— Ahahahahahahah !
— Ce qu’il y a de bien avec toi, c’est que tu es assez prévisible en fin de compte. Et que ton vocabulaire est facile à comprendre.
Tobias était terrorisé : une gigantesque panthère trônait au beau milieu de sa chambre ! Son pelage était noir, excepté l’extrémité de son museau, qui était blanc. L’exact inverse de Perle !
Il détala en hurlant.
Freya se matérialisa devant lui et l’arrêta en lui saisissant le bras.
— Non Tobias, reste là, c’est Perle que tu vois.
— Mais oui Tobias, c’est moi Perle !
Il blêmit. Il dut s’asseoir par terre, sa tête tournait et il sentait le sang lui cogner violemment contre les tempes. Ça faisait un peu trop d’émotions pour lui. Trop d’un coup.
Il lui fallut quelques instants pour reprendre ses esprits. Il ressentait les deux chocs successifs d’avoir vu sa petite minette chérie transformée en une gigantesque panthère noire et celui d’avoir constaté qu’elle parlait !
— Non, mais c’est dingue cette histoire. Je dois rêver, c’est pas possible autrement. C’est pas possible, je vais me réveiller. Allez, je vais me réveiller et tout ira bien. C’est ça Tobias, tu rêves et tu vas te réveiller très très vite. Allez, Tobias, réveille-toi ! Et il se pinça le dos d’une main. Aïe !
— Tu vois, tu es parfaitement bien réveillé ! Mais remarque, moi aussi j’aurais bien voulu que tout ne soit qu’un très mauvais rêve. Disons même un cauchemar. Juste ça. Mais pas de bol, c’est pas le cas. Alors tu vas me faire le plaisir de te ressaisir, de t’accrocher bien fort à tes oreilles et de discuter avec ta nouvelle amie, Sanirva !
— Qui ça ? M’accrocher à quoi ?
Freya lui répéta le nom en détachant chaque syllabe.
— Sa.nir.va. C’est pas compliqué pourtant. Le vocabulaire, c’est vraiment pas ton ami.
— Mais c’est qui Sanirva ? Merde, je comprends rien !
— C’est la panthère Sanirva, qui veux-tu que ce soit ! C’était Perle, et maintenant c’est Sanirva. Et, entre nous soit dit, elle est plutôt pas mal non ?
Elle lui fit un clin d’œil car elle paraissait très fière de sa transformation, peut-être même un peu rassurée : l’énorme félidé possédait tous ses membres et a priori, toute sa tête. Quoique cet exemplaire dépassait de loin la carrure d’une panthère commune.
Hum, j’ai peut-être un peu forcé la dose. En même temps, j’ai rien déglingué. Dans l’ensemble, c’est plutôt positif. Son front se libéra de quelques plis disgracieux.
— Je travaille tout le temps avec des animaux, je commence à bien les connaître. J’en étudie aussi de plus traditionnels, comme ceux qui vivent avec vous. J’arrive à maîtriser des transformations plutôt sympathiques, comme celle-ci. Bon, c’était un gros morceau et j’ai bien réussi !
— Quoi ? Tu sous-entends qu’il y avait un risque ?
— Heu, mais non, mais non, ne t’inquiète pas. Elle déglutit bruyamment. Certes, je ne suis pas la plus douée de ma génération, ok, mais je me débrouille. Ma fée mentor m’a enseigné pas mal de choses bien compliquées et j’arrive à suivre, la plupart du temps. Bon, revenons à ce qui nous occupe : Sanirva. Elle va très bien d’ailleurs, pas vrai ?
— Mais oui Freya, je me sens en pleine forme !
Tobias n’était toujours pas très rassuré. Il avança tout doucement vers l‘imposante panthère. Elle se révélait beaucoup plus grande que Tobias, son cou devait à peu près se trouver à la même hauteur que la tête de son père, et personne ne le considérait comme petit.
Une fois près d’elle, il remarqua également que sa robe n’était pas d’un noir profond, mais marron avec des taches plus foncées, à la manière d’un léopard.
— Perle ? Il lui parlait très doucement, plus pour se rassurer lui que pour ne pas effrayer l’animal.
— Pas tout à fait Tobias, plus vraiment. Je suis Sanirva comme l’a dit Freya. C’est complètement merveilleux de pouvoir parler ! J’adore ! J’adore ce corps aussi. Je m’adore ! Wouahou, merci Freya !
— De rien Sanirva. Tout le plaisir est pour moi, répondit-elle avec un grand sourire. Elle ne se frottait plus du tout le nez, même si elle faisait toujours des allers-retours entre Sanirva, Tobias et la fenêtre de sa chambre pour surveiller Dieu sait quoi. Au moins, elle n’allait plus à cent à l’heure : ça le reposait.
La panthère s’étira de tout son long puis lécha délicatement la joue de Tobias.
