I. Le Grand Bal

Par Orfea

Le Grand Palais des Dieux, origine de toutes les fantaisies, secrets et ébats d’une nuit. Un lieu sacré, au bout de toutes les lèvres, au creux de toutes les oreilles. Cette soirée bénie par Nyx en personne pouvait déjà être décisive. Tous le savaient, moi y compris.

L’immense demeure organisait un magnifique bal, un bal où les faes de familles nobles des quatre coins du monde se réunissaient, dans l’unique but de charmer les grands magistraux. Ces individus constamment masqués représentaient l’autorité la plus proche de sa Majesté. Elles étaient sans merci. Sans merci au point qu’un retard, un talon d’Achille, ou être surpris en train de comploter contre son voisin coûterait très cher. Dur dur pour certains de ne rien manigancer…Je n’étais que bien trop consciente de mon sort, et de celui des autres. Ce soir, le ou la fae qui serait couronné et assis sur le trône sacré se trouvait parmi nous.

La diligence s’arrêta avec les chevaux.

Pendant que je descendais, j’en aperçus plusieurs, rangées devant et derrière moi. Toutes portaient une insigne bien particulière contre leurs portes : elles indiquaient toutes notre Cour. Car oui, en plus de ne pas venir du même endroit, nos Cours en disaient beaucoup sur nos valeurs, ainsi que sur la divinité à laquelle nous étions fidèles.

Non loin, plusieurs hommes à la peau céruléenne riaient ensemble, leur parfum de brise marine et d’écume ne laissait aucun doute : ils représentaient la Cour de Poséidon. Connue pour rassembler des aristocrates assoiffés de vengeance et de pouvoir, elle était souvent évitée par les miens. Certes, nous savions très bien qu’il fallait éviter de se reposer sur nos aprioris, mais il n’y avait jamais de fumée sans feu, surtout en ce moment, en pleine élection du futur souverain.

Leurs commérages salés ne m’intéressaient pas assez pour que je tende davantage l’oreille. Je préférais tourner la tête ailleurs : une silhouette familière s'approchait de moi.

D’un pas assuré, je foulais le sol de mes talons d’argent tout en tenant les pans de ma robe anthracite pour venir à sa rencontre. Pendant que le gravier s’enfonçait sous ma cheville,  la jeune femme que j’avais repérée s’avança vers moi, bras ouverts.

- Noctya ! S’écria-t-elle en arborant un large sourire.

Il s’agissait de ma plus tendre amie, Iro. Ce soir, elle n’avait pas opté pour une robe, comme moi, mais plutôt pour un costume noble. Son jabot parfaitement serré donnait sur son cou de cygne, et descendait sur sa poitrine ferme et discrète. Je ne pouvais parfaitement voir sa chemise crème, puisqu’une magnifique redingote fumée et nocturne accompagnait sa silhouette gracile. Ses cheveux coupés à la garçonne virevoltaient paisiblement, d’un blanc pur et immaculé.

Les marques en forme de lune au niveau de son front s’illuminèrent joyeusement tandis que ses oreilles fines et pointues, elles, se redressèrent. Elles attendaient ma réaction. Iro surenchérit, grande bavarde qu'elle était.

- Tu penses qu’Artémis me voit d’où je suis ?

- Tu vas en faire des jaloux. Ils n’ont qu’à bien se tenir devant la graaande chasserresse !

Des éclats de rire nous gagnèrent. Elle faisait facilement une tête de plus que moi, et s’en vantait. Cette battante n’avait pas peur de se mesurer aux hommes : ce qui lui importait était la reconnaissance de sa déesse, et de sa Cour.

D’un mouvement de léger de la tête, je l’invitai à se présenter à mes côtés aux grandes portes, où tout une foule se hâtait. Deux prêtresses vêtues de simples péplos en lin nous accueillirent avec une révérence, que nous rendîmes. Leurs ailes de libellules se plièrent dans leur dos pour épouser leurs lignes douces et leur peau vert d’eau. Elles n’avaient nul besoin chercher notre nom sur une liste puisqu’elles ressentaient notre aura et la divinité qui nous accompagnaient. L’une des prêtresses posa les yeux sur nous.

