Moi qui avais pourtant toujours dit que je n’aimais pas les chanteurs à la voix féminine… J’avais 17 ans. Quelques années auparavant, ma sœur appréciait beaucoup les chansons de Christophe Willem et je me souviens parfaitement lui avoir signifié mon manque d’intérêt, voire mon dégoût pour l’androgynie et les voix aiguës. Continuant de grandir de mon côté, j’écumais le Net en découvrant les voix japonaises et robotiques de vocaloid. C’est ainsi que j’appris à regretter ces paroles.
Au départ, je le pris pour un synthétiseur vocal, puis pour une fille. À l’époque existait sur YouTube une personne qui traduisait à la volée des centaines de clips de différents artistes, et avait fait celui-là à sa sortie. Suupa Nuko ni naritai, traduit « Je veux devenir un super chat ». Je rencontrai Mafumafu pour la première fois ainsi, et il changea ma vie du tout au tout.
La musique était endiablée, la couleur vive. Le rock se mêlait à une J-pop au rythme effréné, pour une chanson aux allures enfantines. Pensant écouter un instrument plutôt qu’un humain, je me laissais accrocher par cette voix si étrange. Très vite, j’appris les paroles par cœur à force de les lire et je remarquais qu’une amertume se mélangeait à cette douceur électrique. Un sens plus lourd s’échappait de cette musique. En criant son envie de devenir un chat, il admettait ne plus vouloir être lui-même. Cette pudeur inavouée me toucha plus que je ne l’aurai cru. Souhaitant vérifier si d’autres personnes avaient compris la même chose que moi de ce texte traduit, je fouillais les commentaires pour tomber sur un message qui me laissa pantois. « Et dire que c’est un gars qui chante… »
Moi qui avais toujours eu en horreur les hommes qui se cachaient derrière des voix féminines, celle-ci me parlait. J’écoutais à nouveau le chant de Mafumafu, décortiquant sa technique, escomptant en entendre quelque chose de masculin, sans succès. Je n’arrivai pas y croire. Contrairement à tant d’autres, cette voix ne faisait ni fausse, ni forcée. C’était sa voix, la voix de Mafumafu, si exceptionnelle et féminine à s’y méprendre.
Je n’ai jamais eu la chance de muer. Ma voix est restée désespérément proche de celle d’un enfant. Beaucoup de personnes, dans ma vie, m’ont affirmé que j’avais une voix de dessin animé, ses sons aigus et sa nasalité leur faisant peut-être penser à des clichés de cartoon. Pour cette voix, et d’autres choses encore, tous m’ont pris pour une fille, remettant parfois même ma parole en cause. Pourtant, je ne pouvais pas changer. Cette voix, incorrigiblement risible, était celle avec laquelle je chantais depuis mes quatre ans, et avec laquelle je maîtrisais les aigus mieux que certaines soprani du lycée. Suivre un traitement, régler ce problème signifiait pour moi dire adieu à l’une de mes plus grandes fiertés, qui m’avait demandé tant de temps et de travail depuis lors. Ainsi, je restai dans un statu quo, m’habituant aux méprises, enfermant une jalousie sournoise dans un pot de faïence. Et Mafumafu, un garçon tout comme moi, a une voix dont les aigus me surpassent. Loin de ces clichés de voix faussement féminine, son timbre sortait de sa poitrine et explosait comme un cri d’authenticité. C’était la première fois de ma vie que j’entendais un homme chanter comme moi.
Je ne pouvais plus me contenter de « Je veux devenir un super chat ». Il me fallait en savoir plus. Je devais écouter sa voix, l’analyser, me l’approprier. Si Mafumafu voulait devenir un chat, moi, je voulais devenir comme lui. Un chanteur dont personne ne doutait de sa masculinité, et dont la voix à la puissance indéniable ne lui portait jamais préjudice. J’ai chanté ses chansons, je l’ai recopié sur beaucoup d’aspects. Si lui pouvait être perçu comme masculin en étant lui-même, je pouvais bien atteindre également ce but.
Aujourd’hui encore, Mafumafu est l’artiste qui m’a le plus influencé de ma vie entière. Je ne rate jamais une de ses compositions, et il y en a beaucoup trop que je connais par cœur. Beaucoup de ses chansons sont des véritables challenges sur lesquels je travaille des semaines pour les interpréter au mieux. Avec les années passées, je l’ai vu s’améliorer et gagner en popularité, jusqu’à remplir les plus grandes salles de Tokyo. C’est d’ailleurs parce que ses morceaux m’ont beaucoup suivi qu’il est si difficile d’avoir une chanson de Mafumafu en Musique Capsule, car je les ai beaucoup trop écoutées dans trop de contextes différents pour que la magie prenne. Mais « Je veux devenir un super chat » restera à jamais particulière à mes yeux. C’est avec elle que pour moi tout a commencé, abandonnant une posture un peu honteuse pour chanter très fort et avec fierté. En voulant devenir quelqu’un d’autre dans cette chanson d’une authenticité sans faille, sans le savoir, il m’a permis de devenir moi-même.
J'ai trouvé cette capsule uuuultra intéressante. Quel hasard que je tombe sur celle-ci, mais comme quoi, il paraît que le hasard fait bien les choses !
Clairement, ça m'a donné envie d'écouter la musique de cet artiste. Je réitère ce que j'ai dit dans mon autre com : c'est vraiment sympa comme principe d'autobiographie ! ça fait des petites parenthèses, qui ne sonnent pas arrogantes comme parfois ça peut le faire. L'idée de reprendre des musiques permet, je trouve, de décentrer le focus ; d'une certaine façon il ne s'agit pas de toi mais de la relation avec cette musique, et ça me donne l'impression que ce n'est pas nombriliste (aka la raison pour laquelle les autobiographies peuvent me faire grincer des dents). Bref, ce que j'essaie de dire, c'est bravo pour ce projet et son exécution tout à fait chouette !
Plein de bisous !
Merci beaucoup !! Les musiques capsule sont un projet hyper important pour moi que j'aimerais mener le plus loin possible, et j'ai parfois ces moments de doute, en me demandant si ça peut vraiment intéresser les gens ce que je raconte 😅 je suis vraiment heureux de lire que ça te plaît !