— Hé ! Dis, t’as une sacrée langue. Et elle est toujours aussi râpeuse !
Il se détendit un peu tout en se disant qu’un animal ne pouvait pas être trop dangereux s’il vous léchait la joue. Certes, Sanirva était sacrément différente de Perle, mais pourquoi pas ? Il avait vu trop de choses incroyables en à peine une heure pour rester tout à fait sceptique. Néanmoins, un reste de raison et de méfiance luttaient pour ne pas céder à la tentation de croire Freya. Il sortit alors son téléphone de sa poche et prit cette gigantesque panthère en photo, pour faire échec à son scepticisme.
— C’est bien beau les câlins, mais on a tous du boulot. Êtes-vous tous les deux d’accords pour m’aider ? Maintenant que Sanirva est un peu humaine, elle peut se prononcer et donner son avis. Les plis sur son front revinrent et elle se tordit les doigts d’une étrange façon.
— Mon avis sur quoi ? J’avoue que je suis un peu surprise de ce qui m’arrive et je ne sais pas comment le prendre, bien ou mal. Et c’est d’autant plus curieux que je sais maintenant que je suis une chatte, ce qu’est une chatte, ce qu’est un humain et tout le reste. Ça fait mal au crâne. Mais plus curieusement encore, je me sens drôlement bien ! Bon sang, quel corps d’athlète !
Elle trotta jusqu’à un grand miroir accroché à un mur, pendant que Freya lui répétait son récit : Le monde des fées, la capture et l’évasion de la sorcière, l’enlèvement de Capucine, le nécessaire départ pour la retrouver. L’aventure en somme.
— Je suis partante, répondit Sanirva. J’ai besoin de me dégourdir les pattes et de tester mon nouveau corps. Je vous ai déjà dit qu’il était splendide ?
Elle semblait sourire de plaisir, autant que faire se peut pour une panthère.
— Oui, Perle, enfin Sanirva. Tu nous l’as déjà dit, merci. J’ai bien noté. Finalement, t’as à peu près le même caractère en tant que panthère qu’en tant que chat : tu adores t’admirer et te pomponner.
— Avoue tout de même Tobias qu’il y a de quoi…
— Ah oui et en plus tu laisses tomber la modestie. Bravo.
Sanirva ne releva pas l’ironie et continua de s’admirer.
— Bon, et toi, Tobias, tu es partant pour aller chercher ta sœur ? Je sais que ça peut te faire un peu peur, mais j’ai une bonne nouvelle pour vous, je peux vous doter de certains pouvoirs spéciaux. Sachez cependant que je ne ferai qu’amplifier des capacités que vous avez naturellement Je ne suis pas une maîtresse-fée et je suis loin de pouvoir réarranger les humains à ma convenance. Mais j’ai tout de même la capacité d’ajouter une petite touche personnelle par-ci par-là.
Elle l’avait dit avec un petit sourire en coin et un clin d’œil qui avaient rendu Tobias un peu perplexe.
— Voilà, vous partirez peut-être sur des terres inconnues, mais vous ne serez pas seuls, et vous serez un peu augmentés, mais je vais y revenir. Je sais pas pourquoi la sorcière s’en est prise à ta sœur Tobias, mais une chose est sûre : tu es ce garçon qui ne manque pas d’imagination et de cran. Je sens en toi la capacité de devenir un vrai héros et de m’aider à regagner ma place parmi les miens, à ne pas devenir un paria et à devoir m’exiler. Si je pouvais me lancer à sa poursuite, je l’aurais fait sans aucune hésitation. Mais je ne peux pas, car la sorcière s’est arrangée pour qu’aucun être magique de mon espèce ne puisse suivre ses traces. Elle a retenu la leçon de sa précédente capture. Tobias, je ne connais personne qui puisse mieux se débrouiller que toi pour retrouver ta sœur. Même si vous vous disputez de temps en temps, je suis certaine que tu l’aimes profondément et tu ne laisseras jamais personne lui faire du mal.
Elle le regardait intensément. Elle était consciente qu’il avait le pouvoir de réduire à néant son avenir en ne s’engageant pas dans cette poursuite. Elle était prise au piège et lui seul pouvait la délivrer.
Avait-il le choix ? Il se sentait piégé lui aussi. Cependant, il ne pouvait pas laisser sa sœur aux mains de cette sorcière qui pourrait lui faire Dieu seul sait quoi. C’était bien lui qui avait échoué à l’en délivrer lorsqu’il avait vu cette ombre blanche s’en prendre à elle. S’il avait agi plus vite, il aurait eu le temps d’ouvrir la baie vitrée et il aurait pu secourir sa sœur. Il devait corriger cet échec. Quant à Freya, il ne la connaissait pas vraiment, mais elle avait besoin d’eux : s’ils la laissaient tomber, elle allait tout perdre. Il s’imaginait à sa place et un frisson lui parcourut le dos. Il n’oubliait pas non plus qu’il ne partirait pas seul. En détaillant cette impressionnante panthère qui n’en finissait pas de s’admirer dans le miroir, il eut moins peur.
