Je laissai de l’eau couler sous le pont Mirabeau (comment ? je me trompe de poète ?) avant de commencer ma mission. L’activité surnaturelle est plus grande la nuit tombée ; aussi m’infiltrai-je de nouveau dans le lycée endormi. Je jetais mon dévolu sur le bâtiment S (pour « scientifique »).
Les couloirs, désertés par les élèves puis, en toute logique, par les professeurs, à moins que ce ne soit le contraire. Leur silence glacial. Pas d’éclat de voix, furieuse de la conduite inadmissible d’un adolescent un peu rebelle, ni même d’explication monotone, délivrée en bribes à des oreilles passantes par une porte laissée ouverte.
Cela faisait bizarre de voir les lieux sous cet angle. J’allais, déçu, constater qu’aucun ectoplasme ne traînait dans le coin, quand, brisant le mutisme des murs, un bruit sourd se fit entendre, accompagné de verres qui se brisaient par poignées. Ce n’était peut-être pas un fantôme – bien qu’il y ait de grandes chances pour que ce soit le cas – mais quoi que ce fût, ça m’intriguait beaucoup.
Je forçai la porte, ne me préoccupant pas de mes actes. D’ailleurs, qui me surveillait ? Personne. Je ne craignais rien.
C’était un poltergeist, comme je m’en doutais. Un poltergeist est un type de fantômes qui, à la différence de Paul Éluard – celle-là a pour particularité d’habiter un objet pour entrer en contact avec le monde des vivants – a comme objectif de semer la pagaille. Celui-ci, avec soin, renversait les flacons, balançait les éprouvettes et les béchers à travers la salle, faisait tomber les microscopes : il s’évertuait à ce que rien ne demeurât inutilisable.
Cette véritable tempête de destruction s’arrêta brusquement. Elle se retourna très lentement, étonnée par ma présence aussi intrusive qu’incongrue. En se retournant elle dévoila son apparence horrifique.
Un peu horrifique, en fait : il y avait bien pire dans la nature, mais on n’aurait pas aimé rencontrer ce jeune garçon aux yeux blancs vitreux, du sang à la place de larmes sur ses joue,s dans un cauchemar. Il avait le teint olive marbré de veines violettes. Enfin, ses jambes perdaient de leur utilité par rapport à l’activité du poltergeist : à partir de son bassin commençaient donc des volutes semi-matérielles, de la couleur approximative d’un pantalon.
Il brillait légèrement dans les ténèbres. Peut-être savait-il que je le voyais, peut-être pas ; en tout cas, il prit ses jambes à son cou. Je soupirai, car j’avais affaire à un poltergeist couard, et que bien souvent, leur couardise égale leur vélocité.
Pour éviter qu’il ne s’enfuie (il pourrait prévenir ses congénères et je serais dans la panade), je prononçais un sort simple, qui limitait la zone au couloir, empêchait d’en sortir. Ensuite, je devais m’occuper du nœud du problème, le garnement. Une porte, comme prise dans un courant d’air capricieux, s’ouvrait et se refermait sans cesse. Suspect… Je m’en approchai. Aucun esprit derrière, mais il pouvait se dissimuler à ma vue, et par ce jeu avec le huis, il indiquait clairement sa présence.
Quand les gonds grincèrent, je décidai de passer ; or, la manifestation, jusque-là plutôt tranquille, accéléra d’un coup sec. Une plaque massive de bois cogna violemment mon nez, dont un filet de sang s’échappa. Dans un grognement, je tentai de rouvrir la porte. Le poltergeist se révélait plein de prudence : impossible de pénétrer la salle, son accès semblait comme bloqué par une condition sous-vide.
Ce n’était pas important, le fantôme ne tenant apparemment pas en place. Dans un coup de vent, il traversa le couloir. Sans que j’aie le temps de le rattraper, il s’enferma dans une salle ; mais avant que je n’investisse cette nouvelle cachette, déjà il m’interpellait ailleurs, moqueur. Je compris qu’en l’enfermant, je m’étais complexifié la tâche. Le lycée, plus précisément le bâtiment de sciences, était sa maison, il en connaissait le moindre recoin. Ce n’était plus une question de vitesse : quoi que je tente, je ne le rattraperais jamais.
-- Écoute, dis-je calmement, je ne veux pas te faire de mal. Je comprends très bien que tu aies une dent contre cet endroit. Et si tu me racontais ? Je suis sûr que ça te ferait du bien.
Comme pour faire écho à ma supplique pacifique, le poltergeist ouvrit une porte close, au fond. En soupirant de soulagement, je m’engouffrais dans la pièce que l’esprit m’invitait à rejoindre. Oui, « engouffrer » est le mot : il y faisait bien plus froid, on sentait que l’atmosphère changeait.
Mince… C’est ce que je crois que j’ai pensé ; cependant, la vitesse à laquelle la douzaine de paillasses fondit sur moi prit mes réflexes de court, je n’eus sûrement pas le loisir de commenter ma situation, et encore moins, donc, d’esquiver l’attaque.
J’étais au cœur d’un ouragan dont les débris tournoyants me contusionnaient gravement à chaque fois qu’ils me heurtaient. L’offensive me harcelait réellement, sans me laisser aucun répit. Je protégeais essentiellement ma tête, parce qu’avec la vitesse des objets, le risque que je perde connaissance s’élevait de plus en plus, avec la vitesse de la tornade qui augmentait encore et toujours. Malheureusement, je ne pus en gérer trois à la fois. La paillasse entra en contact avec le milieu de mon front.
