«C'est un fait que nous étions alors la seule tache de couleur, le seul papillon au milieu de la rumeur monotone de la ville, le grelot frivole qui réveillait l'âme humaine en danger de se figer dans le morne quotidien. »
Andrus Kivirähk, Le Papillon
Les bambins ailés voyaient la pluie pour la première fois. Merveilleuse, elle enfilait ses perles devant leurs yeux ahuris. Elle sonnait avec une voix douce et lourde à leurs oreilles. Elle les cognait ou leur infligeait sa morsure fraîche. La pluie souriait et ils la respiraient.
Les ailes dégoulinantes d'eau et de plumes, les cinq enfants n'osaient plus bouger. Leurs paupières ne frémissaient pas. Un mouvement infime pouvait taire l’instant immense.
Ils portaient leurs valises d'un côté, leurs rêves de l'autre. On les voyait debout et alignés sur une large route creusée entre la brume et les arbres hérissés. Ils ne voyaient pas grand-chose. Ils ne devinaient que la pluie, le chagrin puis la boue et les cailloux qui collaient à leurs lambeaux de semelles. A quelques pas, des ombres inquiétantes qu’ils associaient à des logis.
Et du gris, et du gris.
Contrairement au monde qui les entourait, ils n'étaient pas gris, eux. De la couleur se faufilait, grouillante, jusque dans leur pensée qu'elle infusait de frottements et de parfums indistincts. Des frottements jaillissaient les rires, des parfums émergeait la joie.
La couleur les envahissait de partout, coulant par flots dans leurs veines, se magnétisant à la plus insignifiante molécule de leur être. Elle s'imbriquait comme une deuxième âme à leur corps. Débordants de ce grand Quelque-Chose qui leur réchauffait le ventre vide, les bambins ailés étaient dotés d'une capacité incroyable : celle de colorer les autres. D'un contact furtif, ils avaient le pouvoir de faire sourire un cœur.
Et ils étaient là pour ça.
Néanmoins, les cinq créatures n’y songeaient pas ce soir-là. Ou pas encore. Un instant et c'était par-dessus leur tête.
Ils étaient fascinés de tout ce gris, de toute cette pluie qui les trempaient de la tête aux pieds. Les innombrables larmes allaient jusque dans les plus improbables recoins, à croire qu'elle cherchait à attrister l'univers entier. Les gouttes giflaient les volets des maisons cachées par les arbres. Insérée à leurs toits, la gouttière grondait le chant de la digestion de sa longue gorge reptilienne. La pluie rendait la route marécageuse, peut-être impraticable à tout fiacre. La pluie étirait et trouait la brume. Peu à peu ça rampait à ras du sol. La pluie faisait pousser les fleurs : des coquelicots dans l'angle biscornu d'un caniveau et des pivoines caoutchouteuses contre les épaules des passants.
La floraison se déployait partout.
Un bout de sourire s’immisça sous la commissure des marmots. La pluie, la nuit, tout était à eux. Parce que le dehors n'appartenait à personne et parce que cet instant était le leur.
Ils inspirèrent à pleins poumons les superbes senteurs du ciel trempé ; il portait un parfum de verdure grasse entre ses nuages, de matin d'automne et de satin déchiré. L'ensemble formait un goût désuet : un peu métallique, au sucre et aux vêtements de grand-mères.
Les enfants eurent cette fois un rire étouffé : rien ne semblait assez fort pour désosser le squelette de leurs espoirs. Même jetés hors de leur logis, ils continuaient d'être heureux.
Ce logis, c'était la « Maison-Soleil », une demeure vertigineuse et grimpée par des plantes plus mystérieuses les unes que les autres. Jadis, le bien-être se plaisait à frapper contre sa pierre, ou ses vieux carreaux. Mais, ce n'était pas grave, les bambins s'en bâtiront une autre, de bulle de chaleur. Avec un peu de chance, peut-être pourraient-ils même s'en construire plusieurs. Dans le cœur de chaque personne croisée. Un petit tipi d’âmes emmêlées.