Il réalisa également qu’il ne pouvait pas compter sur ses parents qui ne croiraient jamais cette jeune femme : pour eux, elle serait l’agresseur. Ils contacteraient la police qui l’arrêterait et chercherait en vain Capucine, alors qu’elle se trouvait quelque part ailleurs que dans ce monde.
Finalement l’aventure le tentait, cependant il ne comprenait ni pourquoi ni comment. Un sentiment nouveau se dessinait en lui, qu’il n’avait jamais connu et qui le poussait à sortir de sa zone de confort.
Oui, une aventure dont il serait le héros, comme dans les livres qu’il lisait, et pour de vrai. Allait-il courir des risques ? Sûrement. Mais il ne voulait pas y penser. Il imaginait que Sanirva et lui allaient devenir invincibles. Il ne savait pas ce qui se passait en lui, mais il se sentait moins effrayé, même si l’inconnu frappait à sa porte.
— Je suis avec vous Freya. On va retrouver cette sorcière et on va la réduire en bouillie ! Non, mais pour qui elle se prend de débarquer ici et d’enlever ma petite sœur ? On va lui faire sa fête Sanirva et moi !
— Merci Tobias, merci du fond du cœur, tu me sauves la vie. J’ai bien fait de te faire confiance. Merci à toi et à ton grand cœur. Ne t’inquiète pas, tu n’as pas à courir de risques inconsidérés. Justement, ça me fait penser à quelques conseils que je dois vous donner. Le plus important : ne vous séparez jamais. Je ne sais pas bien ce qui vous attend, mais au cas où, veillez à toujours rester ensemble. Ensuite, faites-vous confiance, quoi qu’il se passe. Tobias rappelle-toi que Sanirva c’est Perle ; et toi Perle rappelle-toi que Tobias est celui qui prend soin de toi et qui t’aime. N’oubliez pas non plus que si vous pouvez vous faire confiance l’un l’autre, vous pourrez également faire confiance à d’autres. La plupart du temps, c’est payant. Malgré tout, rappelez-vous que les apparences peuvent se révéler trompeuses. Vous devrez être vigilants, mais pas trop suspicieux. Souvenez-vous que vous partez pour Capucine, pas pour la sorcière. Même si je vous ai demandé un coup de main pour la retrouver, ne faites pas n’importe quoi.
Y’a pas de risques, c’est pas mon genre, pensa Tobias.
Elle paraissait soulagée, mais un peu inquiète. Elle fronça les sourcils.
— La sorcière, j’en fais mon affaire, vraiment. Et au moment où elle prononça cette phrase, une expression menaçante obscurcit brutalement son beau visage : Tobias crut alors qu’une nouvelle personne avait pris sa place. Un sentiment bizarre qui se dissipa très vite néanmoins, au moment où Freya ajouta, malicieuse :
— J’ai piqué un sortilège aux maîtresses-fées pour pouvoir passer ses défenses et me transporter près de vous dès le moment où vous l’aurez repérée, et là, je m’occuperai d’elle ; avec la cavalerie.
Elle mima un guerrier à cheval qui tirait à la carabine.
Drôle de fée, pensa Tobias. La fée Clochette peut aller se rhabiller.
— Elle a beau être coriace, j’ai pensé à quelque chose qui devrait lui clouer le bec sur place…
— Comme quoi ? Lui clouer quoi ?
— Motus et bouche cousue, c’est top secret. C’est pas contre vous, mais moins il y a de gens au courant, plus il y a de chances que ça marche. Je préfère ne pas courir de risque.
La jeune fée plissa le front, elle semblait absorbée par une intense réflexion.
— Puisque tu as bien voulu m’aider, et toi aussi, Sanirva poursuivit Freya, je ne vais pas vous laisser partir sans rien vous donner. Comme je te l’ai déjà dit Tobias, je ne suis pas spécialiste des humains, loin de là, mais je crois que je peux tout de même t’aider, à ma façon. Par contre les animaux, ça me connaît. Et donc je vais améliorer un peu tes capacités ma chère panthère.
Sanirva était très intéressée par ce qui allait suivre et quitta à regret son poste devant le miroir de Tobias.
— Oui ? De quoi s’agit-il ? Des pouvoirs ? Wouahou pas mal ! C’est quoi comme pouvoirs ? Voler ? Lancer des éclairs avec les yeux ?
Tobias se rendit compte qu’elle ne plaisantait pas complètement. Il était sans voix.
— D’abord, tu vas courir… Merde ! Déjà ! Non, c’est pas possible !
