"Ici" sous la pluie

"Ici" sous la pluie.

Le silence, il faut le prendre à l’intérieur de soi, le malaxer, le pétrir comme une pâte molle.

Prendre le silence à l’intérieur, bien au chaud, là où il n’y a personne, là où on est seul avec lui. Les mots sont la levure du silence : ils le font lever, enserrés dans la pâte.

Ce matin il n’y a personne ici ; je suis seule avec mon chien. Il sent mauvais et il tousse. Je vais lui donner son bain aujourd’hui…

Dans la Valpolicella, le jour se lève en dix minutes peut-être. Je voudrais attraper la lumière dans l’éther, lui dire de parler plus doucement, et en un instant tout s’éclaire dans la brume légère… un moment où se répand derrière la fenêtre un grand manteau de clarté et d’aurore. Le jardin est là enveloppé et le temps d’écrire ces lignes la nuit s’est dissipée, un merle est arrivé sur l’herbe encore mouillée de la bruine en cette fin d’été. Le monde, les herbes, les pierres, en un instant tout est révélé.

Les phrases sont comme une symphonie inachevée. Mots imparfaits, accrocs dans la toile de la page, je voudrais peut-être qu’ils restent enfouis dans la grande nuit comme un secret bien gardé, et non, il fera bientôt grand jour sur la terrasse. Le ciel encore gris s’étire sous les frêles rayons du soleil. Comme un long trait au ras du sol, un rai de lumière vient dévoiler les fruits sur l’arbre, autant de petits joyaux suspendus dans la nuit qui s’en va. Hier c’était hier et voilà « aujourd’hui » qui est là tout neuf dans le grand jardin de « Ici », ce lieu choisi il y a maintenant plus d’un demi-siècle par la sœur de mon père et son mari.

Il faisait noir au début de cette page, je salue maintenant le jour arrivé tel un mage venu relever la nuit de sa tâche et mettre un terme à la grande sarabande des pipistrelles… Il ne fait pas vraiment joli aujourd’hui, il fait gris mais le sol scintille de mille petits feux de brindilles sous la bruine luminescente. La pluie est arrivée avec l’automne en cette fin de septembre. On entend les oiseaux heureux de recevoir de l’eau.

La pluie se déplie sur les prés engourdis par les semaines arides qui les ont grillés de soleil. Elle ravine sur un sol sec et bourru qui bientôt sera décoiffé sous les filets humides enfin arrivés pour abreuver jusqu’au fin fond tous les sentiers de la terre italienne…

 

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Espelette
Posté le 12/03/2020
Quelle douceur et quelle poésie.
Est-ce un moment partagé ou le début d'une histoire ?
J'aime la rupture de la narration avec la description du chien qui sent mauvais. Et l'image de demander à la lumière de parler plus doucement juste avant qu'elle n'inonde le paysage.
La répétition de "silence" en début de texte (3 fois en 3 phrases) est-elle voulue ?
Filensoie
Posté le 13/03/2020
Oui, j'ai choisi cette redondance... pour raisons musicales ? Je ne peux pas vous le dire, mais j'utilise régulièrement cette répétition qui passe peut être mieux si le texte est lu à haute voix ? Merci en tous les cas pour votre commentaire...
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