Ils allongèrent enfin le pas – leurs souliers craquaient d'humidité.
— Qu'est-ce qu’on va faire maintenant ? demanda l'un.
— Je suppose que l'on va devoir se chercher un abri. Et du boulot.
— Et après ?
— Après, on va continuer de vivre et, ma foi, on verra bien ce que ça donne !
On hocha la tête : ça se tenait, comme idée. On leva encore les yeux au ciel. Une envolée de pigeons les couvraient de leur ombre plumeuse.
Il leur sembla n'avoir jamais rien vu d'aussi beau de leur vie.
Merci encore !
Pluma.
Ce premier chapitre est très poétique et ce que tu nous donnes à voir est très beau !
Petite remarque : pas sûre que des enfants utilisent le mot "dorénavant".
Merci beaucoup à toi !!! (et je note soigneusement la remarque)
J'arrive par ici suite à ta nomination aux histoires d'or :)
Voilà une entrée en matière très curieuse, comme si tu effleurais les personnages et ton monde, mais sans rien en dévoiler.
Je me demande ce que va donner la suite.
Sinon, un petit détail que lequel j'ai tiqué :
« Un petit bout de sourire s’immisça inexplicablement sous la commissure des marmots » : un peu plus tôt tu dis « De des frottements jaillissaient les rires, des parfums émergeait la joie » donc je pensais qu’ils étaient heureux et souriants ? Et pourquoi inexplicablement alors qu’il est longuement expliqué que la pluie les rend heureux ?
Cette version n'est pas une version définitive. Donc le "inexplicablement" pourrait être éliminé, en effet, d'autant plus s'il suscite de telles interrogations. Mais c'est vrai que même en me les représentant heureux, je n'imaginais pas dans cette scène les bambins ailés "souriants". C'est leur cœur qui gonfle de joie ; c'est à l'intérieur. Et donc, si leur sourire est "inexplicable", c'est d'un point de vue extérieur à la scène. Rares sont les gens qui sourient, immobiles, sous la pluie. Mais d'accord, c'est un peu tiré par les cheveux x) Je compte remanier le texte, de toute façon.
Merci pour ton passage et j'espère de revoir par la suite <3
Pluma.
Je découvre sous ta plume tout un univers d'enfants-oiseaux qui me ravit ! Bravo pour ce texte ! J'ai beaucoup aimé : "Ils portaient leurs valises d'un côté, leurs rêves de l'autre. " et quelques autres passages très beaux que je n'ai pas relevés.
A bientôt,
Claire
C'est ton commentaire qui me ravit ! Bienvenue dans mon univers, et j'espère de tout mon cœur que la suite te plaira autant <3
Merci à toi,
Pluma.
J'ai cru comprendre qu'il y avait un suivi éditorial en perspective autour de ce projet ? C'est une très bonne nouvelle et qui n'a que redoublé ma curiosité pour cette histoire. Je repasserai poursuivre "Dominos" évidemment, mais cette bonne nouvelle pour ta "Confiture" m'amène dans les parages.
Et, intriguée par le résumé et le titre, c'est avec plaisir que je retrouve ta narration poétique - ou ta poésie narrative, au choix. Je ne compte plus les tournures qui m'ont séduite au fil de ce premier fragment, pour en citer deux ou trois : "Ils portaient leurs valises d'un côté, leurs rêves de l'autre. Et contrairement au monde qui les entourait, ils n'étaient pas gris, eux." - "la merveille ne les chatouillait pas." et cette "Maison-Soleil".
Pour être moi aussi très sensible aux narrations poétiques, aux musicalités, j'ai de quoi apprécier la lecture ici. On a l'impression de voir tantôt un paysage tout en noir et blanc, tantôt le fleurissement de toute cette couleur. Et je trouve très fort ce traitement de la pluie, qui amène tout autre chose que les stéréotypes (tristesse etc) qui lui sont liés. D'où viennent ces enfants à plumes ? Que vont-ils faire de beau maintenant ?
