idée ne s’était pas présentée. Cela aurait-il atténué sa rage, de savoir ? Sans doute l’inquiétude aurait pris le pas sur la colère. Non pas qu’elle se serait inquiétée pour Lazare lui-même, après tout il est responsable de ses actions et de ses choix, mais c’est en quelque sorte toutes ses capacités de jugement qui auraient été à revoir. Elle avait une idée bien arrêtée de la valeur de cet individu, et l’image de Lazare s’en serait trouvée dégradée. Mais pour l’heure, il conservait tout son lustre dans l’esprit de Pauline, qui ne pouvait s’empêcher d’espérer que son protégé, enfin, aille dans son sens, fût-ce à son insu. Se pouvait-il qu’il soit parti dans la direction d’Emiw ? Après tout, on avait déjà entendu parler de Sime a posteriori, de triomphes involontaires, et dans les heures de dépit, Pauline essayait de se répéter que Lazare était de ce bois-là. Elle buvait, ce soir-là, et contemplait le fleuve. Elle n’avait pas que Lazare en tête, loin de là. Les oiseaux qui planaient, le marché et les odeurs de friture, une pluie fine qui commençait. On était mercredi, elle voulait danser. Sa fureur s’était levée avec le vent, et Lazare était parti de son esprit comme il était parti pour Draconis, sans crier gare.

 

5.

Fidèle à son esprit d’escalier, Lazare attendit également quelques jours pour se rendre compte qu’il n’avait prévenu personne de son nouveau voyage. Il n’aimait pas les adieux déchirants, surtout quand il avait l’habitude de revenir quelques mois après, et il n’aurait su que dire, ni à qui. Pauline, sans doute, l’aurait dissuadé de partir, et Louise aurait peut-être apprécié son nouvel ami, succombé à cette idée ou à ce mot de Draconis, demandé à venir avec eux. Qui sait ce qu’aurait répondu le capitaine du vaisseau ? À vrai dire, il ne semblait pas avoir appris à dire non. Il faut se méfier des gens toujours heureux, ils cachent quelque chose. Même dans l’âge d’or que vivait l’espèce, tout un chacun savait que la vie était dure, que c’est ce qui faisait sa beauté, que le bonheur sans contrepartie n’était pas bonheur du tout. Dire oui à tout, sourire à tout bout de champ, partir vers Draconis sans savoir piloter un vaisseau, inviter un inconnu rencontré dans un bar, le tout sans même se présenter, quelque chose ne tournait pas rond. Mais malgré cette peur rationnelle, Lazare se sentait bien. Ce n’était pas la façon la plus traditionnelle de se faire un ami, mais c’était peut-être la bonne, car il se sentait déjà plus à l’aise en sa compagnie qu’avec les Théodore et autres Arthur. À part leur nom et leur scepticisme de bon aloi, ils n’offraient rien de mieux que celui que Lazare appelait, faute de mieux, son capitaine. Quoi, alors ? Suivre son éducation, craindre cette forme primitive d’appréhender la vie comme un cadeau sans fin ? Ou, pour une fois, s’ouvrir à l’expérience, accepter une amitié naissante ? Lazare appréciait passer du temps avec le capitaine, se rendait compte en creux à quel point il était seul, sur Terre, n’avait personne avec qui passer du temps malgré ses quelques prétendus amis. Il ne se passait pour ainsi dire rien, à bord, mais Lazare était heurux. Le capitaine ne parlait que de l’immensité de la galaxie et de la multitude de l’être humain, regardait les étoiles, semblait découvrir Lazare avec une joie naïve. Il lui posait sans relâche des questions sur ses pensées les plus personnelles. Lazare n’osait pas l’interroger de façon trop directe en retour. Il se rendait compte qu’outre son nom, il ne savait pas non plus son âge, ni ses réelles ambitions, rien de son passé et, tout pesé, rien du tout. Pourtant, il l’appelait déjà son ami, par une sorte de coup de foudre amical, une attirance inexpliquée qu’il espérait réciproque. Souvent, il le déconcertait par son assurance, et la même rengaine recommençait dans son esprit. Il se promit de bientôt le faire asseoir autour d’une table et lui demander directement de parler de lui, et de tout lui dire, jusqu’à son nom.

 

6.