- Fille d’Athéna, fille d’Artémis, soyez les bienvenues. Que les Dieux vous gardent.

Comparées à nos étoffes nobles aux broderies raffinées, ces femmes se devaient de porter l’accoutrement le plus modeste qu’il soit, afin de renvoyer une image pieuse du Grand Palais.

Lorsque nous y entrâmes, un souffle frais s’engouffra dans nos poumons. La salle de bal était splendide.

Moulures, dorures et fleurons s’élevaient jusqu’à perte de vue, l’immense pièce était une œuvre d’art en elle-même. Ses lustres d’argent et de cristaux purs projetaient des lueurs subtiles et douces sur les sols cirés et les invités. Au chœur, lorsqu’on se perdait sur le plafond peint avec minutie, le panthéon des dieux nous observait, couché dans un univers constellé, onirique. Pas une seule écaille de peinture vieillie par le temps. C'était comme si, en ces murs, l’immortalité ne nous quittait jamais.

Nous, faes, avions l’habitude de la magie et des artifices bons à tromper nos pupilles, mais je devais avouer que ce soir, je me sentais capable d’admirer le Grand Palais jusqu’à ce que les centaines de chandeliers autour de nous éteignent leur flamme.

Le bras d’Iro qui serpenta contre le mien réussit à m’extirper de mes pensées. L’adoratrice d’Artémis souffla discrètement :

- Regarde qui voilà.

Thyrsée.

Parmi la myriade de convives, sa voix aux notes chaudes et sa peau d’ambre écrasaient tout concurrent. Ses oreilles duveteuses de cerf en faisaient jaser plus d’une. Cet homme proche des hauts enchaînait conquêtes sur conquêtes : éphèbes comme nymphes, sa soif de plaisirs charnels lui attirait les louanges de sa Cour, celle de Dionysos surtout. Cependant, il récoltait les foudres des autres cercles. Pas sûr qu’il puisse obtenir les faveurs des magistrats…

Le regard appuyé et empreint de dédain d’Iro accapara son attention. Thyrsée perça la bulle de nobles qui cherchaient à discuter avec lui avec une insolence sans nom. Son pas caressant imita un grand fauve, prêt à bondir et à refermer sa mâchoire féroce sur le cou de sa nouvelle proie.

Le visage de mon amie se crispa et me confirma son aversion. Hors de question qu’on se laisse avoir par ce beau parleur. Alors que j’esquissais un mouvement de retrait, une effluve étouffante de roses et d’épines fit barrage au grand séducteur. Iro en profita pour filer comme une flèche à mes côtés, bien que je ne pus m’empêcher de regarder par dessus mon épaule. La curiosité me brûlait, il fallait que je sache ce qu’allait devenir le fae de Dionysos, arrêté comme un misérable dans sa course.

Qui s’opposait à lui ?

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Drak
Posté le 05/05/2023
(Je précise que ce qui suit a été écrit en prise ne note au fur et à mesure de mon avancement, selon mes réflexions et mes ressentis, à chaud)
On est très vite plongé dans l’ambiance et on comprend aisément ce qu’il se passe, avec des informations agréablement disséminées
J’aime ces descriptions bien visuelles
Une fin de chapitre intrigante, bien, bien, bien !
Flowrale
Posté le 04/05/2023
Hey !
Le contexte m'intrigue, je pense qu'il y a un univers qui peut être intéressant.
Pour le moment, ce premier chapitre ne me permet pas d'entrer dedans. Il est, à mon goût, trop descriptif. On n'a rien appris des personnages à part leur apparence. Cela manque un peu d'enjeux et d'émotion par rapport à ce grand événement : qui sera couronné ?
Arod29
Posté le 25/04/2023
Un excellent premier chapitre!
Tes descriptions sont très réussies.
Ton style est limpide et agréable.
Et il parvient à l'essentiel, nous donner envie de lire la suite!

Petite coquille

"nul besoin chercher notre nom", manque un petit "de" ;-)
Vous lisez