Un plaisir ! Je repasserai très vite
Waw, merci pour l'intérêt que tu portes sur cette histoire, ça me fait chaud au cœur <3 C'est vrai que dans un sens, elle devient presque plus "importante" que Dominos sachant qu'elle a nécessairement besoin de corrections (puisque suivi éditorial - ça me fait trop bizarre d'écrire ça) et que Dominos reste bien au chaud pour le moment. Je te suis infiniment reconnaissante de cette délicatesse...
"On a l'impression de voir tantôt un paysage tout en noir et blanc, tantôt le fleurissement de toute cette couleur." oh, cette phrase me fait tellement plaisir... <3
"Et je trouve très fort ce traitement de la pluie, qui amène tout autre chose que les stéréotypes (tristesse etc) qui lui sont liés." Bon. Tu l'auras sans doute compris, cette histoire traitera surtout du rapport joie/tristesse, jusqu'à parfois verser dans ce que j'appelle la "mélancolie heureuse".
"Un plaisir ! Je repasserai très vite" Je vais attendre bien sagement en poursuivant ma lecture de *Les Etonnants Chemins du repentir*, tiens ;)
De l'inspiration meringuée,
Pluma.
J’ai été amenée à commencer à lire « La Confiture aux Lucioles » par la curiosité que, d’abord le titre, puis le résumé, ont suscitée chez moi.
Dans ce premier chapitre, les expressions, les descriptions, la narration sont très vivantes. Elles font appel à tous les sens et les entremêlent subtilement.
La façon d’écrire est parfois un peu déroutante pour moi qui n’ai pas l’habitude des récits poétiques, et certaines associations de mots paraissent incongrues, mais cela donne une ambiance onirique et apaisante. De plus, les mots utilisés avec liberté établissent un monde qui a sa propre logique, dans un flou entre fantasme et réalité, où l’immatériel se concrétise. La concision du texte donne le sentiment que les mots ont été consciencieusement choisis, et renforce leur importance, leur impact — ils en décrivent d’autant mieux un monde bien particulier.
Je ressors donc de cette courte première partie avec des impressions variées qui déjà dépeignent un univers à part, et avec des questionnements. Ce récit est très inspirant !
Bien à toi
Un merci montagneux à toi, déjà, pour toute cette flopée de commentaires qui me font plus plaisir les uns que les autres. J'espère que tu resteras "déroutée", "envoûtée" de la sorte tout le long de ta lecture ! Les traits d'onirisme, de surréalisme que tu décris ici me font incroyablement plaisir : c'est ce que j'aime trouver dans la littérature et aussi un peu de l'aura que je souhaite donner à mon roman.
J'espère que les (très) nombreux aspects poétiques de ce récit sauront te plaire malgré le fait que tu en lis peu ; qui sait, même ? Peut-être que "La confiture aux lucioles" te fera découvrir et apprécier un genre littéraire que tu ne connaissais pas ! (mais là, mes espérances vont un peu loin)
Merci à toi <3
Pluma.
Je viens découvrir ta plume, c'est très plaisant. Le style est posé et poétique, avec de belles couleurs au milieu du gris. On aimerait bien connaître les enfants de cette histoire.
" - Et après ?
- Après, on va continuer de vivre et, ma foi, on verra bien ce que ça donne !" J'aime beaucoup ce petit échange et cette simple philosophie de vie^^
Une petite coquille :
"cette pluie qui les trempaient" -> trempait
Bien à toi !
En fait, la coquille relevée n'en est pas une ^^ La phrase complète étant : "Ils observaient, fascinés, effrayés, tout ce gris, toute cette pluie qui les trempaient de la tête aux pieds." c'est la pluie ET le gris qui les trempent donc l'accord au pluriel est juste.
