La nuit commençait à pâlir, et tout était silencieux dans la maison. Ses frères dormaient encore. Ilann se leva discrètement, s'habilla et commença ses tâches un peu plus tôt que d'habitude. Il était d'une famille de cordonniers, ce qui lui convenait assez. Cela lui permettait à certains moments, surtout quand il était seul, de rêver tout à loisir.
Ce jour-là, son père, qui blâmait chaque jour le violon d'encourager ce qu'il prenait chez son fils pour de la paresse, semblait de meilleure humeur. Il avait appris que l'instrument était cassé et pensait sans doute que son fils allait s'investir davantage dans l'entreprise familiale. La journée se passa inhabituellement, sans reproches déguisés, sans éclats de voix. Ilann travaillait vite et bien de l'aube jusqu'au milieu de l'après-midi, puis il reposa ses outils, prit sa veste et lança un "à ce soir" à la cantonade, sous le regard outré du père, tandis que ses frères s'échangeaient des clins d'œil amusés.
L'érable jamais n'avait paru si majestueux. Une énorme branche était posée au sol, qui n'avait pas été là la veille, et il était sûr que le gouffre entre le bord de la falaise et son tronc s'était resserré. Sans hésiter, plutôt que de s'assoir face à lui, Ilann grimpa sur la branche, comme dans son rêve. Il s'arrêta un instant à l'endroit où il avait vu couler la sève, mais il n'y avait rien. Il s'appuya sur une branche plus haute et continua à grimper, jusqu'à trouver un endroit tout fait pour lui, dos au monde. Appuyé contre de larges branches qui semblaient toutes prêtes à l'accueillir, il se blottit dans les feuilles, et passa sa soirée à contempler le ciel, là où rien d'humain ne pouvait plus le voir ni le juger.
Il avait tant joué au bord de la falaise qu'il ne s'était pas rendu compte que l'arbre auprès duquel il jouait avait une voix aussi.
Puis soudain le voilà privé de son instrument.
Silencieux, il en était réduit à écouter.
La voix de l'érable était basse, d'abord ; sa pulsation lente et régulière, sa respiration multiple, sa mélodie secrète prenait des sentiers qu'il ignorait et suivait les yeux fermés. S'il s'endormait un peu, l'érable le tenait de tous ses bras pour empêcher la chute, mais ce n'était qu'un demi-sommeil qui le gagnait, un de ceux qui permettent de sentir le monde avec plus d'acuité plutôt que d'y échapper. En réalité, ainsi immobile, caché sous la ramée, tous ses sens étaient tendus pour comprendre le langage de l'arbre. Il essayait de retenir chaque phrase, chaque mélodie qu'il percevait, chaque battement contre son corps, et la musique s'aventurait dans des lieux si inattendus qu'il était forcé de maintenir une attention de chaque instant. Sans son instrument, il avait peur d'oublier la mélodie. Il aurait su comment la transposer, mais le message continuait d'affluer et il écoutait, curieux et intrigué, jusqu'où le menait le poème de l'arbre aux feuilles écarquillées, comme s'il embrassait à la fois le ciel et la terre, et tout ce qui vivait entre deux.
Plusieurs jours se passèrent ainsi. À la maison, Ilann parlait à peine et souriait à lui-même. Quand autour de lui tout était calme, il se répétait les mélodies que l'arbre lui avait apprises. Comme d'habitude, il finissait sa journée tôt, prenait sa veste et saluait la famille. Une fois dehors, il respirait un grand coup, et prenait le chemin de la falaise.
Un soir il s'était endormi tout à fait, blotti au creux de l'arbre. Si bien blotti que, tandis qu'il sombrait dans le sommeil, il lui semblait s'enfoncer au coeur de l'écorce, comme si sa peau se fondait dans le bois qui l'absorbait comme une eau ou comme un brouillard. À l'intérieur, il vit la lumière qui circulait rapide de haut en bas, puis de bas en haut. Alors seulement, il comprit un message que peut-être l'arbre avait tenté de lui transmettre depuis des jours, et se sentit porté vers la cime, tout en haut, là où confluait la lumière, là où elle prenait la forme palpitante, sensible, pleine et multiple de la vie.
Un bruissement l'arracha de son rêve et il inspira d'aussi loin qu'il revenait. Il leva la tête vers la cime de l'arbre, inquiet et doutant de ce qu'il avait à faire.
J'aime bien ce dualité avec la nature, l'écoute du chant des arbres, le fait qu'en se taisant, on entend bien mieux. C'est très beau.
Avec une famille pareille, pas étonnant que le doux Ilann trouvait réconfort dans la musique... En tout cas, c'est toujours prenant et la plume est toujours aussi agréable à l'oeil !
Je vois que tu as sorti la suite et fin, je reprends avec plaisir ma lecture !
La poésie et l'élégance de ton texte sont toujours là, j'apprécie toujours autant la relation d'Ilann à l'arbre !
Une remarque :
"Puis soudain le voilà privé de son instrument." ajouter une virgule ?
Je poursuis...
La symbiose avec l'arbre se confirme, la poésie est toujours là.
J'ai bien avancé sur l'histoire. Ça se lit vraiment tout seul ^^
Il te manque une virgule à :
"S'il s'endormait un peu, l'érable le tenait de tous ses bras".
Et j'ai trouvé que "transmettre" et "transporté" sur la même ligne à la fin c'était un peu lourd à la lecture.
Sinon, j'ai adoré "il écoutait, curieux et intrigué, jusqu'où le menait le poème de l'arbre aux feuilles écarquillées". Tu es une virtuose des mots. C'est tellement beau !
Je me garde la suite pour demain (j'étais en pleine session d'écriture quand j'ai eu envie de venir lire cette histoire).
À plus tard ^^
Encore un bon chapitre, j'ai beaucoup aimé le passage dans l'érable. Mais, j'ai trouvé que le premier paragraphe ne faisait pas très naturel, le fait que la famille d'Illan le voit comme un fainéant et qu'il est en quelque exclu de la famille est mal amené je trouve. Bon, j'exagère un peu, mais ce passage est en peu en deçà, en comparaison avec les deux premiers chapitres qui sont excellents.
je file voir la suite
A bientôt :)
A très vite !
Claire
Même si j'aime les répétitions de certains, ici « ce jour là » ne fonctionne pas je trouve.
Même si j'imaginais plus un court dialogue, tu as réduit le passage de la famille au minimum et ça fonctionne très bien.
Tu dis que le père est plus sympa ce jour-là mais on ne sait pas pourquoi, c'est voulu ?
« Il vit la lumière qui circulait rapide de haut en bas », c'est rapidement que tu voulais dire, sinon c'est un peu bizarre, non ?
Je continue, c'est toujours un plaisir :)
Déjà trois chapitres que je lis et j'adore toujours autant ! C'est un véritable plaisir de te lire ! :)