Elle venait de jeter un œil à la fenêtre et ce qu’elle y avait vu n’avait pas l’air de la réjouir plus que ça. Elle reprit de plus belle son frottage de nez d’une main et de l’autre, elle se tirait brutalement les pointes de ses cheveux. Elle murmura très vite quelques mots incompréhensibles à voix basse.
Tobias voulait savoir ce qu’elle avait vu.
— Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? C’est pas le moment de faire ton Hermione. Si ?
Freya l’interrompit en levant les bras d’un air agacé pour lui signifier qu’il devait se taire.
— Plus le temps de taper la causette, vous devez partir sur le champ ! Tobias, tes parents sont là. Je vais pas pouvoir vous faire partir en expliquant le pourquoi de cette imposante panthère chez toi. Et pareil pour la porte bleue que je vais créer. J’essaierai de communiquer avec vous dès que je pourrai, mais ça risque d’être très difficile, la sorcière protège bien ses traces. Quoiqu’avec Sanirva, j’aurais peut-être plus de chances. Maintenant, filez vers le fond du jardin et prenez la porte bleue !
Une fois arrivés devant un imposant dispositif tenant plus de la porte d’une monumentale église que du portail de sa maison, ils entendirent les parents de Tobias les appeler sa sœur et lui. Le porche était orné de sculptures brillantes dans une matière qui lui faisait penser à de l’argent et dont il ne comprenait pas la signification. Son armature en métal noir ouvragé donnait la chair de poule : elle semblait vibrer et disparaître à certains endroits, laissant la place à ce que Tobias interprétait comme un trou noir. Heureusement, sa surface qui scintillait d’un bleu ciel aussi profond que l’azur se révélait rassurante. Par contre, il ne possédait ni poignée ni serrure : Tobias supposa qu’il fallait le traverser pour voyager. Ayant entendu ses parents, il hésita quelques secondes et Sanirva le remarqua.
— Tobias, on a dit à Freya qu’on l’aiderait. Faisons-lui confiance. Et faisons-nous confiance aussi par la même occasion. Allons-y.
Il la remercia intérieurement : elle venait avec lui, sans arrières pensées, juste parce qu’elle savait qu’elle devait l’aider à retrouver sa sœur. Et quand bien même cette aventure fut risquée, quand bien même elle retournerait à l’état de simple chat à son retour, elle n’avait pas hésité une seule seconde à l’accompagner. Au contraire, c’était elle qui l’encourageait.
Merci Perle, du fond du cœur. Et merci Sanirva. Merci à vous deux.
Elle passa la première et Tobias la suivit, non sans se retourner pour jeter un dernier coup d’œil à sa maison, qu’il imaginait revoir très bientôt. Il se résigna à ne plus penser qu’à la raison pour laquelle il se lançait dans cette poursuite : ramener sa sœur chez elle, saine et sauve.
J’espère que j’ai fait le bon choix…
J’aime bien le fait qu’elle lui dit de se dépêcher, car leurs parents vont bientôt rentrer des courses ! Cela allège aussitôt la gravité de la situation, car si elle dit ça, c’est que finalement, ce qu’il se passe n’est pas si grave. C’est très rassurant pour un livre destiné à de jeunes lecteurs.
« Perle, qui avait détalé lorsque Freya était apparue dans la chambre de Tobias, arriva en trottinant dans sa chambre » : ils sont dans leur chambre ? Je croyais qu’ils étaient près de la baie vitrée ?
Ah ah ! Je m’attends à ce que Perle soit transformée en un félin un peu plus grand.
J'ai un peu tardé nouveau commentaires, et j'en suis désolé. Pour te répondre plus précisément, c'est pas si grave pour le moment... Mais bien des surprises restent en réserve, et pas que des bonnes ! Il va falloir que Tobias grandisse vitesse grand V, et c'est pas une mince affaire.
Et la baie vitrée se trouve dans la chambre de Tobias, elle donne sur le jardin.
A bientôt et merci !
Des passages me sont flous, de "Bon, en admettant que tout ça .." à la partie en italique : "le pire c'est que tout ça ne soit qu'une vaste blague" me fait un peu tiquer, je n'ai pas compris ce qui allait faire mal ni pourquoi la fée parle de Tobias qui veut la frapper, je crois qu'il manque un que à "tobias remarque, pour une fée, ça faisait désordre" et quand il garde son calme c'est en italique comme si c'était lui qui avait la pensée.
La formule "grâce à YouTube" ne me semble pas très naturelle, un peu mise pour faire la blague, mais c'est peut etre un detzil sans importance.
Encore une fois, les personnages sont très bien marqués, racontés et attachants, bravo !
Les descriptions sont assez détaillées et les dialogues bien écrits ainsi on imagine sans peine les scènes.
A bientôt pour la suite !