J'espère te revoir avec les prochains chapitres :)
Merci à toi,
Pluma.
A très vite !
J'ai aimé, dès le début de cette histoire, retrouver la poésie dans tes phrases. Et d'ailleurs, cette exposition des cinq enfants est très mélodieuse. Mention spéciale pour la pluie et la description que tu en as faite. En plus, c'est dès le début, c'est bien accrocheur, j'ai adoré.
Si je devais faire une remarque, ce serait concernant la couleur. Tu y fais beaucoup allusion dans la première partie de ce chapitre (revoir peut-être les répétitions ?) mais surtout, quitte à ce qu'elles soient aussi présentes, pourquoi ne pas s'y attarder un peu ? Seul le gris, par opposition, est cité. Ce n'est qu'une suggestion, peut-être la couleur veut-elle dire plus que ce que nous y entendons dans ton roman et que ceci justifie cela.
Sur ce, le meilleur pour l'écriture de la suite !
Plumesquement tienne,
Hylla
Un merci vertigineux pour ton retour et tes remarques ! "Ce n'est qu'une suggestion, peut-être la couleur veut-elle dire plus que ce que nous y entendons dans ton roman et que ceci justifie cela." Effectivement. Ce point sera plus largement expliqué avec la suite ; pour l'heure, pour ce minuscule préambule, je désirais davantage me pencher sur l'importance qu'aura la couleur dans cette histoire plutôt que sur ce qu'elle "est" vraiment. Si dans les prochains chapitres, les explications ne te semblent pas claires malgré tout, fais-moi signe <3
Merci encore <3
Pluma.
Quelle plaisir de te retrouver ici dans une nouvelle histoire ! (bon j'ai pas commencé encore Dominos ni fini de bêta-lire totalement Le Monde des Nuages mais le résumé de cette histoire m'avait l'air mystérieux et alléchant alors je me suis lancée tête baissée en faisant fi de ma PAL surchargée)
J'aime beaucoup la fin, je me demande ce que ça va donner avec ces enfants mystérieux. J'ai comme l'impression d'avoir la même vibe qu'avec les orphelins Beaudelaire
Les phrases, le vocabulaire riche et les dialogues, tout ça rend ce prologue très charmant et immersif. Vraiment. J'aime le décors que tu as fabriqué avec des mots pointilleusement choisi, c'est comme si ta plume savait directement où aller. Clair, précis et envoûtant.
"Les ailes dégoulinantes d'eau et de plumes, les cinq enfants n'osaient plus bouger." Est-ce qu'ils ont des ailes ? Comme des petits anges ? >.< c'est trop mim's tout ça
L'ambiance qui se dégage est magique, on dirait même que la pluie est un personnage qui fait partie de l'histoire. Et les couleurs dans tout ça !
Ha la la, comme ta plume a mûrit et progressé, et en bien ! Je ne ressens plus les longueurs et les tournures de phrases comme dans le Monde des Nuages. Là, je ne peux que te félicité clairement.
Alors c'est avec joie et impatience que j'attends la suite ^^
Des bisous à la cerise et pleins de beaux rêves :)
Cherry on the top
C'est vraiment adorable d'être passée outre de tes autres lectures pour te consacrer à cet embryon d'histoire <3 Je suis touchée, vraiment.
"Est-ce qu'ils ont des ailes ? Comme des petits anges ?" Je vais te laisser le découvrir par toi-même avec la suite ^^
Oula, depuis Le Monde des Nuages, en effet, il y a du progrès XD Je suis contente (que dis-je, ravie !) que tu y as été sensible et que tu trouves qu'il s'agit (s'agisse?) d'une belle évolution <3 Car cette évolution, en fait, je la dois à PA et à toutes ses plumes argentées et adorables... Merci à toi, du coup, merci, merci :,)
Câlins à la framboise et beaucoup, beaucoup d'étoiles dans le ciel de ton inspiration...
Pluma.