Il avait lu tous les classiques, pour ne pas dire tous les livres des siècles passés. Lazare avait de nouveau abandonné provisoirement son grand projet de roman, avec l’assurance vieille et rassurante qu’il le reprendrait un jour. Malgré lui, sa conversation revenait toujours sur la littérature, et donc par ricochets sur lui-même. Il se promettait de faire rouler la discussion sur la vie privée de son interlocuteur, mais finissait par lui raconter les romans des Strougatski ou les nouvelles de Grichkov. Lazare était particulièrement fier de sa culture littéraire, et se sentait aux anges de pouvoir converser avec un égal, fier de pouvoir déverser son savoir dans un puits pareillement plein, stimulé de pouvoir échanger des avis d’expert sur des œuvres dont le commun de ses amis n’imaginait même pas l’existence. Le capitaine avait de si bons avis, quel dommage qu’il n’ait pas plus d’appétence pour la littérature contemporaine. Il s’en voulait de n’avoir apporté avec lui que quelques vieilleries, espérait secrètement acheter les œuvres modernes les plus excitantes à la première escale pour alimenter le débat. Il ne voyait déjà plus son compagnon comme un autre, mais comme une possible extension de lui-même, qui sait, peut-être meilleure. Il était pris d’un désir de le façonner tel qu’il n’osait plus essayer d’être lui-même, et plus les jours passaient, plus la tâche devenait pour lui une mission. Et si c’était lui qui l’écrivait, ce grand roman ? Celui qu’il avait pris au début pour un illuminé, qui sait un gourou à suivre jusqu’au bout de sa folie, il ne le voyait plus désormais que comme une sorte de cire à modeler. Qui a besoin de connaître la vie d’une statue de cire ? Au contraire ! Lentement, Lazare comprit que les choses s’étaient peu à peu retournées depuis leur première rencontre – de capitaine à ami, désormais même marionnette, l’autre n’avait fait que perdre son ascendant, Lazare avait grignoté son chemin vers une position de dominant. L’idée concrète de Draconis s’était évaporée dans le quotidien et la lente progression du vaisseau, mais les relations humaines allaient beaucoup plus vite. Lazare ne pensait plus qu’à ça. Il y a là, rien que là, de quoi charpenter un solide roman, peut-être pas la gloire immortelle, mais une première marche honorable, qui ne ferait tache dans aucune biographie. Et si, après tout, c’était bien lui qui l’écrivait son grand roman ? Ainsi, sans cesse, il pensait une chose et son contraire, échafaudait de nouveaux plans mirobolants immédiatement après en avoir esquissées des fantasmagoriques. Il s’abandonnait à ses rêveries, il en arriverait à nommer cet individu, cette créature qui lui serait alors redevable de son identité. Cette idée grisait Lazare, il essaya secrètement quelques combinaisons, se décida assez vite pour un prénom composé, sans certitude. Mais bientôt ils furent trois à bord, et il fallut remiser à plus tard ses ambitions.

 

7.

