Ilann avait suivi le phénomène avec un vif intérêt.
L'arbre poussait à une vitesse vertigineuse et semblait ne jamais vouloir s'arrêter. Ilann jouait tous les soirs, un peu pour l'arbre, un peu pour la jeune fille qui était tombée de la falaise et qu'il n'avait jamais osé aborder. Et alors qu'il jouait, et que la mélodie se dispersait dans toutes les directions, certains villageois, et jusqu'aux animaux de la forêt, s'approchaient pour écouter. En regardant bien, on aurait même juré que l'érable se penchait pour mieux l'entendre. Mais bien sûr, c'était peut-être un tour du vent ou de notre imagination.
Il jouait ainsi jusqu'à ce qu'au détour d'une phrase, le violon émît un craquement sinistre, et le manche se brisa d'un coup sec. L'espace d'un instant, ce fut comme si son coeur se transformait lui-même en un vieux morceau de bois qui se fissurait. Le corps du violon s'effondra, Ilann le rattrapa d'une main tandis que de l'autre il serrait le manche. Inutile et ridicule, celui-ci tenait encore au reste du violon par des cordes qui redevenaient ce qu'elles étaient : les vieux tendons d'une bête sans vie.
Il resta là un instant, face à l'érable qui retenait son souffle et le regardait de toutes ses feuilles. Il restait là avec son instrument dans les bras comme on tient un enfant mort. Puis il éclata en sanglots. Il pleurait comme on ne pleure jamais quand on se sait observé. Ilann l'était, mais il ne le savait pas. Les gens et les animaux qui s'étaient approchés pour entendre la musique se retirèrent par délicatesse, sentant bien ce qu'il y avait eu d'intrusif dans le fait de venir l'écouter sans qu'il le sache. Certains, attendris, prenaient déjà la résolution de lui offrir un nouveau violon.
Tous ceux qui écoutaient s'étaient retirés. Il ne restait que les arbres qui, bougeant beaucoup plus lentement que les autres vivants, résolurent de rester là. Et l'érable, plutôt que de se retirer, se rapprochait insensiblement, c'est-à-dire d'un demi-millimètre par heure, ce qui était énorme. Ilann pleurait encore.
Le soleil se couchait, Ilann n'avait plus de larmes à verser ni d'énergie pour se relever. Il avait posé son vieil instrument à côté de lui, près de la falaise au bord de laquelle il était assis, juste en face de l'érable dont il voyait les racines pour la première fois. Larges et profondément ancrées dans la terre poudreuse, elles avaient poussé au pied de la falaise sur le corps d'Ambre. Sans qu'il pût savoir pourquoi, cette vision le calmait. Il serait resté longtemps comme cela si une feuille en forme d'étoile ne s'était posée sur son front, tendre et piquante comme les baisers qu'on donne quand on joue. Ilann prit conscience du temps qu'il avait passé à pleurer son violon, de la nuit qui approchait et, sans enthousiasme, il ramassa les morceaux de l'instrument et rentra chez lui pour la nuit.
Il dormit d'un sommeil agité. Ses rêves étaient peuplés de feuilles en étoile dont les couleurs flamboyantes resplendissaient dans un ciel spectaculaire. Il voyait l'arbre comme en transparence, avec ses milliers de vaisseaux où circulait le soleil à l'état liquide. Il voyait ses mouvements longs et déliés comme ceux d'un animal ou d'une jeune fille, il voyait un arbre qui le regardait, et lui parlait d'une voix qu'il se prit soudain à entendre, une voix légère et familière. À entendre, mais non pas à comprendre. Pas encore. Il se laissait bercer par la voix. Il se laissait fasciner par le mouvement de la lumière à l'intérieur et par les mille signes que les ramilles faisaient en dansant dans le vent, les signes que faisait chacune de ses feuilles écarquillées. La voix parlait. La voix chantait. Elle chantait une mélodie qui rappelait à Ilann celles qu'il inventait sur son violon cassé, mais s'en distinguait en de nombreux endroits. Tous ces mouvements insolites l'emportaient dans une sorte d'extase qui lui faisait tout oublier. Il se prit à grimper sur la branche la plus proche, tendue vers lui comme un bras secourable, et plus il avançait sur la branche plus il se sentait petit. Arrivé dans ce creux qui faisait un angle avec le tronc, il avisa une faille, comme une blessure d'où s'écoulait un filet de lumière vive resplendissant à mesure comme un coeur qui bat. Sans réfléchir, Ilann posa sa main sur la blessure et la laissa là quelques instants. Il sentait la sève battre et son battement résonnait dans tout son corps. Il sentait une chaleur douce se répandre dans le creux de sa main, et puis s'estomper. Les battements aussi s'estompaient. Quand il retira sa main, il ne restait qu'un point de lumière trouble et translucide, figé au creux de la branche. Il s'assit sur la branche et reposa sa main sur le point de lumière. Il attendit que la blessure soit totalement cicatrisée et se réveilla.
C'est doux, tendre, triste et en même temps heureux, calme et tranquille.
Pour la forme, je trouve les paragraphes trop longs. J'aurais aimé que cela soit un peu plus aéré, surtout pour une lecture sur ordinateur.
Merci encore pour ton commentaire. Je comprends pour le paragraphe, peut-être celui de la fin est un peu long, je peux regarder si c'est possible de le séparer en deux.
A bientôt !
A bientôt,
Claire
Très beau chapitre. On est tout de suite pris dans l'histoire. C'est très fluide et plein de poésie.
J'ai hâte de savoir la suite alors je file lire le chapitre suivant ^^
Audrey
Je passe tout de suite à ce chapitre, le premier est très bien (il me semble que tu as changé quelques phrases au début ?) .
J'aime bien la répétition de certains mots, ça ajoute à la poésie.
Je pensais que le corps d'Ambre s'était retrouvé en bas de la falaise, mais là tu dis que son son corps s'est décomposé au bord de la falaise. Mais c'est peut-être moi qui ai mal compris.
Dans le passage où le violon se casse, ce serait peut-être plus intéressant d'alterner il et Ilann.
Le passage du rêve est très beau.
A bientôt :)
Alors oui le corps d'Ambre s'est retrouvé en bas, et du coup, comme personne n'est allé le chercher (ça m'aurait pas arrangée), il s'y est décomposé. J'évoquais le bord mais j'entendais "le bord du côté précipice". C'est donc pas très clair dans le texte, je vais revoir ça. Je vais revoir pour l'alternance aussi. Merci pour tes commentaires !
Je trouve ton conte très intéressant et bien écrit. Le personnage du violoniste est très attachant. Ce chapitre donne envie de connaître la suite de l'histoire, que je lirai sûrement !
Bonne continuation !
Merci pour ton retour ! Je compte sur toi pour me dire si la fin te plait aussi :D
Bonne soirée,
Claire
Je continue ma lecture avec plaisir et sans aucune difficulté. Je trouve ton histoire toujours aussi intéressante et passionnante ! Je continue tout de suite ma lecture !
A bientôt
La tournure prise par l'histoire est très sympa. Ambre semble avoir pris la forme d'un grand arbre et l'on suit à présent Ilann le violoniste. J'aime beaucoup le passage où il pose sa main sur la blessure de l'arbre et le sent vivre.
J'ai hâte de voir comment l'histoire va se poursuivre.
Quelques remarques :
"Avec sa disparition aussi quelque chose avait changé au village." virgule après aussi ?
"briller baigné de bleu." virgule après briller ?
Bien à toi !
Au plaisir de te lire aussi,
Bien à toi