Lorsque le poltergeist constata que son adversaire s’était écroulé sous les coups, il s’approcha. Qui était-il donc pour l’importuner ainsi ? L’esprit se montra méfiant de prime abord ; mais sa blessure au front et sa posture tout à fait décontractée malgré sa situation épineuse ne trompaient pas, si ? Alors, il scruta l’intrus. Typiquement un occupant de ce lycée, un adolescent peut-être un peu plus classe que ses camarades mais pas de beaucoup.
Il se moqua quelques instants de ce dernier, croire que la paix pouvait fonctionner n’était décidément pas la chose à faire. Tout à coup, une main puissante agrippa le col fantomatique.
-- Je suis tout à fait d’accord. Jamais des échanges pacifiques ne remplaceront la bagarre !
Je me relevai. Le poltergeist se débattit mais ma poigne l’empêcha de s’échapper. Je répondis à ses geignements par une voix résolue, aussi ferme que mes doigts autour de son polo délavé par la mort et la semi-résurrection.
-- Raconte. Pourquoi tu casses tout ?
-- J’imagine que j’ai pas le choix… Alors, je devais avoir 15 ou 16 ans, j’oublie un peu. C’était il y a longtemps, au moins cinquante ans, je crois.
-- Viens-en au fait, s’il te plaît.
-- Oui. Alors, je comprenais rien en cours… Je m’ennuyais comme un rat mort, et je faisais quelques conneries pour impressionner les potes. La pire que j’ai faite, c’est que j’ai mélangé toutes les poudres sur la table dans de l’eau et…
-- Ne me dis pas que…
-- J’ai bu, oui.
-- Et du coup, tu te venges ? Ce n’est pas ta faute si tu es mort ?
-- Si, bien sûr, mais je ne sais pas… C’est comme si, dans mes veines, quelque chose me disait que je n’avais pas fini.
-- Fini quoi ?
-- Justement, je sais pas. Alors, je casse tout, par instinct.
Je réfléchis à ce qui pouvait manquer à un élève mort à cause d’une bêtise. Je remettais en place les tables, pour aider ceux qui rangeraient le lendemain, quand j’eus une idée.
-- Installe-toi, désignai-je une place. Je reviens de suite.
Intrigué, il m’obéit. Satisfait, j’allai dans la réserve de la salle d’à côté, restée épargnée. Je pris ce que je trouvais, un bécher, une éprouvette, une peu d’eau, les mixtures qui s’offraient à moi.
Je lui donnais tout ceci en improvisant un protocole expérimental bidon. Comme sa main tremblait alors qu’il versait le contenu de l’éprouvette dans une boîte de Petri, je me mis à côté de lui, le soutint. Il ne perdit pas vraiment son appréhension, mais gagna un peu en assurance. La dernière goutte d’eau tomba de l’éprouvette avec un soupir du poltergeist.
-- Merci, souffla-t-il en se serrant encore plus à moi.
Il avait la température corporelle d’un cadavre, sa peau sans chair collait flasquement à mon cou, et il ne sentait pas vraiment bon. Un peu dégoûté, je le laissais se réconforter de tout son soûl. Je savais que cette dernière activité l’avait soulagé : il commençait à se désincarner, à mourir vraiment.
Cet ami éphémère disparaissait bel et bien ; ému par cette histoire, je détournais les yeux. La fenêtre n’était pas ouverte tout à l’heure… En me concentrant, j’aperçus, furtifs, un éclat de métal, le reflet d’une lumière dans un œil. Le poltergeist s’était totalement effacé. Délivré de ce poids – sympathique mais quelque peu entravant – je m’élançai.
La lune, à demi cachée par les nuages, m’avait empêché de voir nettement l’apparition. Elle se découvrit éclaira vaguement une silhouette féminine, toute vêtue de noir, qui tombait du deuxième étage. Elle allait se tuer ! Je me lamentai sur le sort de l’intruse, à tort, semble-t-il, puisqu’une forme ailée s’éleva dans la nuit.
Il était trop tard pour poursuivre cette inconnue. À cet instant, je souhaitais seulement laver ma blessure au front et retrouver mon lit.
Le changement de narration quand le héros tombe tant les pommes et un peu bizarre alors que tu es en narration 1ere personne depuis le début.
Le perso s'est lancé des sorts. J'aurai bien aimé en savoir plus sur ce point comme il a appris à faire ça et peut être un explication plus détaillé du sort plutôt que "je lance le sort de ...".
Sinon ça se lit très bien , ton style est très fluide.
Une pièce sous-vide, selon la théorie qui sert l'action du récit, est difficile à ouvrir (je n'en suis pas si sûr, maintenant que tu fais remarquer que c'est bizarre) ; et j'ai oublié de préciser que le héros se protège de deux paillasses avant qu'une troisième n'entre en jeu, ce qui le met en difficulté.
Je comprends le problème du style "guindé", comme tu dis, mais c'est le style du personnage de parler comme ça, tout comme le mystère qui l'entoure. Je n'aime pas tout expliciter directement, je préfère disséminer quelques indices et laisser le lecteur s'interroger, jusqu'à la révélation. Ne t'inquiète pas, tu en sauras plus, un jour, peut-être !