Comment tu t’appelles ? Immédiatement, Lazare lui déplut. Elle le dit tout de go, mais fut quand même conviée à bord. Le capitaine était venu droit à elle et avait semblé la connaître. Oriane aimait les types dans son genre, qui ne tournent pas une heure autour du pot, qui s’expriment en hommes d’action. Il parla d’une fortune à se faire sur Draconis. La route serait périlleuse, certes, mais cela signifiait aussi des opportunités de se remplir les poches en chemin. Oriane aurait dû se sentir insultée par cet argument bassement pécuniaire, mais elle resterait au contraire longtemps impressionnée, le mot est fort mais c’est le seul qu’elle avait, par l’absence de préjugés du capitaine. Elle savait que de là où ils venaient, ces deux-là, la cupidité n’était qu’un bas instinct, une chose du passé, mais jamais elle ne sentit de la condescendance, ni même de la tromperie dans l’argumentaire qu’on lui présentait. L’argent n’était pas employé comme un appât pour un être primitif, mais comme une promesse pour une collaboratrice, voire une amie. Il y aura bientôt d’autres compagnons, choisis selon leur esprit d’aventure, car seuls monteront sur mon navire des êtres qui veulent vivre leur vie. C’est la seule qualité qui vaille. Il avait pris Lazare par l’épaule, et ce contact physique fut suffisant pour dessoûler Oriane, qui aurait souhaité être plus lucide face aux mots de ce gamin. Elle savait bien qu’il ne fallait pas juger les Terriens sur leur apparence, mais ces deux-là avaient l’air plus jeunes qu’elle, et elle se sentait malheureusement déjà bien trop jeune pour ce genre de responsabilités. Elle méprisait surtout l’accompagnateur, ce lambin qui suivait cet homme pour une cause abstraite, et qui de plus semblait en ressentir de la fierté. Le genre de type qui s’invente une vie en permanence et se raconte des scénarios à longueur de temps. Oriane décida de montrer les dents. Les belles paroles de ce genre, tu les gardes pour ton pote à l’avenir. Et elle se mit à raconter la vie, ici, sur Petruss. L’échec répété des missions d’aide humanitaire. Le développement du commerce, l’enrichissement des élites, l’exploitation des travailleurs, la solitude des individus écrasés et isolés par une société inique. Le système corrompu depuis les plus hautes sphères dirigeantes jusqu’au plus modeste adjoint préfectoral. L’air de la planète. La faune, qui attirait les touristes. La coexistence de plusieurs états. Les maladies. La guerre. Alors, tu comprends, vivre sa vie, ce que j’en ai à frotter. Oriane ne pouvait s’empêcher de pousser le curseur le plus loin possible quand elle pensait débattre avec son interlocuteur. Mais elle portait aussi une extrême attention à ne jamais être vulgaire. Elle était joueuse et donna le change pendant un bon moment. Mais sa décision avait été prise il y a déjà longtemps, quelque part entre le mot fortune et le mot périlleuse, avec les syllabes qui forment le mot Draconis. Elle savait que son nouveau capitaine l’avait démasquée, sûrement à l’instant même où il avait posé les yeux sur elle. Ils dansèrent pourtant un moment, sous les yeux de Lazare, l’un hésitant quand accepter, l’autre hésitant à trop insister. Ils étaient déjà engagés à la vie à la mort.

 

8.

Le capitaine n’avait eu aucune envie de visiter Petruss. Ils avaient débarqué, rencontré Oriane dans le premier bar du spatiodrome, et ils étaient repartis, comme des fugitifs. Lazare essayait de donner le change, mais de toute évidence il était déçu de ne pas avoir pu jeter un œil sur un jaguar ou sur un condor. Ils s’évitaient poliment avec Oriane, le capitaine faisant état de tampon entre les deux. Ce type était fascinant, Oriane avait encore peur qu’il ne soit que du vent, mais il dégageait un charisme déroutant. Pourtant assez petit, les yeux espiègles, la tenue décontractée, on aurait dit un gamin, il avait peut-être vingt ans, mais ne pouvait certainement pas en avoir trente. Ses ambitions aussi étaient celles d’un gosse rêveur qui veut conquérir une étoile lointaine, vivre dans un roman, tout partager avec ses amis. Il avait l’air certain que tout se déroulerait au mieux, il prononçait le mot « périlleux » dans un sourire moqueur de trompe-la-mort du dimanche. Et pourtant, soudainement, on entendait dans sa voix, dans ses phrases, une maturité à donner le vertige, une vision de la vie qu’on ne pouvait atteindre avant d’avoir vécu une bonne centaine d’années. Oriane était mal à l’aise face à cette ambivalence du capitaine, cherchait un moyen de trancher dans le vif. Ce n’était pas Lazare qui allait lui remettre les idées en place, détaché qu’il était du réel. Alors Oriane fit ce qu’elle avait à faire. Elle imposa une réunion informelle dès son premier soir à bord. Quel était le vrai plan, premièrement ? Pourquoi l’avait-il choisi, elle, Oriane, deuxièmement ? Et surtout, arrête un peu tes grands airs, et parle nous de toi, troisièmement. Le capitaine se borna à sourire, à regarder Lazare avec une étincelle qu’Oriane intepréta comme une résignation. Il ne répondit pas directement, bien sûr. Il parla de Draconis, bien sûr, il savait que ce seul mot la subjuguait, et elle remarqua qu’il avait le même effet sur le pilote. Il parla de Draconis, donc, et dit avoir une carte.

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lol h
Posté le 07/08/2025
Ce chapitre m'a happé ! On plonge dans l'esprit de Lazare, écrivain en quête de sens, fuyant une vie insatisfaisante. Le Capitaine et Oriane, personnages intrigants, ajoutent des dynamiques fascinantes. Un récit introspectif et prometteur qui mélange habilement l'humain et le SF.
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